Espionnage, délivrance de visas revue à la baisse, tensions avec l’Algérie, entre les deux pays le temps est à l’orage. Tahar Ben Jelloun avance des explications.
Le Maroc est déçu. Les Marocains ne comprennent pas la politique française au Maghreb. Ils suivent avec intérêt la campagne électorale et captent les diverses chaînes françaises. Ils ne comprennent pas que la Tunisie soit laissée à son sort ni que le peuple algérien ne reçoive pas d’encouragements dans sa lutte digne et pacifique contre la junte militaire qui le bâillonne. L’histoire des visas (les consulats ont eu l’ordre de réduire de moitié la délivrance des visas pour entrer en France) est absurde. Ainsi, des routiers qui desservent l’Europe sont bloqués et se retrouvent au chômage. Des hommes d’affaires, des étudiants ou de simples touristes sont empêchés de se rendre en France. Depuis lundi 29 novembre, toutes les frontières marocaines sont fermées pour au moins deux semaines. Ce n’est pas une réponse à la manière peu diplomatique dont le secrétaire d’État au commerce Franck Riester, en visite au Maroc, a répété que la décision de délivrer moins de visas sera maintenue. Non, le Maroc veut se protéger du nouveau variant.
Les consulats marocains ne refusent pas de reprendre des clandestins. « Ils les acceptent quand ils sont marocains. Or, ces immigrés illégaux, sans documents, ne sont pas tous marocains. Le ministère de l’Intérieur ne fait pas la différence entre Tunisiens, Algériens et Marocains. Un consulat marocain ne peut pas rapatrier des Algériens ou des Tunisiens. Le différend vient de là. Réaction de la France : on punit tout le monde ! » C’est l’explication que m’a donnée un haut responsable à l’ambassade du Maroc en France. Cette façon de faire est nouvelle. Elle n’est pas très cohérente et cela veut dire que le pouvoir actuel ne connaît pas bien la susceptibilité maghrébine. Disons que Macron n’a pas de sensibilité maghrébine ni arabe, à moins que la vente de 80 avions Rafale aux Émirats arabes (un record dans l’histoire de la Ve République) ne le rende plus attentif au monde arabe dans sa diversité et sa complexité.
La France a mal réagi
L’influence de la culture française passe par un mauvais moment. De plus en plus d’étudiants s’inscrivent au British Council pour apprendre l’anglais. Des familles qui ont des moyens préfèrent envoyer leurs enfants étudier aux États-Unis, en Angleterre ou au Canada. Des panneaux publicitaires sont rédigés entièrement en anglais. Il y a un recul et aussi une mauvaise humeur. Est-ce un désamour ? La politique française dans la région est dominée par la culpabilité exercée par le régime algérien sur la France. Après le courageux constat à propos de « la rente mémorielle » du régime algérien, Macron a tenté d’apaiser la tension entre les deux pays. L’ambassadeur algérien en France va probablement reprendre son poste très bientôt.
On sait que la diffusion, l’été dernier, de l’hypothèse que le Maroc aurait fait écouter Macron et d’autres personnalités de son gouvernement a provoqué une grande colère chez le président. Le Maroc a nié et a intenté un procès pour diffamation et diffusion de fausses nouvelles à ceux qui se cachent derrière ce scandale. Il plaide ce lundi devant le tribunal de Paris la recevabilité de ses plaintes contre le consortium d’investigation Forbiden Stories, l’ONG Amnesty International et plusieurs organes de presse, dont Le Monde et Mediapart. Il nie absolument l’espionnage de masse qui lui est reproché. Il n’empêche, la France a mal réagi. Cette affaire des écoutes mettant en avant le Maroc en particulier alors que l’on apprend tardivement que plusieurs pays de l’UE, dont l’Allemagne, utilisent Pegasus, a été savamment utilisée par les médias européens pour attaquer le royaume, lequel a perçu cela comme une campagne médiatique destinée à lui nuire sur tous les plans.
Je ne sais pas si les deux chefs d’État se sont parlé. Le fait est que la politique de la France à l’égard du Maroc a changé. Disons que ce pays, qui a toujours bénéficié de relations privilégiées, se trouve aujourd’hui traité avec une certaine tiédeur surtout depuis les accords d’Abraham, où la France n’a joué aucun rôle. Elle est incapable de faire quoi que ce soit qui puisse chagriner les dirigeants algériens, lesquels ne cessent de pester et d’accuser le Maroc d’avoir installé « l’entité sioniste » à ses frontières. La junte militaire algérienne appelle à la guerre et refuse toute main tendue de la part du Maroc. Elle pense qu’en attaquant le Maroc, elle résoudra les graves problèmes que posent les manifestants depuis plus de deux ans. L’histoire des visas n’est qu’un aspect de la mauvaise humeur de l’Élysée. Le Maroc a commencé à regarder ailleurs et à diversifier ses relations commerciales. Apparemment, le royaume commence à ne plus être focalisé sur la France et la francophonie. Des émissions sur des radios privées ont relevé cette tendance en organisant des débats pour essayer de comprendre pourquoi des Marocains se détachent peu à peu de la sphère française. Ceci est un signe non négligeable.
Source: Le Point Afrique/ Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée