Au Mali ou au Congo, moins de 70 % des fonds alloués par le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme sont consommés.
Comment éliminer les grandes pandémies dans des pays où l’Etat est faible sinon absent de larges pans du territoire ? Alors que la pérennisation des financements pour la lutte contre le paludisme, le sida et la tuberculose – en jeu avec la sixième reconstitution du Fonds mondial discutée à Lyon mardi 9 et mercredi 10 octobre – est cruciale pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale, la capacité de ces pays à utiliser les ressources qui leur sont allouées l’est tout autant. Ils affichent en effet les plus faibles taux d’absorption des ressources promises par les bailleurs alors que l’urgence reste immense.
Si d’importants progrès ont été réalisés, la région continue de supporter 40 % de la charge mondiale du paludisme. Elle est ainsi la zone la plus touchée par ce fléau qui tue en particulier les femmes enceintes et les jeunes enfants. Le sida recule moins vite que sur le reste du continent et la prise en charge des malades demeure très en deçà des objectifs fixés par Onusida. Moins d’un malade sur deux reçoit des antirétroviraux, même si des pays comme le Burkina Faso font mieux (65 %). L’évolution de la tuberculose s’avère également préoccupante avec une hausse de 5 % par an des décès depuis le début de la décennie, contrastant avec un reflux sur le reste du continent.
« Des efforts effacés »
Le manque de capacités institutionnelles et humaines pour gérer le déploiement des programmes de santé explique en partie ces retards. C’est ce qui ressort du rapport commandé par le Fonds mondial sur la « mise en œuvre des subventions en Afrique occidentale et centrale ». Six pays – Mali, Mauritanie, Libéria, Congo, Tchad et Gabon – utilisent moins de 70 % des guichets qui leur sont ouverts. La majorité des pays de la région a connu des crises politiques ou sécuritaires sévères au cours de la dernière décennie, dont les répercussions sur les systèmes de santé se révèlent aujourd’hui très lourdes. « La Côte d’Ivoire était le hub sanitaire de l’Afrique de l’Ouest. Mais, après dix années de crise au cours desquelles aucun investissement quasiment n’a été fait dans le secteur de la santé, tous les efforts réalisés auparavant ont été effacés », reconnaît le ministre ivoirien de la santé, Eugène Aouélé Aka.
Le personnel de santé tout comme les dépenses, rapportés au nombre d’habitants, y sont trois fois moins importants qu’ailleurs en Afrique. La région dispose de 0,11 médecin pour 1 000 habitants quand l’objectif minimal fixé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) est de 1,49 et que seulement 25 dollars par an et par habitant (soit 22,80 euros) sont consacrés à la santé. « Il y a ce que les pays souhaitent faire et il y a les limites qu’ils ne peuvent dépasser, rappelle Abdourahmane Diallo, directeur exécutif du partenariat Roll Back Malaria et ancien ministre de la santé de Guinée qui eut à gérer la crise Ebola en 2014. Tout ministre rêve d’être le pilote d’un grand plan de santé avec ses priorités nationales sur lesquelles s’aligneraient tous les partenaires techniques et financiers. »
Il est en réalité très exceptionnel que cela se passe comme cela. Face à des Etats exsangues, ce sont les donateurs qui donnent le tempo. « Nos administrations sont faibles et n’ont pas les capacités de répondre aux procédures différentes des partenaires étrangers, souligne Michel Sidibé, ministre de la santé du Mali et ancien directeur exécutif d’Onusida. Cette fragmentation est une difficulté. Comment voulez-vous que le Mali gère plus de 180 interlocuteurs ? Le sens de l’urgence devrait conduire les bailleurs à alléger leurs conditions de financement sinon nous n’y arriverons pas. » Le Burkina Faso réclame également davantage de coordination des bailleurs. « Nous sommes en train de créer une plate-forme unique car la santé est un tout et nous souhaitons que les partenaires s’alignent sur nos priorités », plaide la ministre de la santé, Léonie Claudine Lougué.
« Mutualiser l’achat de médicaments »
Le Fonds mondial prend aussi sa part de responsabilités dans l’existence de goulots d’étranglement dans l’acheminement de l’aide. Il reconnaît ainsi ses difficultés à adapter ses procédures de décaissement aux « contextes locaux difficiles ». Quand la crainte d’exposer l’institution à des pertes financières ne l’a pas tout simplement conduit à durcir, dans certains cas, ses exigences.
Pour remettre sur les rails les pays les plus en difficulté dans la lutte contre ces pandémies, l’idée d’une plus grande coopération régionale fait son chemin. Fin 2018, huit pays du Sahel se sont regroupés dans une Initiative pour l’élimination du paludisme dans le Sahel. « Nous allons pouvoir mutualiser l’achat des médicaments et ainsi faire baisser le coût des traitements », explique Awa Marie Coll Seck, l’ambassadrice du projet et ministre de la santé sénégalaise. L’ambition est aussi de parvenir à étendre les politiques qui ont fait leurs preuves, comme celles menées par le Cap-Vert, où l’élimination de la maladie pourrait être atteinte l’année prochaine.Sommaire de notre série « A quoi sert le Fonds mondial ? »
Fruit d’un partenariat entre Etats, organisations, secteur privé et malades, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme investit près de 4 milliards de dollars par an (près de 3,7 milliards d’euros) pour soutenir des programmes de lutte contre ces trois maladies. Organisée tous les trois ans, la conférence de reconstitution des fonds de cette organisation internationale a lieu les mercredi 9 et jeudi 10 octobre à Lyon, sous la présidence d’Emmanuel Macron. Le Monde Afrique s’est rendu en Côte d’Ivoire, au Maroc, au Ghana et au Mali pour voir des exemples concrets de cette mobilisation. Zoom en reportages.
Source: Le Monde Afrique/Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-exaucée