Malgré cinq jours de répression meurtrière, les opposants au coup d’Etat militaire au Soudan sont décidés à remettre la transition démocratique sur les rails. Des milliers de personnes manifestaient, samedi 30 octobre, contre le général Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane. Le risque d’un nouveau bain de sang dans ce pays miné par les conflits n’entame en rien leur détermination, selon la militante prodémocratie Tahani Abbas, interrogée par l’Agence France-Presse (AFP).
« Les militaires ne nous dirigeront pas, voilà notre message », explique-t-elle. Et la « manifestation du million » promise sur les réseaux sociaux et par des graffitis sur les murs de Khartoum n’est qu’un « premier pas ». Depuis cinq jours, les Soudanais sont entrés en « désobéissance civile », juchés sur des barricades. Contre eux, les balles réelles ou en caoutchouc et les grenades lacrymogènes des forces de sécurité ont plu, fauchant déjà huit personnes.
Le bilan pourrait être plus lourd, selon des médecins sur place, qui dénombrent douze manifestants tués et plus de 170 blessés. « Notre seule arme, c’est le pacifisme, et elle a déjà payé », assure malgré tout Mme Abbas. Tenant bon malgré les rafles, de nombreuses institutions publiques ont annoncé rejoindre la « désobéissance civile » qui a transformé Khartoum en ville morte depuis cinq jours.
« Nous n’avons plus peur »
Samedi matin, les autorités ont coupé l’accès à Internet et le réseau téléphonique dans la capitale. Un premier cortège est parti d’Omdourman, ville jumelle de Khartoum, ont fait savoir des témoins. Trois manifestants y ont été tués et une centaine blessés par les forces de sécurité, selon un syndicat de médecins partisans de la démocratie. La police a nié, dans un communiqué, avoir tiré à balles réelles sur les manifestants et a accusé ces derniers d’avoir « attaqué » les forces de l’ordre. En début de soirée, des grenades lacrymogènes ont été tirées sur la foule dans l’est de la capitale, a constaté un correspondant de l’AFP.
Dans la capitale comme dans l’est du pays, les cortèges scandaient des slogans contre l’armée à l’occasion de cette « manifestation du million », alors que les forces de sécurité quadrillaient Khartoum, bloquaient les ponts et fouillaient passants et voitures. La télévision d’Etat, prise d’assaut par l’armée au premier jour du putsch, diffuse, elle, des témoignages de soldats, pansements à la tête, se disant victimes de violences de la part des manifestants.
Le principal slogan des opposants est qu’il n’y a « pas de retour en arrière possible » après la révolte qui a renversé en 2019 le dictateur Omar Al-Bachir, un général lui-même arrivé au pouvoir par un putsch trente ans plus tôt. « Nous n’avons plus peur », affirme encore Mme Abbas. Car, pour les manifestants, qui promettent aussi des défilés de la diaspora à l’étranger, samedi est une redite de la « révolution » de 2019, qui a fait tomber Al-Bachir au prix de six mois de mobilisation et plus de 250 morts.
Ce dernier putsch a coupé court aux espoirs d’élections libres à la fin de 2023 et plongé le pays dans l’inconnu. Il y a neuf jours, des dizaines de milliers de Soudanais avaient défilé au cri d’« Al-Bourhane, quitte le pouvoir ! ». Un événement qui a probablement précipité le cours des choses, le général, seul aux manettes aujourd’hui, prétextant avoir agi pour empêcher « une guerre civile ».
Gibril Ibrahim, ministre des finances soudanais, qui avait soutenu un sit-in en faveur de l’armée avant le coup d’Etat, a prévenu : « Détruire des biens publics n’est pas une manifestation pacifique. » Il laisse ainsi entendre que les forces de l’ordre pourraient reprendre leurs tirs sur les manifestants qui montent des barricades, parfois avec des poteaux. « Les putschistes essayent de perpétrer des actes de sabotage pour trouver un prétexte à un déchaînement de violence », accuse déjà le porte-parole du gouvernement renversé lundi.
« Le monde regarde »
Cette fois-ci, « les dirigeants militaires ne doivent pas s’y tromper : le monde les regarde et ne tolérera pas plus de sang », prévient Amnesty International. De fait, dès vendredi soir, les Etats-Unis exhortaient l’armée à la retenue. Cette journée, a affirmé un haut responsable, « sera un vrai test sur les intentions des militaires ».
Le chef de l’Organisation des Nations unies (ONU), Antonio Guterres, a, lui, enjoint « aux militaires de ne pas faire plus de victimes » dans un pays où la quasi-totalité des dirigeants civils sont toujours détenus ou en résidence surveillée. Ces derniers, qui siégeaient avec M. Al-Bourhane et d’autres militaires au sein des autorités de transition, ont été emmenés lundi à l’aube par des soldats, avant que le général Al-Bourhane annonce la dissolution de l’ensemble des institutions du pays.
Les opposants ont avec eux une communauté internationale qui a multiplié les sanctions à l’encontre des généraux. Les Etats-Unis et la Banque mondiale ont arrêté leur aide, vitale pour ce pays d’Afrique de l’Est pris en étau entre inflation galopante et pauvreté endémique, l’Union africaine a suspendu Khartoum, tandis que le Conseil de sécurité de l’ONU exige le retour des civils au pouvoir.
Source: Le Monde Afrique/ Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée