Le pays s’accroche au texte signé à Bangui le 6 février 2019 qui, malgré de multiples violations, a déjà produit quelques avancées.
Des factions armées se sont encore affrontées à Bria, dans le nord-est de la Centrafrique, dimanche 26 janvier, faisant plusieurs dizaines de morts. Un épisode violent de plus, qui pourrait laisser penser que le pays reste embourbé dans la crise politico-militaire née en 2013. La prise de la capitale par la Séléka, une coalition de groupes armés venus du nord et de l’est, avait alors plongé le pays dans la guerre civile et placé des pans entiers du territoire sous contrôle de milices.
Pourtant, depuis le début de la période de transition de 2014, l’Etat, soutenu par la communauté internationale, a repris une partie du contrôle de son territoire. Et, en parallèle, les négociations entre le gouvernement et quatorze groupes armés ont abouti à la signature d’un accord de paix à Bangui le 6 février 2019, qui a d’ores et déjà eu des répercussions positives sur le terrain.
« D’une manière globale, la signature de l’accord s’est traduite par une baisse de la violence, explique ainsi Vladimir Monteiro, porte-parole de la mission des Nations unies en Centrafrique (Minusca). Même si nous avons encore assisté à des pics de violations extrêmement graves. » Bien que réels, ces progrès sont marqués par un bilan humanitaire lourd, avec 690 000 déplacés internes recensés en 2019, en progression de 40 000 par rapport à l’année précédente.
« L’inclusivité », une des bases de l’accord
Il peut paraître étrange dès lors que certains responsables de groupes armés participent au gouvernement, alors même que leurs troupes ne respectent pas l’accord. Selon Ange-Maxime Kazagui, le ministre de la communication et porte-parole du gouvernement, ceci est lié au pari qui a été fait de « l’inclusivité », une des bases de l’accord. Comme il le rappelle volontiers, « ce n’est pas au premier, au deuxième ou au dixième incident que l’on doit dire qu’un accord est mort ». Il mise sur un dialogue ferme avec ces groupes armés pour les convaincre de respecter l’accord, et même de démobiliser leurs troupes.
D’ailleurs, côté progrès, des programmes mis en place pour une réinsertion des combattants dans la vie civile ont permis des avancées dans l’ouest du pays. La plupart des volontaires pour ce désarmement demandent à être intégrés dans les Forces armées centrafricaines (FACA) ou au sein des Unités spéciales mixtes de sécurité (USMS).Ce sont d’ailleurs ces unités, point-clef de l’accord de paix, qui doivent sécuriser les couloirs de transhumance, mais elles tardent à se mettre en place et, pour le moment, une seule d’entre elles a été officiellement créée, dans la ville de Bouar, au nord-ouest du pays.
Il y a pourtant urgence. Avec le retour de la saison sèche, les conflits entre agriculteurs et éleveurs pourrait reprendre, même si le gouvernement assure que les derniers obstacles ont été levés pour étendre ces USMS vers le nord et l’est.
Le redéploiement des forces armées
Tout au long de l’année s’est par ailleurs poursuivi le redéploiement des FACA, y compris dans les zones sous contrôle des groupes. Formées par l’Union européenne mais aussi, depuis 2018, complémentairement par des « instructeurs privés » russes dans le cadre d’un nouvel accord de coopération militaire avec Moscou, les FACA sont désormais également un peu mieux armées. La levée partielle à plusieurs reprises de l’embargo onusien, sur fond de dissensions diplomatiques entre la France et la Russie notamment, a en effet permis plusieurs livraisons d’armes et de matériel à destination de l’armée. Les FACA redéployées sont cependant toujours en nombre insuffisant dans l’arrière-pays. Mais leur présence peut suffire à encourager les fonctionnaires à prendre leurs fonctions dans ces villes de région.
« L’effritement de l’Etat et des services de base (santé, éducation, sécurité, justice) date d’avant le conflit », estime Mamadou Sow, conseiller technique principal au Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). « C’est d’ailleurs ce qui a engendré un sentiment de frustration, à l’origine de la création des groupes armés et des groupes d’autodéfense », ajoute-t-il. Moins spectaculaire que le retour des FACA, la réinstallation d’une administration civile dans l’arrière-pays est donc jugé ultra-prioritaire.
« Même dans les zones occupées par les groupes armés, tous les acteurs réclament qu’il y ait plus d’enseignants, de personnel médical, pour leurs familles, leurs enfants, poursuit Mamadou Sow. Les fonctionnaires que les groupes armés ne voulaient pas voir, sont ceux des régies financières (impôts, douanes) et des forces de défense et de sécurité, même si dans le cadre de l’accord de paix, le redéploiement de forces de police et de gendarmerie a également pu avoir lieu. »
« Apaisement »
Les 1 315 agents de l’Etat recensés à leur poste en 2015 sont désormais 3 418 en janvier 2019, dont 1 200 dans l’est du pays. Même s’il s’est accru depuis un an, ce nombre est là encore très largement insuffisant pour assurer tous les services de base. Néanmoins, veut croire Ange-Maxime Kazagui, « les effets induits par la présence de fonctionnaires, de leurs salaires, ainsi que la réhabilitation d’infrastructures sociales sont bénéfiques et profitent également à la croissance du pays ».
Selon la Banque mondiale, cette croissance a atteint 4,8 % en 2019 (contre 3,7 % l’année précédente). Un bon chiffre, lié en partie au fait que l’économie redémarre de très bas. Mais l’institution rappelle également que « les perspectives économiques demeurent positives grâce à la signature de l’accord ». Les handicaps structurels demeurent cependant importants, notamment pour certaines régions très enclavées. Et l’environnement des affaires n’est toujours pas jugé assez bon pour attirer les investisseurs. « Un problème épineux », reconnu il y a peu sur une radio par le ministre de l’économie Félix Moloua, qui affirme qu’une loi est en cours d’adoption pour améliorer leur protection juridique.
Outre les nombreux projets humanitaires et de développement en cours, la communauté internationale va financer une bonne partie du processus électoral de 2020-2021, dont la présidentielle du 27 décembre. Cette année sera en effet « sensible, prévient Ange-Maxime Kazagui. Il est important que tout le monde reste très concentré afin qu’il n’y ait pas de glissement. » Ce que les partenaires internationaux ont déjà souligné maintes fois.
Le retour récent d’exil des anciens dirigeants Michel Djotodia et François Bozizé, les deux principaux acteurs de la crise de 2013, a de nouveau créé des remous et laissé craindre de nouveaux troubles. Depuis, chacun des quatre anciens dirigeants depuis 2013 a été reçu en tête-à-tête par le président Touadéra, en signe d’« apaisement », souligne le porte-parole du gouvernement. Lundi 27 janvier, lors de sa première apparition publique depuis son retour, François Bozizé a affirmé être rentré lui aussi « dans un esprit d’apaisement ». Un écho rassurant, à quelques jours de l’anniversaire de l’accord de paix.
Source: Le Monde Afrique /Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée