Bamako, Niamey, Ouagadougou, le chef de l’Etat et son ministre des Affaires étrangères multiplient des déplacements dans le Sahel, nouveau centre névralgique de la diplomatie togolaise. Mais à la suite du décès de Idriss Déby, le Tchad est vite devenu « une obsession » togolaise. Pourquoi cette brusque extension de la zone d’influence et quelles en sont les conséquences ? Forces et faiblesses d’une option périlleuse.
Tout comme une vingtaine de dirigeants, Faure Gnassingbé a pris personnellement part, autour de Macron, aux obsèques de l’ancien président tchadien, Idriss Déby, tué officiellement au front. Dans l’assemblée, de grands dirigeants africains et un seul chef d’Etat occidental, Emmanuel Macron. Si l’image rappelle les vieilles velléités de la françafrique, elle illustre bien l’impression selon laquelle ces dirigeants venus en grande majorité de l’Afrique étaient à N’Djamena plus pour introniser le fils que rendre hommage au père. En marge de la cérémonie, Faure Gnassingbé est apparu aux côtés de Mahamat Déby, nouvel homme fort du Tchad pour un court échange. Le président togolais qui renforce d’une main de maître son influence au Sahel aurait été, selon plusieurs sources concordantes, sollicité par Emmanuel Macron pour « coacher » le nouveau poulain et surtout, tenir à l’œil la situation d’autant plus que des manifestations ont embrasé tout le Tchad, dans les jours suivants. Dans la foulée, le discret Robert Dussey est passé en terre tchadienne, porteur d’un « pli confidentiel ». A peine cinquantenaire (49 ans depuis janvier dernier), cet ancien religieux et proche d’Israël conçoit le succès diplomatique comme une multitude de ramifications qui couvre toutes les régions du monde, bref, avoir mille cordes à son arc. Et saute, grand boulimique, dans le Sahel, non sans plans et stratégies.
Une présence déjà marquée au Sahel
La présence du Togo au Tchad est une option conjoncturelle qui s’explique par un immense vide créé par le départ de Blaise Compaoré mais aussi la fragilisation de Alassane Ouattara depuis que le dirigeant ivoirien a forcé la serrure pour un troisième mandat. Le Sahel ayant toujours eu la tradition de « parrain », il fallait combler le vide. Une opportunité vide décelée et comprise par Robert Dussey. S’il est avant tout philosophe, le chef de la diplomatie togolaise est aussi un stratège opportuniste qui n’a pas hésité à foncer au Sahel. De prime abord, une telle option est bien périlleuse mais les avantages et bénéfices vaillent la peine. Car, compte tenu de la menace terroriste aux frontières béninoise, togolaise, ghanéenne et ivoirienne, disposer d’interlocuteur fiable permet d’avoir une voie autre que celle de l’affrontement et de tenter de mettre sous contrôle un fléau qui peut très vite se retrouver aux côtes occidentales du continent. Il était donc, de ce fait, indispensable qu’un chef d’Etat prenne la relève de la voix autorisée, ce que Faure Gnassingbé fait depuis la chute, au Mali, de Ibrahim Boubacar Kéïta. Il jouit de la légitimité qui va avec pour le simple fait d’être le dirigeant qui a déployé le plus grand nombre de militaires dans le Sahel, au sein de la force onusienne, la minusma. Grâce à la diplomatie de l’opportunité qu’active Robert Dussey, Lomé entretient de bonnes relations avec la junte militaire au pouvoir à Bamako et dont les principaux leaders font des tours et détours dans la capitale togolaise. Malgré la part de risque, cette présence diplomatique et militaire togolaise est aussi une force dans l’influence régionale, nécessaire à celui qui est vite devenu le doyen des chefs d’Etat de l’Afrique de l’ouest, à 56 ans. Mais c’est l’extension de la zone de présence vers le Tchad qui inquiète et sans doute, à raison.
Tchad, un choix périlleux ?
Il n’est pas de doute que la Tchad reste une poudrière dans laquelle, il peut paraître, à raison, peu prudent de s’y hasarder. Le choix est donc en cela d’autant plus risqué que les détracteurs d’une telle option y voient un appel de pieds fait aux terroristes qui ont récemment frappé au nord du Bénin, ainsi qu’en Côte d’Ivoire et ont, jusque-là, épargné le Togo. Au Sud du Burkina Faso, aux frontières septentrionales du Togo, leur présence active a de quoi inquiéter Lomé. D’ailleurs, les services secrets ghanéens ont récemment fait part de plusieurs attaques déjouées et d’une « menace forte et récurrente« . Mais en même temps, laisser le Tchad aux mains des invasions terroristes venues de la Libye ou d’ailleurs, c’est encore pire comme option d’autant que cela renforcerait des islamistes qui devraient profiter de l’avancée des rebelles tchadiens pour s’approvisionner en armes et surtout, entamer une descente vers les côtes. Il est donc urgent que l’Union africaine trouve une solution et surtout, comme l’a voulu Emmanuel Macron que la stabilité du Tchad soit préservée « à tout prix ». Car l’autre risque est la transformation du Tchad en théâtre de confrontations entre des sbires français et russes, d’autant plus que la rébellion qui fait fureur au Tchad serait formée et financée par le Maréchal Haftar, soutenu par Paris dans le passé et aujourd’hui sous girons soviétiques. Mais il ne fait pas de doute que, constatant l’influence grandissante du Togo au Sahel, la France en profite pour sous-traiter avec Lomé « ses démons sahéliens » afin de reprendre du poil de la bête face à une situation qu’elle n’a pu maitriser en une décennie de présence militaire.
Paris, la main invisible qui tire les ficelles
La France est soupçonnée d’être derrière l’enthousiasme togolais au Sahel. La visite de Faure Gnassingbé, début avril, à Paris alors qu’une telle audience est attendue depuis 4 ans peut l’expliquer en partie. Et depuis, Lomé et Paris entretiennent de très bonnes relations et les deux chefs d’Etat ont été vus, côte à côte, à N’Djaména, ce qui n’aura pas pour effet de taire les supputations. Une chose est certaine, face à une guerre qu’elle peine à remporter, et face aux défis internes sociaux et économiques liés à la pandémie de Covid-19 qui accablent la gestion d’Emmanuel Macron à un an de la présidentielle, Paris a toutes les raisons de vouloir léguer ses patates chaudes maliennes à un pays africain. En les acceptant, le Togo prend certes un risque de se bruler les doigts mais s’il s’en sort, il renforcerait à jamais son influence sous-régionale et donnera à celui que Ouattara appelle « jeune doyen », une aura de patriarche incontestable. Une image qui flatterait bien Faure Gnassingbé qui veut être à mi-chemin entre deux de ses idoles, Paul Kagamé (Rwanda) et Denis Sassou Nguesso (Congo). Alpha Condé (Guinée Conakry), Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire), Patrice Talon (Bénin) et d’une certaine manière Nana Akufo-Addo (Ghana) sont mis à l’épreuve par des réélections contestables. Macky Sall (Sénégal) et Adama Barrow (Gambie) font face à des frondes populaires internes à cause de leurs stratagèmes, à peine cachées, pour se maintenir indéfiniment au pouvoir. Le Mali vit une transition complexe, le Niger a connu une alternance fragile il y a quelques semaines et le président nigérian Muhammadu Buhari, à la moitié de son deuxième et dernier mandat, perd de l’autorité sur ses pairs. Dans une situation pareille, Faure Gnassingbé a toutes les raisons de ses ambitions de patriarche de l’Afrique de l’ouest. Reste à savoir s’il y arrivera. Il devrait compter avec une crise politique latente que traîne le Togo depuis des décennies.
Source :MAX-SAVI Carmel, Ap21/Afrika Stratégies France