Des ONG veulent faire appliquer la loi française sur le devoir de vigilance, qui obligerait légalement les maisons mères des multinationales établies en France à prévenir les violations des droits humains et les dommages environnementaux liés à leurs activités dans le monde entier.
C’est un document qui accuse le groupe pétrolier Total. Les associations françaises Amis de la Terre France et Survie publient, mardi 20 octobre, un rapport intitulé Un cauchemar nommé Total. Sur une trentaine de pages, les organiations non gouvernementales (ONG) dénoncent le projet Tilenga de forage et de l’exploitation de plus de 400 puits, dont au moins 132 dans un parc naturel protégé en Ouganda, et le projet de construction de construire l’East Africa Crude Oil Pipeline (ou EACOP, pour « Oléoduc de pétrole brut de l’Afrique de l’Est »), le plus long oléoduc chauffé au monde, qui traversera l’Ouganda et la Tanzanie.
Ces deux projets pétroliers de Total entraînent des violations des droits de plus de 100 000 personnes en Ouganda et en Tanzanie, accusent les ONG, qui ont mené une enquête de terrain entre juin et septembre. Le groupe français n’a pas voulu faire de commentaire dans l’immédiat.
Audience en appel le 28 octobre
Les deux associations avaient porté l’affaire devant la justice en 2019, mais le tribunal judiciaire de Nanterre s’était déclaré en début d’année incompétent pour la juger. Ce rapport, qui est publié avant une audience en appel prévue le 28 octobre, précise que « la problématique d’accaparement des terres est au centre des violations subies par les communautés affectées ».
Dans le cadre de leur action en justice, aux côtés de quatre associations ougandaises, Les Amis de la Terre France et Survie tentent de faire appliquer la loi française sur le devoir de vigilance, obligeant légalement les maisons mères des multinationales établies en France à prévenir les violations des droits humains et les dommages environnementaux liés à leurs activités dans le monde entier.
Evoquant des « déplacements massifs de population » liés aux deux projets, les associations reprochent notamment au groupe pétrolier d’imposer des restrictions aux communautés.
« Ce sont maintenant plusieurs dizaines de milliers de personnes qui sont impactées et qui ont commencé à perdre leurs moyens de subsistance ; l’une des principales violations (…) concerne les restrictions imposées aux communautés dans l’usage de leurs terres agricoles, dont elles dépendent pour survivre, et ce bien avant d’avoir reçu leurs compensations », relève le rapport.
« En 2019, nous avions alerté sur la nécessité de mesures urgentes pour que ces violations ne se répètent pas à grande échelle. Ce qu’on redoutait est malheureusement devenu réalité, touchant environ 100 000 personnes en Ouganda et en Tanzanie », estime Juliette Renaud, responsable de campagne aux Amis de la Terre France.
Conséquences écologiques
Ces associations s’inquiètent aussi des conséquences écologiques de ces projets pétroliers, car plus de 50 % des espèces d’oiseaux et 39 % des espèces de mammifères vivant sur le continent africain sont représentées dans le bassin du lac Albert. « Le projet EACOP (…), un oléoduc géant de 1 445 km de long chauffé à 50 degrés, transportera le pétrole extrait aux abords du lac Albert en Ouganda jusqu’à la côte nord-est de la Tanzanie. » Ces deux projets impliquent des déplacements massifs de population.
« La dernière année a aussi été marquée par la multiplication des menaces, intimidations et persécutions des leadeurs communautaires, des organisations de la société civile et des journalistes qui se mobilisent et dénoncent publiquement les impacts négatifs du développement pétrolier en Ouganda », alertent en outre ces associations.
Accusations récusées par Total
Dans un communiqué publié mardi soir, Total déclare que le projet Tilenga en Ouganda a été conçu « avec le souci primordial de minimiser et d’atténuer les impacts sur les communautés locales ». « Aucune personne n’a eu à quitter sa terre avant de recevoir une compensation appropriée pour les terres comme pour les cultures », soutient le groupe, qui précise discuter avec les autorités ougandaises d’un « système de paiement intérimaire pour prendre en compte le temps écoulé entre les évaluations et le versement effectif des indemnisations avant le transfert de possession des terrains concernés ».
Total « récuse à nouveau les accusations d’atteintes aux droits humains et réaffirme qu’il ne tolère ni ne contribue à aucune agression, menace physique ou juridique, contre ceux qui exercent leur droit à la liberté d’expression, à manifester et se réunir pacifiquement, y compris lorsqu’ils agissent en tant que défenseurs des droits humains ».
Source : Le Monde Afrique/Mis en ligne : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée