Grand tapis jaune déroulé au sol, musiques et danses traditionnelles, cérémonie du café et interviews avec les médias locaux : dès leur arrivée à l’aéroport international Bole d’Addis-Abeba, les membres de la diaspora venus passer leurs vacances en Ethiopie sont célébrés en héros par les autorités. Et, depuis le début du mois de janvier, ils ont déjà été plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines, de milliers à se rendre dans leur pays d’origine.
Ces Ethiopiens de l’étranger ont répondu à l’appel du premier ministre, Abiy Ahmed, qui les a invités à participer en masse à l’opération du « Great Homecoming » (le « Grand Retour ») pour soutenir son administration après des mois de crise.
Pour les faire venir, l’Ethiopie n’a pas lésiné sur les moyens. Le gouvernement leur a proposé des réductions de 30 % sur les billets d’avion de la compagnie nationale Ethiopian Airlines. Les tour-opérateurs et les hôtels ont emboîté le pas, offrant des promotions sur les voyages touristiques en Ethiopie.
Afin qu’Addis-Abeba présente son plus beau visage, les cireurs de chaussures ont été temporairement évacués des quartiers chics. Et pas moins de dix-huit événements ont été organisés au mois de janvier – forums économiques, fêtes religieuses, dons du sang… – autour de cette opération.
Message de normalisation
L’importance accordée à la diaspora, qui compte entre 1,2 million et 3 millions de personnes dans le monde, est à la mesure du soutien que ses membres ont apporté à Abiy Ahmed dans le cadre de la guerre du Tigré. Aux Etats-Unis notamment, où ils sont environ 246 000, les Ethiopiens ont régulièrement servi de porte-voix aux autorités d’Addis-Abeba, engagées dans un conflit sanglant contre les rebelles des Forces de défense tigréennes (TDF) depuis novembre 2020.
Le succès du hashtag #NoMore (#Assez) est l’un des symboles de ce rapprochement. Ce cri de ralliement patriotique, lancé par le gouvernement éthiopien sur les réseaux sociaux, vise aussi bien les rebelles des TDF que l’Occident impérialiste et s’oppose aux appels de la communauté internationale à un cessez-le-feu. La diaspora en Amérique du Nord a contribué à amplifier le slogan, brandi lors de manifestations organisées simultanément dans une vingtaine de villes américaines le 22 novembre 2021.
La venue massive, pour quelques semaines, de ces Ethiopiens de l’étranger permet au gouvernement d’envoyer un message de normalisation aux pays ayant évacué leurs ressortissants en novembre. Un sauve-qui-peut déclenché à l’époque par l’avancée des rebelles, qui se sont rapprochés à moins de 200 kilomètres d’Addis-Abeba avant de se replier de nouveau vers le Tigré.
Alors que les régions Afar et surtout Amhara portent encore les stigmates des derniers combats, les autorités facilitent les opérations de fret pour que la diaspora puisse apporter son aide à ces deux provinces dont sont originaires de nombreux Ethiopiens des Etats-Unis. Un groupe d’amis, venus pour le « Great Homecoming », a ainsi réuni environ 10 000 dollars (8 800 euros) pour secourir les rescapés de la guerre.
« Nous avons envoyé trois camions dans la ville de Dessié [en région Amhara] », se félicite le gérant d’un café connu pour être le rendez-vous de la diaspora à Addis-Abeba. Des kilos de savon, d’huile et de farine ont pu être convoyés dans plusieurs zones détruites de la province.
Poule aux œufs d’or
D’après l’Agence de la diaspora éthiopienne, 23 000 Ethiopiens de l’étranger ont donné l’équivalent de 5 millions de dollars pour la reconstruction des deux régions depuis octobre. Deux millions de dollars supplémentaires ont été récoltés pour soutenir l’armée fédérale.
Souvent décrite comme une poule aux œufs d’or, la diaspora est depuis longtemps invitée à investir en Ethiopie sur le long terme. En 2018 déjà, peu après son arrivée au pouvoir, Abiy Ahmed lui avait enjoint de soutenir ses réformes économiques et la construction du grand barrage de la Renaissance sur le Nil. Le premier ministre priait chacun de ses membres de verser l’équivalent d’un « macchiato » par jour, soit 1 dollar. L’Ethiopian Diaspora Trust Fund, l’organisation à but non lucratif chargée de réunir ces fonds, a reçu 8,5 millions de dollars en deux ans et demi.
« Transférer de l’argent via des institutions légales, promouvoir le “made in Ethiopia” et investir peut permettre de faire diminuer notre dépendance économique ainsi que les pressions extérieures qui pèsent sur l’Ethiopie », déclarait le ministre adjoint des affaires étrangères, Redwan Hussein, le 12 janvier, devant un parterre d’invités venus d’Amérique du Nord.
Le gouvernement cherche ainsi à atténuer les effets de la guerre du Tigré sur l’économie, comme la pénurie de devises étrangères et l’inflation. Entre autres conséquences du conflit, Washington a exclu l’Ethiopie, début janvier, de l’accord commercial de l’AGOA (African Growth and Opportunity Act), accusant Addis-Abeba de violations des droits de l’homme.
Grâce à cette « loi sur la croissance et les opportunités de développement en Afrique », l’Ethiopie avait pu exporter pour 245 millions de dollars de biens détaxés vers les Etats-Unis en 2020, sur un total de 525 millions de dollars. Le retour de bâton a été immédiat. Les exportations de cuir éthiopien vers les Etats-Unis, par exemple, ont diminué de 64 % depuis l’exclusion de l’AGOA, selon le ministre de l’industrie éthiopien, Melaku Alebel.
« Il faut apporter du dollar »
« C’est une décision injuste, mais la diaspora doit pouvoir combler le vide laissé par l’AGOA, c’est notre devoir, estime Kal Kassa, un spécialiste des bitcoins installé au Texas. Il faut apporter du dollar en Ethiopie, consommer local, investir et passer par le système bancaire conventionnel. Le marché noir tue notre économie. »
Le gouvernement éthiopien cherche à susciter ce que Kal Kassa nomme des « dépenses patriotiques ». Cependant, rares sont les Ethiopiens de la diaspora qui choisissent de refaire leur vie dans leur pays d’origine. « Investir en Ethiopie peut être difficile pour un homme d’affaires habitué au système américain, reconnaît Kal Kassa, revenu vivre en Ethiopie pendant cinq ans, de 2013 à 2018, avant de repartir aux Etats-Unis. La bureaucratie est un casse-tête et la régulation est lourde, en particulier dans les domaines de la finance et des télécommunications. »
Début janvier, la ville de Debre Birhan, située à 130 kilomètres au nord de la capitale, a mis 500 hectares à disposition de la diaspora voulant investir dans des projets industriels. Seuls une dizaine d’intéressés se sont manifestés pour le moment.
Surtout, en pleine lune de miel, un événement est venu sérieusement fragiliser l’élan patriotique du « Great Homecoming ». Le 7 janvier, jour du Noël éthiopien, Abiy Ahmed a amnistié une trentaine de prisonniers politiques, dont six cadres du Front de libération du peuple du Tigré, la matrice de l’insurrection tigréenne. Une libération qui a suscité l’ire des responsables de la région Amhara, et, par ricochet, des nombreux Ethiopiens de l’étranger originaires de cette province.
Une semaine plus tard, vingt et une associations de la diaspora en Amérique du Nord protestaient dans une lettre ouverte contre « une décision suspecte, incompréhensible, incohérente et à la légalité douteuse (…) qui ébranle l’unité nationale ».
Source: Le Monde Afrique/Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée