Vaccination, dépistage, traitement… Le pays, qui vient de s’extirper de trois épidémies successives depuis 2018, a considérablement progressé dans sa gestion de la maladie.
La situation semblait critique. En mai, lorsque la onzième épidémie d’Ebola éclate dans la province de l’Equateur, la République démocratique du Congo (RDC) doit déjà faire face à un autre foyer, dans l’est du pays. A la tête de la riposte, le professeur Steve Ahuka ne se laisse pas décourager. « C’était compliqué, se souvient-il. Mais on savait qu’on avait les bons outils pour la vaincre. » Six mois plus tard, le 18 novembre, la RDC s’extirpe enfin de trois épidémies d’Ebola successives depuis 2018. Désormais, le virus semble plus contrôlable que jamais.
La recherche scientifique sur Ebola a connu une accélération importante pendant les flambées congolaises. D’abord avec le déploiement d’un premier vaccin. Produit par le laboratoire Merck et testé lors de l’épidémie en Afrique de l’Ouest à partir de 2014, il a été expérimenté dès 2018 en RDC. Les résultats ont convaincu les acteurs de la riposte : 97,5 % d’efficacité selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Quelque 350 000 personnes ont été vaccinées dans l’est dans le cadre d’un protocole humanitaire dit « compassionnel », c’est-à-dire que le vaccin a pu être utilisé avant même son homologation. Il a finalement été approuvé en décembre 2019 par la Food and Drug Administration (FDA), aux Etats-Unis.
Dans l’Equateur, une campagne de vaccination a pu être mise sur pied en quelques jours. Les doses Merck homologuées n’étant pas encore disponibles sur le terrain, les équipes ont utilisé des doses d’expérimentation et respecté un protocole précis, celui de la vaccination en anneau. « On commence par les cas contacts, puis les contacts de contacts, les familles, et quand c’est possible on a même vacciné des villages entiers », raconte Alhassane Touré, coordinateur des activités Ebola pour l’OMS. Plus de 40 000 personnes ont bénéficié de cette vaccination.
Cela a représenté un immense défi logistique, car le vaccin, qui se conserve à – 80 °C, a dû être transporté dans des zones de forêt reculées, inaccessibles par la route. Les équipes ont donc embarqué sur le fleuve Congo à bord de pirogues motorisées, chargées de glacières Arktekpermettant de conserver les vaccins à la bonne température pendant plus d’une semaine et ainsi de vacciner dans des zones privées d’électricité.
La vaccination du personnel médical a permis une meilleure prise en charge des malades. Lors de la grande épidémie en Afrique de l’Ouest, de 2013 à 2016, beaucoup de soignants contractaient Ebola : « On avait dû mettre en place une politique de “no touch”, on ne faisait plus de perfusions et on se limitait souvent à donner du paracétamol aux patients », raconte Natalie Roberts, directrice d’études au Centre de réflexion sur l’action et les savoirs humanitaires (Crash) de Médecins sans frontières (MSF).
Regagner la confiance des habitants
Côté traitement aussi, la médecine a fait un bond en avant. Contracter le virus Ebola ne signifie plus être condamné à mort. Des essais cliniques ont été réalisés pendant la dixième épidémie, au Nord-Kivu et en Ituri, et deux traitements ont été utilisés pour la première fois en Equateur : le MAB114, mis au point par l’Institut national de recherche biomédicale (INRB, à Kinshasa) avec deux laboratoires américains, et le REGN-EB3. Conçus à partir d’anticorps collectés sur des patients décédés d’Ebola, ils s’administrent par une injection du médicament qui prend entre trente et quarante-cinq minutes.
Une solution choisie pour sa fiabilité. « Par rapport aux comprimés à prendre pendant sept ou dix jours, au moins on est sûrs que le patient est traité. Comme la maladie évolue vite, c’était vraiment un facteur important », détaille Natalie Roberts. En moyenne, le taux de létalité est tombé à 43 % dans l’Equateur (contre 70 % dans l’est) et le taux de guérison dans les structures de santé était de 80 %.
Mais pour éviter la transmission du virus et guérir les malades d’Ebola, encore faut-il réussir à les faire venir dans ces structures de soin. Or la défiance de la population a gagné du terrain depuis 2018, en particulier dans l’est. Les gros centres de traitement Ebola, dans les villes, ont vidé de leur personnel les petits centres de santé des périphéries ; et les habitants ont eu l’impression d’être utilisés comme cobayes pour les essais cliniques. Beaucoup de malades sont restés dans leur communauté et n’ont été identifiés que post mortem.
« En Equateur, il y avait moins de résistances parce que c’est une zone d’épidémies récurrentes. La neuvième a eu lieu là-bas en 2018 », explique Guyguy Manangama, qui a piloté la dernière campagne contre Ebola pour MSF. Pour regagner la confiance des habitants, des ONG poussent pour une décentralisation de la riposte, en essayant au maximum d’utiliser les structures de santé existantes afin de venir au plus près des malades. « Ça rassure les gens et ça limite les déplacements à risque », souligne M. Manangama.
L’idée est aussi d’autonomiser ces structures, en formant des vaccinateurs et des médecins, pour que le système de santé soit renforcé en cas de prochaine flambée. « Il faut aussi que les hôpitaux aient des structures d’isolement et des stocks de vaccins et de traitements en cas de résurgence », plaide le responsable de MSF.
« Les chauves-souris sont soupçonnées »
Avec ces progrès, Ebola pourrait-elle devenir une maladie « comme les autres » ? C’est le sentiment du co-découvreur du virus, le Congolais Jean-Jacques Muyembe, qui dirige l’INRB. Mais la gestion de la maladie peut être encore améliorée. Le processus de test PCR prend trop de temps, car il faut que les échantillons arrivent jusqu’aux laboratoires dans les villes pour être analysés. Or la maladie progresse vite et trois jours après, il est parfois trop tard. Des tests rapides existent et pourraient être déployés lors des prochaines épidémies, mais leur fiabilité n’est pas encore parfaite et il y a un risque de faux négatifs. Les scientifiques réfléchissent à un algorithme de triage couplant examens cliniques et tests rapides.
Reste encore à déterminer le principal vecteur du virus Ebola. Un mystère qui persiste depuis la découverte de la maladie, il y a quarante-quatre ans. A l’INRB, les recherches continuent pour identifier le réservoir du virus, c’est-à-dire l’animal ou l’insecte porteur dans la forêt tropicale. « Les chauves-souris sont soupçonnées mais on n’a pas encore de preuves suffisantes, explique le professeur Muyembe. Quand on aura trouvé le réservoir, il sera plus simple de l’éviter. » De Kinshasa à Paris, en passant par les Etats-Unis, les scientifiques ont encore beaucoup à apprendre… En attendant la prochaine épidémie.
Source: Le Monde Afrique/Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée