Le chef islamiste Ghannouchi dissocie les arrangements concernant le gouvernement de celle de l’Assemblée. La base d’Ennahdha refusant de s’associer à Nabil Karoui, soupçonné de blanchiment d’argent. Les tractations sont serrées pour la formation du prochain gouvernement.
Habib Jamli, chef du gouvernement désigné par les islamistes d’Ennahdha, multiplie les concertations pour former son cabinet. Il a rencontré tous les groupes politiques élus à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Toutefois, si la quasi-totalité des réactions est positive, voire annonciatrice d’un consensus national, certains dirigeants d’Ennahdha veulent exclure Qalb Tounes du prochain gouvernement. Les voix du parti de Karoui avaient pourtant permis à Ghannouchi d’être élu la présidence de l’ARP.
Le chef d’Ennahdha et actuel président de l’ARP, Rached Ghannouchi, a confirmé ses capacités de manœuvrier, en parvenant, avec 52 députés sur les 217 du parlement, à en obtenir la présidence. Bien que bénéficiant des voix de Qalb Tounes, pour être élu, Ghannouchi n’a pas fait le moindre engagement envers ce parti, dont plusieurs membres traînent des dossiers de corruption et de blanchiment d’argent en justice.
Et pour confirmer cette attitude, il a proposé Habib Jamli au poste de chef de gouvernement, qualifié d’indépendant par le leader du Courant démocratique, Me Mohamed Abbou, qui n’a pas soutenu la candidature de Ghannouchi. La même attitude a été observée par le leader du parti Chaab, Zouhair Maghzaoui, ouvrant ainsi la voie à une majorité parlementaire, adossée à Ennahdha, le Courant démocratique et le parti Chaab, avec le soutien probable du rassemblement de la Dignité. D’autres partis et députés pourraient soutenir cette approche.
Manœuvrier
Avec une telle attitude, Ghannouchi et Ennahdha parviennent à se désolidariser de Nabil Karoui et Qalb Tounes, trop encombrants à cause des casseroles qu’ils traînent. Les islamistes disent que le troc se limitait à l’ARP, avec les voix d’Ennahdha (52) pour Samira Chaouchi, lors des élections de la première vice-présidence, contre les voix de Qalb Tounes (38), qui ont été déterminants pour élire Ghannouchi à la tête de l’ARP. Le futur révélera s’il y avait une partie cachée dans cet accord, stipulant surtout de trouver des «sorties», dans les contentieux avec la justice des deux magnats des médias, Nabil Karoui et Sami Fehri, patrons respectifs de Nessma TV et Al Hiwar.
Ces derniers font l’objet de poursuites pour blanchiment d’argent et détournement de Fonds publics, devant le pôle judiciaire, chargé des affaires de terrorisme et de blanchiment d’argent. Par ailleurs, en proposant, à la tête du gouvernement, quelqu’un considéré indépendant par le Courant démocratique et le parti Chaab, cela ouvrirait la voie à la participation de ces partis au pouvoir. Ils sont déjà impliqués dans les négociations. Ce serait une grande victoire politique pour Ghannouchi s’il parvient à les associer au gouvernement.
Enjeux
Les islamistes d’Ennahdha sont sortis avec le minimum de dégâts des dernières élections. Ghannouchi et ses amis sont sortis premiers, malgré l’échec socioéconomique du gouvernement Chahed, dont ils formaient le principal groupe parlementaire. La sanction électorale a certes frappé Ennahdha dont le groupe parlementaire est réduit à 52 députés après les 69 de 2014 et les 89 en 2011. Mais étant le premier groupe parlementaire, les islamistes sont chargés de former le gouvernement. Toutefois, ils sont appelés à tirer les leçons de cet échec, lors de la formation de la majorité qui va gouverner.
Ennahdha doit surtout composer avec les formations ayant le vent en poupe, pour faire bénéficier sa gouvernance de la sympathie populaire envers des partis comme le Courant démocratique ou le Mouvement du peuple, voire même le président Kais Saied. La caution de ce dernier, avec ses 72% des voix, pourrait aider les islamistes à faire passer certaines mesures douloureuses pour la population, comme la réforme de la retraite ou l’augmentation des prix du transport public et de certains produits compensés.
Ennahdha joue carrément sa survie, lors de la prochaine législature. Si le niveau de son soutien populaire continue sa chute durant les cinq prochaines années, le parti islamiste deviendrait de second plan. Ghannouchi en est conscient et veut, coûte que coûte, se rapprocher des partis «révolutionnaires» et du président «antisystème», pour redorer le blason de son parti, encore faut-il que ces derniers acceptent de gouverner avec Ennahdha.
L’expérience tunisienne de l’après 2011 a bien démontré que les islamistes anéantissent les partis qui s’allient avec eux, comme Ettakattol de Mustapha Ben Jaafar et le Congrès de Marzouki, en 2011, et Nidaa Tounes de Beji Caïd Essebsi, en 2014. Le président Kais Saied, le Courant démocratique de Mohamed Abbou et le Parti du peuple de Zouhair Maghzaoui, sont donc avertis.
Les islamistes d’Ennahdha préfèrent gouverner avec eux, qu’avec Nabil Karoui et Qalb Tounes. Ghannouchi pourrait ainsi placer de nouveaux visages aux avant-postes. Mais la réussite des tractations dépendrait, aussi, des postes politiques offerts aux partis devant composer la prochaine majorité. La Tunisie ne semble pas en voie de sortir de cette logique de «partage du gâteau» entre les partis au pouvoir, au profit d’une logique d’un programme socioéconomique de gouvernance, ayant pour objectif le décollage de l’économie.
L’ex-président Marzouki annonce son retrait de la vie politique
L’ex-président tunisien Moncef Marzouki a annoncé, dimanche soir, son retrait de la présidence du parti Al Harak et de la vie politique. Il a expliqué dans une lettre publiée sur sa page officielle Facebook avoir pris cette décision suite à l’échec lors des dernières élections. «Toutefois, je resterai engagé envers les causes du peuple», a-t-il souligné. Lors de l’élection présidentielle de 2019, Marzouki a occupé la 11e place (2,97 des voix) parmi 26 candidats alors que son parti Al Harak n’a eu aucun siège au parlement.
Marzouki a commenté, dans sa lettre, la situation politique actuelle. Il a remis en doute la capacité du pouvoir, «même s’il le veut», à réussir, seul, la lutte contre la corruption, et a appelé les Tunisiens, ou ce qu’il appelle «le peuple des citoyens» à déclarer «la guerre à la corruption et à se mobiliser pour extirper ce cancer qui menace son droit à une vie décente». Moncef Marzouki est le 4e président de Tunisie, après avoir été un opposant au régime de Zine El Abidine Ben Ali (1987-2011) et un défenseur des droits de l’homme. R. I.
Source: El Watan /Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée