L’Elysée avait fait savoir qu’Emmanuel Macron souhaitait « franchir un nouveau pas » dans la « reconnaissance » de l’« abandon » des harkis par la France. C’est dans cette optique que le président de la République leur a demandé « pardon » au nom de la France, lundi 20 septembre.
Dans le cadre d’une réception à l’Elysée consacrée à la mémoire des harkis ayant combattu aux côtés de l’armée française durant la guerre d’Algérie, M. Macron a également annoncé la présentation, « avant la fin de l’année », d’un projet de loi de « reconnaissance et de réparation ».
« La République a contracté à leur égard une dette. Aux combattants, je veux dire leur reconnaissance, nous n’oublierons pas. Aux combattants abandonnés, à leurs familles qui ont subi la prison, je leur demande pardon. Nous n’oublierons pas. Depuis la République s’est ressaisie. Elle s’est engagée sur la voie de la vérité et de la justice. »
Réclamée avec force par les associations, cette loi, qui devrait être votée avant la fin de la session parlementaire, en février 2022, visera à mettre en place une commission nationale qui estimera notamment les demandes de réparation des anciens combattants et de leurs enfants et petits-enfants qui vivent dans la précarité.
« L’histoire des harkis est grande et douloureuse. (…) C’est l’histoire de déchirures : déchirure de deux pays, déchirure avec vos terres natales, déchirure entre Français, a déclaré M. Macron dans son discours. C’est la tragédie d’une fidélité bafouée plusieurs fois par les massacres en Algérie, par l’exclusion en France, puis par le déni et le refus de reconnaissance. Votre histoire, c’est la nôtre. »
« La France a manqué à ses devoirs »
« Après la guerre d’Algérie, la France a manqué à ses devoirs envers les harkis, leurs femmes, leurs enfants », a estimé M. Macron, tout en précisant qu’il ne souhaite pas « juger le rôle des dirigeants d’alors, c’est le rôle des historiens, pas celui d’un président. Je ne saurais dire ce que j’aurais fait à l’époque ». Durant son discours, le chef de l’Etat a été interpellé par plusieurs personnes présentes dans la salle.« On n’a pas de passé (…). Mon cœur est blessé », lui a lancé une femme, la voix tremblante et les larmes aux yeux. « Il n’y a aucun mot qui réparera vos brûlures et ce que vous avez vécu », a répondu le président.Le visionnage de cette vidéo est susceptible d’entraîner un dépôt de cookies de la part de l’opérateur de la plate-forme vidéo vers laquelle vous serez dirigé(e). Compte-tenu du refus du dépôt de cookies que vous avez exprimé, afin de respecter votre choix, nous avons bloqué la lecture de cette vidéo. Si vous souhaitez continuer et lire la vidéo, vous devez nous donner votre accord en cliquant sur le bouton ci-dessous.Lire la vidéo
Cette loi « est un pas historique », a réagi la journaliste Dalila Kerchouche, fille de harki. « Pour la première fois, un président a compris la gravité du drame des harkis », qui « ont été trahis par l’Etat français », a-t-elle ajouté. De son côté, la sénatrice Les Républicains (LR) des Bouches-du-Rhône Valérie Boyer a salué sur Twitter « des mots justes du président de la République envers les harkis ». « Dommage qu’il faille attendre qu’il soit candidat non déclaré pour la présidentielle pour attendre de voir des propositions qui ont pourtant été rejetées ces dernières années lorsqu’elles venaient de la droite », a-t-elle toutefois regretté. Tout en fustigeant également « l’arrière-pensée électorale » de M. Macron, le sénateur LR de Vendée Bruno Retailleau « salue la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat français dans l’abandon des harkis ».
Pour Marine Le Pen, qui a tweeté avant que le chef de l’Etat ne fasse ses annonces, « la générosité électorale d’Emmanuel Macron ne réparera pas des décennies de mépris ainsi que l’outrage commis par le président à la mémoire de ces combattants de la France accusés, en 2017, avec d’autres, de “crime contre l’humanité” ».
Victimes de représailles en Algérie
Ce discours de M. Macron s’est tenu cinq jours avant la Journée nationale d’hommage aux harkis, qui est célébrée chaque 25 septembre depuis 2003. Au cours de cette réception, le chef de l’Etat a également décidé de mettre à l’honneur « trois porteurs symboliques » de la mémoire des harkis : Salah Abdelkrim, combattant lors de la guerre d’Algérie, est élevé au rang d’officier de la Légion d’honneur ; le général français François Meyer, qui avait désobéi à sa hiérarchie et organisé le rapatriement en France de 350 harkis, est lui aussi décoré ; ainsi que Bornia Tarall, fille de harki, militante de l’égalité des chances et de la diversité.
Les harkis sont ces anciens combattants – jusqu’à 200 000 hommes – recrutés comme auxiliaires de l’armée française pendant le conflit qui opposa de 1954 à 1962 des indépendantistes algériens à la France. Quelque 42 000 harkis, accompagnés parfois de leurs femmes et enfants, sont évacués en France par l’armée et transitent par des camps aux conditions de vie souvent indignes. Près de 40 000 autres y parviennent par des filières semi-clandestines ou clandestines. Au total, entre 80 000 et 90 000 personnes arrivent en France selon certaines estimations, pour la majorité entre 1962 et 1965. Les autres, désarmés, sont livrés à leur sort en Algérie. Considérés comme des traîtres par le nouveau régime, ils sont victimes avec leurs familles de sanglantes représailles.
Ces dernières années, les gouvernements français qui se sont succédé ont tenté de commémorer les harkis et de reconnaître les souffrances subies. Au cours d’une journée d’hommage unique, le président Jacques Chirac déclarait en 2001 que « les massacres commis en 1962, frappant les militaires comme les civils, les femmes comme les enfants, laisseront pour toujours l’empreinte de la barbarie. Ils doivent être reconnus ». Puis, en 2005, une loi est adoptée prévoyant une allocation de reconnaissance pour « les harkis, leurs orphelins et les rapatriés d’origine européenne ». Enfin, en 2016, le président François Hollande avait solennellement reconnu les « responsabilités des gouvernements français dans l’abandon des harkis, les massacres de ceux restés en Algérie et les conditions d’accueil inhumaines des familles transférées dans les camps en France ».
Source: Le Monde Afrique/ Mis en Ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée