Eskom est comme une entrave dans les rouages de l’économie sud-africaine. Les délestages qu’elle impose sont devenus un handicap majeur.
L’Afrique du Sud est plongée dans le noir, les coupures se multiplient. La faute à Eskom, la compagnie nationale de l’électricité. Après une semaine de délestages récurrents, Eskom a brutalement pris la décision, le 9 décembre, de passer du niveau 4 à 6 les procédures de coupure de courant, soit le plus haut niveau. Résultat, les délestages ont touché l’ensemble du pays pendant de longues heures. Du jamais-vu !
Les magasins ont tiré le rideau, les mines ont interrompu leur activité et les paiements par carte bancaire étaient devenus impossibles. La deuxième économie du continent à l’arrêt. Au Cap, des touristes se sont retrouvés bloqués pendant trois heures dans le téléphérique qui monte en haut de la Table Mountain. Le phénomène des délestages n’est pas nouveau. Depuis 2008, pour éviter un black-out, un effondrement du réseau, Eskom a introduit le concept de délestage par roulement de quatre heures.
Les mines au ralenti
La Chambre des mines s’est fendue d’un communiqué le 12 décembre expliquant que le passage soudain d’un niveau 4 à 6 des coupures d’énergie a obligé la plupart des mines souterraines d’Afrique du Sud à suspendre leurs opérations. Les conséquences ne se limitent pas à la production amputée d’une journée. Certaines entreprises auraient perdu une semaine de production, car les équipes doivent redescendre et stabiliser les zones, pour des questions de sécurité, avant que l’exploitation ne puisse reprendre, précise le communiqué. Pour pallier le manque d’électricité, certaines sociétés minières ont recours à des générateurs. Une solution coûteuse, qui ne peut être envisagée à long terme. Selon le président de la Chambre des mines, Roger Baxter, « l’impact est dévastateur, car la plupart des sociétés minières ne perdront pas seulement la production d’une semaine, mais cela affecte la viabilité de nombre de ces mines ».
Un mal profond
Certains pointent du doigt les centrales à charbon vieillissantes et défaillantes, dont la moyenne d’âge tourne autour de 37 ans. Deux énormes chantiers de centrales à charbon ont bien été lancés en 2008, mais ils s’enlisent dans les retards de construction et les dépassements de budget (20 milliards d’euros). Eskom fournit 95 % de l’électricité en Afrique du Sud. Pour justifier ces délestages intempestifs, des problèmes techniques ont été évoqués. Ce sont les fortes précipitations qui sont responsables : en détrempant les stocks de charbon, celui-ci brûle mal dans les centrales. Face à la crise, le président sud-africain Cyril Ramaphosa, rentré précipitamment d’Égypte, a pour sa part avancé des « actes de sabotage ». Toutes ces explications ne convainquent pas tant la crise énergétique en Afrique du Sud est profonde et perdure déjà depuis de nombreuses années.
Une gestion catastrophique et la corruption sous la présidence de Jacob Zuma (2009-2018) ont entraîné Eskom au bord du gouffre. Les plans de sauvetage successifs et la réinjection de 128 milliards de rands (7,8 milliards d’euros) ont juste permis à Eskom de ne pas sombrer tout de suite. « La direction d’Eskom est clairement incompétente, et ils cherchent n’importe quelle excuse pour expliquer les coupures de courant », explique à l’AFP Jeannie Rossouw, professeure d’économie à l’université du Witwatersrand. Selon elle, il faudrait que la compagnie soit entièrement restructurée. « Eskom est en position de monopole et c’est une compagnie qui se trouve dans une situation économique totalement désespérée. Il faudrait une restructuration complète et des mécanismes de contrôle interne avant même d’envisager une privatisation. Par contre, le gouvernement ne laissera jamais Eskom faire faillite, car ce serait une catastrophe totale pour l’économie. Donc ils vont juste continuer à renflouer la compagnie avec l’argent de nos impôts », poursuit-elle.
Même analyse pour Claude Baissac, président du cabinet Eunomix, sur les ondes de RFI : « L’État n’a que le choix de renflouer, mais de manière insuffisante, ce qui revient à mettre un pansement sur une plaie béante. »
Eskom entraîne l’économie sud-africaine dans sa chute
Les défaillances d’Eskom pèsent de plus en plus sur la santé économique du pays. La croissance du PIB (produit intérieur brut) s’est contractée, estimée à 0, 7 % en 2019, selon le FMI, contre 0,8 % l’an dernier. Le retour des « load shedding », délestages, laisse planer l’ombre de la récession. À l’issue d’une mission dans le pays en novembre dernier, le FMI a considéré qu’Eskom représentait le plus gros risque économique pour le pays. Le Fonds a ainsi exhorté l’Afrique du Sud à engager des réformes drastiques, notamment dans le domaine de l’énergie. Eskom croule sous une dette de 26 milliards d’euros, soit 15 % de la dette du pays.
Les agences de notation, inquiètes devant l’ampleur du problème énergétique et la dette qui se creuse, ont dégradé la note de l’Afrique du Sud. Moody’s a fait passer la perspective de stable à négative, rejoignant les autres agences qui avaient déjà pris cette décision. En novembre, l’agence Standard & Poor’s a maintenu l’Afrique du Sud dans la catégorie des investissements dits « spéculatifs » en confirmant sa note BB + et en l’assortissant d’une perspective négative à cause de sa faible croissance et de son endettement.
Avec une croissance faible du PIB par habitant et peu de créations d’emplois, le FMI a souligné que l’augmentation de la population en âge de travailler devrait exacerber le chômage, la pauvreté et les inégalités. La croissance économique devrait rester inférieure à la croissance démographique pour la sixième année consécutive en 2020.
Source: Le Point Afrique/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée