Pour la Commission économique pour l’Afrique, il est urgent que les pays du Nord réduisent les frais bancaires liés aux transferts d’argent jusqu’à la fin de la pandémie.
La baisse vertigineuse de 21 % en un an des transferts d’argent vers le continent inquiète la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA). Dans un rapport, « Préserver les envois de fonds à l’époque du Covid-19 », co-rédigé avec l’organisation One, qui lutte contre la pauvreté, la CEA rappelle que ces envois de fonds « sont devenus le principal afflux financier dans les pays en développement, dépassant l’aide étrangère, les flux de capitaux privés et les investissements directs étrangers (IDE) ».
Sur la dernière décennie, les envois de fonds en Afrique ont doublé pour atteindre 85 milliards de dollars en 2019. Une chute de 21 % de ces transferts, c’est 18 milliards de dollars qui n’arriveront pas dans les familles qui en dépendent. Cet argent leur permet souvent de couvrir leurs besoins essentiels : achats de produits alimentaires, dépenses de santé, d’éducation et de logement.closevolume_off
À l’échelle d’un pays africain, cette manne est loin d’être négligeable. Elle représente plus de 5 % du PIB dans 15 pays africains, 10,5 % pour le Sénégal et 34,4 % pour le Soudan du Sud. Cet argent représente aussi des réserves en devises, bienvenues pour les pays.
Diaspora et migrants
La situation des migrants dans les pays les plus touchés explique cette baisse importante. Ils sont victimes, souvent en première ligne, de la crise économique qui frappe la très grande majorité des pays où ils sont installés. Italie, France, Espagne, Royaume-Uni, États-Unis, la pandémie fait des ravages économiques, engendre des pertes d’emplois, des baisses de revenus, du chômage partiel… « Pour les expéditeurs et les destinataires des transferts de fonds, le Covid-19 s’est traduit par des pertes d’emplois et la baisse de revenus », constate amèrement le rapport.
Il existe aussi une partie invisible de l’iceberg. Les transferts effectués de manière informelle vers l’Afrique correspondraient à un chiffre supérieur ou égal aux transferts officiels. Des sommes qui peuvent être ainsi transmises, par exemple, à l’occasion d’un voyage, ou remise à une personne de confiance. La pandémie a cloué les avions au sol, réduit les déplacements et, de fait, les transferts d’argent. Ces fonds acheminés par des canaux informels ne sont ni traçables ni comptabilisables au niveau macroéconomique et il est bien difficile d’estimer les montants en jeu.
Elie Nkamgeu, président du Club Efficience, rappelle dans l’émission de Radio France International, 7 milliards de voisins, que la diaspora est aussi composée d’une troisième génération « des Afro-Européens » qui sont nés en Europe, mais qui gardent un lien avec le continent. Mieux formés, plus intégrés et disposant d’un pouvoir d’achat plus important, ils se tournent plus facilement vers des projets de développement et de créations d’entreprises.
Quoi qu’il en soit, les migrants comme les membres de la diaspora doivent être considérés comme des « acteurs du développement ». Grâce à leurs envois de fonds réguliers, ils financent des projets individuels et collectifs, soutiennent des familles.
« Au-delà de la perte de revenus, des millions d’expéditeurs ont également éprouvé des difficultés à envoyer de l’argent à leurs proches pendant la période de confinement », explique le rapport. Banques, bureaux de poste, petits commerces affiliés représentant les opérateurs, Ria, Western Union, MoneyGram, presque tous les opérateurs physiques ont fermé lors du confinement, aggravant encore la chute des transferts.
Des coûts de transfert élevés
Les expéditeurs paient des frais d’envoi qui sont loin d’être négligeables. « Curieusement, ce sont les banques qui font payer le plus cher l’envoi de 200 dollars, soit des frais d’environ 11 % de la somme envoyée », souligne le rapport. Au niveau mondial, en 2017, les expéditeurs ont payé environ 30 milliards de dollars de frais. Depuis plus d’une dizaine d’années, des progrès ont été accomplis, notamment avec l’arrivée de nouveaux opérateurs, et notamment le superbe succès de Safaricom qui a le premier mis en place à grande échelle, le transfert d’argent via le mobile.
« L’Afrique est la région où les frais de réception d’un envoi de fonds sont les plus élevés, avec un coût moyen de 8 % (contre 5 % pour l’Asie du Sud) », constate la CEA. Au sein du continent, les frais imposés restent prohibitifs, autour de 14 % ! Ils sont particulièrement élevés de l’Angola vers la Namibie, de la Tanzanie vers le Rwanda et du Nigeria vers le Togo. « Dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine, les pays africains devraient réduire considérablement le coût de l’envoi d’argent liquide sur le continent afin d’aider les économies africaines à mieux se reconstruire », préconise la CEA.
Faire baisser les frais
Ce rapport réitère un appel mondial « pour stimuler les envois de fonds », lancé initialement le Royaume-Uni et la Suisse et soutenu, entre autres, par la Banque mondiale, le PNUD et la Chambre de commerce internationale. Cela passe par un net abaissement des frais bancaire, voire leur annulation. « Les ministres des Finances du Groupe des Vingt (G 20) devraient modifier leurs régimes nationaux de transferts de fonds, ainsi que les réglementations bancaires connexes, afin de ramener le coût des envois de fonds à un niveau proche de zéro jusqu’à la fin de la pandémie. Ils doivent ensuite faire en sorte que le coût des envois de fonds ne dépasse pas 3 %, comme convenu dans l’objectif du développement durable 10 », préconise le rapport.
La chute des transferts de fonds va impacter sévèrement les plus pauvres qui dépendent de cette source de revenus pour survivre. Il est donc essentiel de préserver cette bouée de sauvetage pour l’Afrique. « Alors que le monde entre dans une récession économique incomparable, les envois de fonds seront plus importants que jamais pour les personnes les plus pauvres et les plus vulnérables, en particulier celles qui n’ont pas accès aux filets de sécurité économiques et sociaux. Les gouvernements du monde entier devront prendre des mesures efficaces pour faciliter et stimuler les envois de fonds afin de soutenir la lutte contre le Covid-19 et, à terme, de bâtir un monde post-pandémique plus durable », souligne Stephen Karingi, directeur de la division de l’intégration régionale et du commerce de la CEA.
Source :Le Point Afrique/Mis en ligne :Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée