Le Dr Jean-Jacques Muyembe, désigné chef de la riposte contre le Covid-19, a soutenu publiquement l’utilité d’accepter ces essais. Depuis, le débat fait rage.
En mai, la République démocratique du Congo pourrait commencer à tester un vaccin contre le Covid-19. C’est ce qu’a dit le docteur Jean-Jacques Muyembe, figure clé de la lutte contre l’Ebola et le coronavirus dans son pays. « Nous avons été choisis pour faire ces essais. Le vaccin sera produit soit aux États-Unis, soit au Canada, soit en Chine. Nous, nous sommes candidats pour faire les essais ici chez nous », a déclaré le professeur, citant en exemple les vaccins utilisés à titre expérimental face à l’actuelle épidémie d’Ebola. Ces propos ont suscité de très vives réactions chez plusieurs Congolais refusant d’être des « cobayes ».
L’épineuse question d’un vaccin
« Peut-être vers le mois de juillet, août, nous pourrons commencer déjà à avoir des essais cliniques de ce vaccin », a ajouté le virologue congolais, qui s’exprimait devant la presse aux côtés de l’ambassadeur américain en RDC Mike Hammer. Une présence qui a ajouté de l’huile sur le feu, semble-t-il. Beaucoup se demandent pourquoi cette déclaration n’a pas été faite en présence d’officiels congolais, comme le ministre de la Santé. « Le Covid a, à un moment donné, sera incontrôlable », a détaillé le professeur joint par l’AFP dans la soirée du vendredi 3 avril. « La seule façon de le contrôler, ce sera le vaccin, tout comme Ebola. C’est le vaccin qui nous a aidés à terminer l’épidémie d’Ebola. » La fin de la dixième épidémie d’Ebola en RDC doit être proclamée le 12 avril après qu’elle a tué plus de 2 200 personnes dans l’est du pays, depuis sa déclaration le 1er août 2018. Plus de 320 000 personnes ont bénéficié de deux vaccins utilisés à titre expérimental. Le premier vaccin utilisé à plus de 300 000 doses « a été récemment préqualifié pour homologation », ont indiqué les autorités sanitaires.
Les propos du docteur Muyembe ont suscité de la colère et de l’incompréhension chez les internautes. En effet, l’intervention du directeur général de l’Institut national de recherche biomédical, INRB, de Kinshasa nommé en mars 2020, par le président Félix Tshisekedi, coordonnateur national de la riposte contre la pandémie de Covid-19 en RDC arrive dans un contexte déjà miné par de nombreuses publications affirmant que des vaccins contre le coronavirus vont être testés en Afrique.
Les tests de vaccins et l’Afrique : où en est-on ?
Le débat a été relancé le 1er avril avec une intervention sur la chaîne française LCI de deux médecins évoquant des tests en Afrique. « Si je peux être provocateur, est-ce qu’on ne devrait pas faire cette étude en Afrique, où il n’y a pas de masques, pas de traitement, pas de réanimation, un peu comme c’est fait d’ailleurs sur certaines études avec le sida, où chez les prostituées, on essaye des choses parce qu’on sait qu’elles sont hautement exposées ? » a déclaré l’un des médecins, Jean-Paul Mira, chef de service de médecine intensive et réanimation à l’hôpital parisien Cochin. « Non, les Africains ne sont pas des cobayes ! » s’est indignée l’association française SOS Racisme dans un communiqué. Jean-Paul Mira a présenté ses « excuses les plus sincères » à « celles et à ceux qui ont été heurtés, choqués, qui se sont sentis insultés par des propos que j’ai maladroitement prononcés ».
Mais, selon l’Inserm, l’échange pointé du doigt ne concernait pas un vaccin contre le coronavirus, mais celui contre la tuberculose, plus connu sous le nom de BCG. L’idée serait de voir ses éventuels effets sur le nouveau coronavirus. Cette expérience est déjà « en cours ou sur le point d’être lancée » dans plusieurs pays européens et en Australie, et « il y a actuellement une réflexion autour d’un déploiement en Afrique ». Pour l’institut de recherche, « l’Afrique ne doit pas être oubliée ni exclue des recherches, car la pandémie est globale. Si les essais internationaux étaient concluants, le vaccin BCG pourrait être une grande aide pour protéger les soignants. » Et d’ajouter que ces tests sur le BCG sont distincts des recherches sur un vaccin contre le coronavirus proprement dit. D’autant plus que la recherche sur un vaccin anti-coronavirus pourrait, elle, ne pas aboutir avant au moins l’année prochaine. Pour précision, la vaccination antituberculeuse est répandue sur le continent africain, en raison notamment de campagnes menées par l’OMS. En 2018, 80 % de la population africaine ciblée (enfants et femmes de moins de 50 ans) dans le cadre de ces campagnes était vaccinée au BCG.
Comment rassurer ?
Disons-le clairement. Ces explications n’ont pas convaincu. « Chers médecins, scientifiques et empires pharmaceutiques, lorsque vous aurez fini de tester vos vaccins #Covid19 sur des animaux, avant même d’envisager de venir l’essayer sur des Africains, un peuple pour lequel vous n’avez jamais montré de considération, essayez sur vous-mêmes », tempête le musicien suédo-congolais Mohombi sur Twitter.
De fait, la prise de parole du professeur Jean-Jacques Muyembe, qui, on le rappelle, a codécouvert le virus Ebola en 1976, n’a pas rassuré les populations du Congo et bien au-delà. Ainsi, le vaccin sera testé sur les plus pauvres d’entre les pauvres, avec la coopération du gouvernement congolais. N’y a-t-il pas assez de candidats potentiels en Europe, aux États- Unis ou en Chine ? « Nous avons été choisis », a déclaré le professeur Muyembe. « Est-ce en contrepartie du soutien des États-Unis (6 millions de dollars) et de la Banque mondiale (47 millions de dollars) à la RDC pour la riposte contre le virus ? » s’interroge un internaute. Et une pétition en ligne « Non aux tests de vaccins contre le Covid-19 en Afrique » a été aussitôt mise en ligne afin de dire non à cette initiative prise par le docteur Jean-Jacques Muyembe. Entre-temps, le professeur Muyembe a réalisé une seconde vidéo, seul, cette fois, dans laquelle il appelle à l’apaisement sur cette question.
« Je suis moi-même congolais et je ne permettrais jamais d’utiliser les Congolais comme cobayes », a dit le professeur Muyembe, dans cette vidéo, tout en évoquant de précédents vaccins administrés aux Congolais qui étaient testés d’abord sur le sol occidental. Également, ce vaccin sera testé d’abord en Europe et en Amérique, a rassuré le virologue.
Source: Le Point Afrique/Mis en Ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée