Le président de la République centrafricaine a rencontré Emmanuel Macron pour désamorcer les tensions nées du rapprochement avec Moscou.
La paix est l’objectif déclaré de Faustin-Archange Touadéra. Dans un entretien accordé jeudi 5 septembre au Monde Afrique, le président de la République centrafricaine aura prononcé ce mot à de multiples reprises. De passage à Paris pour une rencontre avec Emmanuel Macron, M. Touadéra se félicite par ailleurs que la France reprenne sa place de partenaire historique de son pays.
La France était particulièrement investie en Centrafrique avant votre élection en 2016. Avez-vous eu le sentiment d’un délaissement après votre accession au pouvoir ?
Il faut reconnaître que nous avions souhaité que la force « Sangaris » [l’opération militaire française déployée en Centrafrique entre décembre 2013 et octobre 2016] poursuive sa mission et avons regretté son retrait. Mais aujourd’hui, nous voyons qu’un certain nombre de programmes ont été rétablis, notamment dans le renforcement et la modernisation de l’administration centrafricaine. Depuis notre dernière rencontre avec le président Macron, il y a un véritable réengagement de la France aux côtés de la Centrafrique, que ce soit diplomatiquement, sur les actions de terrain ou les projets humanitaires
Mais avant que la France revienne, la Russie s’est considérablement investie. Ne craignez-vous pas que votre pays devienne un terrain d’affrontements entre grandes puissances ?
« Tous les pays amis qui veulent apporter leur soutien pour ramener la paix et la stabilité sont les bienvenus. »
Je ne le pense pas. La coopération avec la Russie ne date pas d’aujourd’hui, elle existe depuis les années 1960. Aujourd’hui, la Russie fournit à la Centrafrique des moyens létaux pour nos forces de défense et il n’y a pas de raison qu’il y ait des affrontements avec la France. Ce n’est pas notre ambition. Aujourd’hui, la Centrafrique a de nombreux défis et tous les pays amis qui veulent apporter leur soutien pour ramener la paix et la stabilité sont les bienvenus. Les conflits qu’on évoque entre la France et la Russie n’ont pas lieu d’être. Les deux pays doivent travailler en Centrafrique en toute synergie pour que la paix revienne. La presse en a fait beaucoup et a donné l’impression qu’il y avait des conflits entre ces deux pays, mais les autorités centrafricaines font en sorte qu’il y ait la transparence. La France, qui est le partenaire historique de la Centrafrique, a sa place. La Russie, qui apporte quelques éléments de soutien dans la fourniture d’armes, a également sa place pour nous aider à obtenir la paix et la stabilité.
Les Nations unies ont fait état d’une diminution des violences depuis un an, mais votre pays demeure le théâtre d’affrontements réguliers entre groupes armés, comme dimanche à Birao. L’accord de paix de Khartoum signé en février avec quatorze groupes armés est-il en danger ?
Nous continuons de travailler pour que cet accord puisse nous profiter. Pour l’instant, c’est le seul instrument que nous avons pour aller à la paix et la réconciliation. Nous invitons donc tous nos partenaires à le soutenir. Cet accord suppose des défis quotidiens pour le renforcer. Depuis sa signature, il y a eu des accalmies. Les mécanismes prévus dans le cadre de cet accord sont mis en œuvre par le gouvernement et ses partenaires. Cela fonctionne. Il y a quelques défis en ce qui concerne les groupes armés qui traînent les pieds. Il y a des violations qui ont été identifiées et reconnues et nous travaillons pour que toutes les dispositions de l’accord soient mises en œuvre. C’est vrai qu’il y a quelques problèmes, mais l’accord n’est pas en difficulté.
Mais deux chefs de guerre, Mahamat al-Khatim puis Sidiki Abbas, viennent d’annoncer leur démission des fonctions officielles qui leur avaient été octroyées par cet accord. Cela ne traduit-il pas un malaise ?
C’est une question d’appréciation. Je pense que le comité de suivi a pris à bras-le-corps ce problème. Nous regrettons évidemment que Mahamat al-Khatim et Sidiki Abbas démissionnent de leurs fonctions parce qu’ils estiment qu’un certain nombre de clarifications n’ont pas été données sur leur poste, mais ils ne remettent pas en cause l’accord. Nous allons travailler à ce qu’ils reviennent pour qu’on aille vers le désarmement. C’est l’intérêt de tous.
L’accord de Khartoum ne vous soumet-il pas au bon vouloir des groupes armés, qui jouent le jeu de la paix quand cela leur profite et relancent les hostilités dès que les décisions ne leur conviennent pas ?
« Depuis ma prise de fonction, je ne fais que cela : discuter pour faire taire les armes. »
Non ! Nous avons signé un accord qui prévoit des engagements de la part des uns et des autres. Le gouvernement a vingt et un engagements, les groupes armés en ont dix. Nous avons mis en place des mécanismes de suivi dont l’article 34 mentionne que si on a des difficultés, on se réunit et on discute. C’est ce qui se fait dans le cadre du comité exécutif de suivi. Evidemment, l’appréciation des uns et des autres varie. Il faut donc faire un travail sur les hommes, sur la compréhension de l’accord. C’est ce que nous faisons. Nous avons signé un accord dont tout le monde a vu l’intérêt et nous travaillons sur cette base pour que chacun mesure ses bénéfices. Depuis ma prise de fonction, je ne fais que cela : discuter pour faire taire les armes.Lire aussi
Le chef antibalaka Maxime Mokom est chargé du programme de désarmement des combattants. Sidiki Abbas, dont le groupe est accusé d’avoir massacré 46 personnes près de Paoua en mai, était, avant sa démission, conseiller du premier ministre. N’est-ce pas une prime à l’impunité ?
L’élément fondamental de cet accord est qu’il respecte la Constitution. Notre Constitution dit non à l’impunité et l’accord prend des dispositions pour lutter contre l’impunité. Il n’empêche pas la justice de faire son travail, et le fait que certains soient au gouvernement ne signifie pas que la place est laissée à l’impunité. Tout le monde, y compris les groupes armés, est d’accord pour dire non à l’impunité et rappeler que nous devons aller à la paix et à la justice. Nous avons mis en place une commission inclusive pour identifier et qualifier un certain nombre de crimes. Nous travaillons dans le sens de la lutte contre l’impunité, mais il faut au préalable qu’il y ait la paix, que tout le monde soit rassuré, pour que nous allions vers la justice. La justice sera là.
Une Cour pénale spéciale a vu le jour il y a près d’un an à Bangui, avec pour mission de juger les exactions les plus graves commises depuis 2003. Pourquoi ne pas avoir transféré devant cette juridiction des chefs antibalaka comme MM. Ngaïssona et Rombhot, qui sont aujourd’hui dans l’attente d’un procès devant la Cour pénale internationale (CPI) ?
Nous n’étions pas informés que la CPI devait arrêter M. Ngaïssona. Il a été arrêté en France. M. Rombhot, lui, a été arrêté dans le cadre de l’accord que nous avons avec la CPI. Je pense qu’aujourd’hui, la Cour pénale spéciale a les moyens de commencer son travail et d’atteindre ses objectifs.Lire aussi
Vous avez été élu à la présidence il y a un peu plus de trois ans. La majeure partie du territoire échappe encore à l’autorité de l’Etat. Jusqu’à quel point pensez-vous avoir les commandes du pays ?
« Nous sommes un Etat en reconstruction. C’est une période difficile qui demande la mobilisation de tout le monde. »
Vous savez quel était l’état de notre pays au moment de l’élection. Nous sortons de crise et les séquelles sont nombreuses. Il y a le problème de l’insécurité, une armée totalement effondrée que nous reconstruisons pour la redéployer, une administration en lambeaux que nous sommes en train de reconstruire. Nous sommes un Etat en reconstruction. Nous sommes en train de reconquérir la paix et la stabilité pour notre pays. C’est une période assez difficile qui demande la mobilisation de tout le monde. C’est ce que nous sommes en train de faire. Nous avons hérité d’une situation et il faut reconnaître le travail qui est fait pour que le peuple puisse retrouver la quiétude.
Source: Le Monde Afrique/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée