Les temps sont chauds pour Soro. Tshisekedi auprès de qui il comptait solliciter un soutien financier a évité tout tête-à-tête alors que Blaise Compaoré ne prend plus ses appels. Si son séjour marocain a été aussi infructueux que ses diverses sollicitations à l’égard du président togolais, l’ancien président du parlement ivoirien aura profité de son séjour « chérifien » pour prendre quelques soins face à un persistant mal d’hypertension. Et à des mystérieuses douleurs neurologiques. S’il sait désormais qu’il aura du mal à mobiliser Bédié et Gbagbo autour de son projet présidentiel, rassembler de l’argent est devenue une obsession pour cet ancien chef de guerre qui connaît plus que quiconque l’importance du nerf de la guerre dans une aventure présidentielle.
22 Juin. Marrakech. En fin de journée, un dîner pas comme les autres. Dans le très huppé restaurant Bo Zin. Soro savoure le beau temps au Maroc. En face de lui ce soir là, un sulfureux qui assume son bling-bling et ne se cache pas de ses amitiés cossues. Né en 1965 au Tchad, Vincent Miclet a fait fortune entre l’Angola et le Gabon. Il rappelle à qui veut l’entendre qu’il est 180e fortune française, avec ses près de 600 millions d’euros. Il part de l’alimentaire, le riz, l’huile et la tomate en boite qu’il vend en Afrique et vit entre son château en Dordogne et sa somptueuse résidence à Marrakech. Pour lui, l’argent est maître de tout. Son passeport diplomatique béninois ? Il l’a obtenu en versant plus de 500.000 euros. Maitre corrupteur, il se la joue avec prestance, se faisant appeler « Monsieur 30%« , arguant sans sourciller, « je verse beaucoup de commissions en Afrique« . Impossible de le rencontrer sans que l’argent ne soit au cœur de la discussion d’autant qu’ayant vainement cherché à voir récemment le président ivoirien, il en détient un pan de pouvoir à travers Guillaume Soro. Ce soir là… Une vraie illusion pour un milliardaire yoyo.
Le Maroc, entre bouteilles à la mer et check-up
Le séjour marocain a été une initiative personnelle. La demande de Soro auprès de Mohamed VI pour « visite amicale » n’a pas eu de suite mais l’ancien chef rebelle a été poussé par deux urgences. D’abord, renouer le contact avec le Palais où il avait, jusqu’à récemment, de bonnes entrées. Mais depuis, le souverain chérifien n’entend pas « heurter » la sensibilité de Ouattara d’autant qu’il a vainement exhorté Soro à « trouver un terrain d’entente avec le Rhdp (Rassemblement des houphouëtistes pour le développement et la paix, « au pouvoir, Ndlr« ) pendant les heures de tumultes. Ensuite, le député ivoirien qui souffre de perturbations artérielles et de quelques problèmes de nerfs a profité de ce séjour pour voir par deux fois un médecin d’autant qu’il vit sous une hantise de se faire « empoisonner à Abidjan« . Au Maroc, il a multiplié quelques rencontres secrètes. C’est un pays où il dispose d’un bon carnet d’adresses, c’est aussi le pays d’origine de l’un de ses amis, Alexandre Benalla dont les dérives d’Etat sont devenues une affaire de la République en France. Soro veut des soutiens politiques et stratégiques mais aussi et surtout de l’argent. Si l’ancien garde de corps de Macron a pu faire venir Soro au lancement de Lrem, parti présidentiel français, il n’a pour l’instant pas pu lui trouver les voies du « cash ». Tout est resté à l’étape de bouteilles à la mer. Car, l’autre problème de Guillaume Soro est d’avoir à faire à l’un des chefs d’Etat les plus influents de l’Afrique subsaharienne. Fin stratège, Alassane Ouattara essaie de lui fermer, une à une les portes. Même si officiellement, il évite d’aborder le cas Soro avec ses pairs, tous savent ce qu’il attend d’eux. Mais que ce soit avec Ali Bongo ou Félix Tshisekedi, le président ivoirien a abordé brièvement le sujet, jurant que « les portes restent grandement ouvertes » pour l’enfant prodige. Mais Soro est bien loin d’être si naïf pour le croire.
La peur bleue du schengen
Quelques rentes encaissées dans les anciens réseaux Compaoré pendant sa longue tournée septentrionale et depuis, Soro n’a plus d’obsession que le nerf de la guerre. Après avoir scruté la possibilité d’un séjour européen en juin, le président de Comité Politique (CP) qui dispose néanmoins d’un visa schengen valide, a préféré le Maroc. Son ami et ambassadeur de la Belgique lui aurait recommandé « la prudence« . Pourtant, le député ivoirien ne risque « officiellement rien » même si un mandat d’amener avait été émis contre lui en 2015, à l’initiative du juge Sabine Khéris du tribunal de Grande instance de Paris. C’était dans une affaire qui l’opposait à Michel, fils aîné de Laurent Gbagbo. S’il est peu probable que ce dossier soit réveillé, Soro reste tout de même méfiant. Suspecté par tous dans la coalition en cours de l’opposition qui se méfient de lui, deux de ses émissaires ont rasé les rues de Bruxelles sans voir l’ancien président ivoirien qui, relâché par la Cour pénale internationale (Cpi) y est en attente d’une décision définitive de justice. Quelle va être la stratégie de Guillaume Soro pour la suite ? Entre les promesses de Tshisekedi et les réticences de Mohamed VI, le recours à Chafi s’impose-t-il ? Une chose est certaine, au pire des cas, le candidat annoncé à la présidentielle de 2020 peut recourir à sa fortune de guerre, « au moins 350 millions de dollars » selon plusieurs sources crédibles dont la moitié est répartie entre l’Afrique du Sud et Dubaï.
L’argent par tous les moyens
Alors que Alexandre Benalla, son ami peine à obtenir pour lui un rendez-vous avec Denis Sassou Nguesso, Guillaume Soro a réussi à décrocher deux séjours stratégiques. D’abord, en République démocratique du Congo, à l’occasion des obsèques nationales de Etienne Tshisekedi, père de l’actuel président puis au Maroc. Dans un cas comme dans l’autre, l’ancien président du parlement ivoirien cherche de l’argent. Il est mieux placé que quiconque pour savoir que sans le nerf de la guerre, une élection présidentielle est une vaine aventure. Il a aussi écrit plusieurs fois sur le numéro personnel du président togolais sans suite. Faure Gnassingbé qui se considère comme le poulain d’Alassane Ouattara ne veut pas mettre son parrain mal à l’aise. Soro a dû passer par un ministre togolais pour faire chuter, sur le bureau du chef de l’Etat une longue lettre. En attendant qu’il ait une réponse, le prince de Ferkessedougou scrute aussi certains de ses contacts libyens, aujourd’hui refugiés entre Londres et l’Afrique du Sud. Anciennement proche de Mouammar Kadhafi dont il vante une mercedès en cadeau vers la fin des années 2000, Soro sait qu’il peut, par ces vieux tuyaux, constituer sa cagnotte de guerre. Car, si on ne le dit pas assez, les services secrets ivoiriens très efficaces ont un œil sur lui et guettent toute tentative de transferts de sous de l’Afrique de Sud et de Dubaï où Soro aurait logé une partie de son patrimoine financier. Mais ne réfléchissant que par « les armes et l’argent » comme nous l’a confié une de ses anciennes proches, il devrait se débrouiller pour remplir sa gibecière pour la présidentielle de 2020 qu’il considère comme « une véritable guerre contre le clan Ouattara« . Car au-delà des enjeux électoraux, c’est une vengeance personnelle pour celui qui n’a pas digéré son éviction du perchoir parlementaire.
Chafi-Soro, les secrets d’un mystérieux duel
Ses cheveux coupés et à moitié blancs, son sourire sahélien et ses yeux obscurcis par de broussailleux sourcils, les lunettes noires de marque Cartier épaississent davantage tout le mystère autour de ce Mauritanien de 60 ans. Une chose est certaine, il connaît tout le monde. De Paul Kagamé à Alpha Condé, de Nicolas Sarkozy à Amadou Toumani Touré en passant par Issoufou ou encore Alassane Ouattara. Dans la plupart des cas de libération d’otages au Sahel sous les nombreuses médiations de Blaise Compaoré, il a souvent payé la rançon. Que ce soit dans les milieux islamistes ou parmi les radicaux de l’Emirat du Qatar, il tient des arcs et tire des ficelles. Il bat le record de passeports tenus dans une petite mallette rouge, 6 pour lui-seul, de différents pays et tous valides. Alors qu’on sait qu’il n’a plus de documents mauritaniens valides depuis qu’en 2011, Nouakchott a émis contre lui un mandat d’arrêt et Mohamed Ould Abdel Aziz a vainement tenté de convaincre ses pairs africains de « le lâcher« . Il ne supporte d’ailleurs que très peu le relâchement dans ses relations avec le président ivoirien. En effet, sans rompre le pont, Alassane Ouattara n’en fait plus un « hôte de marque ». Une chose est sûre, grâce à l’argent du Qatar, où il réside depuis peu, Chafi entretient avec des terroristes des relations à la limite ambigües qui lui ont valu, auprès du Pentagone, l’inscription sur une liste américaine suspecte. Quand a-t-il rencontré Guillaume Soro ? On ne sait pas exactement. Grâce à Compaoré ou à Abidjan ? Les deux entretiennent le mystère à cet effet. Une chose est certaine, l’intéressé aurait fourni des armes à la rébellion que menait Soro. Plusieurs sources proches des deux hommes affirment qu’ils ont renoué les contacts depuis que l’ancien président du parlement ivoirien est en disgrâce au palais présidentiel. Ils ne se sont pas vus depuis un moment mais entretiennent, via deux émissaires (un burkinabé et un tchadien), des contacts réguliers. Qu’il aide Soro à avoir du financement, « c’est plausible » répond un ami commun à Afrika Stratégies France. Encore que les deux hommes ont une folle passion pour les Emirats. Et surtout, Soro et Chafi ont un trait de caractère en commun, aucun ne lésine sur les moyens pour atteindre les objectifs les plus faramineux, de sa propre ambition d’autant qu’ils sont chacun, pour ce qui le concerne, bien imbu de sa propre personnalité. Une chose est certaine, avant qu’un journal ivoirien très proche de Hamed Bakayoko, ministre de la défense, ne leur consacre un article polémique, ils étaient sous les projecteurs secrets des Renseignements ivoiriens qui les tiennent à jumelles.
La stratégie Soro pour 2020 prend du vent
Il doit la ficeler et ce n’est pas facile en ce moment. Henri Konan Bédié a régulièrement repoussé des audiences sollicitées par celui qui se considère comme son « filleul » ces derniers jours. D’ailleurs, Guillaume Soro se prend en filleul de tout le monde. Histoire de racler quelques grâces. Sachant que Gbagbo nourrit une aversion sans pareille à son égard, le Sphinx de Daoukro n’a-t-il pas volontairement évité de le recevoir ? Puis que le Vieux N’zuéba, surnom de prince Baoulé, avait rendez-vous avec… Gbagbo en Belgique. Au début, l’ancien président du parlement était certain d’être adoubé par Bédié qui l’a tout de même soutenu, pendant un court moment, comme il peut. Sauf que revanchard et opportuniste, l’ancien chef d’Etat n’écarte pas d’être lui aussi, à 86 ans, candidat en 2020. Mais aussi se rapprochant de Laurent Gbagbo qui jure ne pas vouloir « sentir Soro« , Bédié est prudent. Alors qu’il croyait dur comme fer pouvoir créer la surprise en 2020 face au candidat du Rhdp, Soro sort lentement de son illusion d’autant que la coalition actuelle d’opposition, trop hétérogène en formation à Abidjan aura du mal, face aux ambitions divergentes et éclectiques, à dégager un candidat unique.
Et si les prévisions de Soro prennent de l’eau, l’ingénieux ancien chef de guerre pourra sortir d’autres options. S’il y a une chose dont tous les observateurs sont certains, c’est qu’il a plus de mille corde à son arc
Source: Afrika Stratégies France /Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée