Promis à un avenir de « Qatar africain », le Mozambique devra juguler la corruption et contenir le risque islamiste de sa région gazière du Cabo Delgado.
L’exploitation du gaz va se transformer en véritable jackpot pour le gouvernement mozambicain. À moyen terme, 3 milliards de dollars par an de recettes fiscales sont escomptés. Ce qui revient tout simplement à doubler le budget du pays. Les opérations de construction, sur au moins dix ans, vont participer à la dynamique économique du pays. Plus de 700 000 emplois, dont 15 000 directs, sont anticipés. « Le pays accédera alors rapidement au rang de pays à revenu intermédiaire alors qu’il compte aujourd’hui parmi les plus pauvres au monde », note le Trésor français et le FMI estime qu’à partir de 2023-2024 la croissance pourrait s’envoler de plus de 20 % par an.
Pour tenter de répondre aux attentes grandissantes des Mozambicains, le président Filipe Nyusi, réélu le 15 octobre, a profité de la cérémonie d’investiture, le 15 janvier, pour annoncer que son gouvernement souhaitait créer un fonds souverain destiné à investir dans l’économie du pays les revenus à venir de l’exploitation de ses immenses réserves gazières. « Nous voulons prouver que les ressources énergétiques peuvent être une bénédiction, pas une malédiction », a-t-il ajouté selon l’AFP.
Corruption et dettes cachées
Des doutes planent toujours. Alors que les découvertes de gaz ont été réalisées entre 2010 et 2013, le passage de l’exploration à l’exploitation s’est enlisé. « Côté État mozambicain, le processus menant aux décisions d’investissement a été extrêmement lent et parfois chaotique. Les raisons sont multiples. Premièrement, le pays n’était pas préparé à de telles découvertes. Trois fois plus pauvre que la moyenne africaine, le Mozambique a dû faire face à un manque criant de cadres pétroliers dans la fonction publique », souligne Benjamin Augé, chercheur à l’Ifridans une note sur le développement des hydrocarbures en Afrique de l’Est.
À cela s’ajoutent les problèmes de corruption et d’opacité. Classé parmi les 25 pays où la corruption est la plus élevée, selon le classement de Transparency International, l’image du pays est pour le moins écornée. En avril 2016 a éclaté le scandale « des dettes cachées ». Contractés, en toute opacité sous la précédente présidence d’Armando Guebuza, en 2013 et 2014, deux milliards de dollars d’emprunts – non déclarés au Fonds monétaire international (FMI) – ont servi à financer du matériel de surveillance maritime, mais aussi des commissions versées à des officiels mozambicains. Des bailleurs se sont détournés et le FMI a demandé des comptes. Certains opérateurs, pourtant sélectionnés dès 2015 sur appel d’offres pour l’exploration de blocs en offshore, n’ayant pu signer leurs contrats avant 2018, ont préféré se retirer.
« L’épisode des « dettes cachées » n’est pas de nature à l’optimisme dans un pays où le parti au pouvoir, le Frelimo, domine totalement l’administration et l’économie depuis l’indépendance du pays en 1975 », commente Benjamin Augé. « Les caciques du régime ont ainsi tendance à gérer les affaires au sein des instances du parti et les contre-pouvoirs sont plutôt à chercher du côté de la société civile plutôt que de l’opposition – Renamo et MDM – souvent incapable de rivaliser avec le Frelimo », poursuit-il.
Insécurité liée à des terroristes islamistes…
Une autre menace pèse sur l’exploitation gazière. Le terrorisme islamique s’est invité dans la province gazière de Cabo Delgado. Le groupe Ansar Al-Suna, fondé en 2015, a basculé dans la violence en octobre 2017, attaquant plusieurs postes de police et tuant 17 personnes. Depuis, d’autres groupes islamistes sont apparus. Les attaques se sont multipliées, passant de une ou deux par mois, à une douzaine en 2019, et sont rapprochées des usines en construction. Elles ont causé la mort d’au moins 500 personnes et le déplacement de dizaines de milliers de Mozambicains, selon un bilan établi en octobre 2019. La mort d’un sous-traitant d’Anadarko, en février 2019, dans une embuscade sur la route, a changé la donne. Les sites sont protégés par l’armée, en contrepartie d’une prise en charge financière par les sociétés, et les déplacements se font sous escorte en voiture blindée.
… sur le terreau de la pauvreté
Cependant, il est peu probable que des projets, d’une telle ampleur, soient arrêtés. Les compagnies pétrolières ont l’habitude de travailler dans des zones particulièrement dangereuses. En revanche, l’insécurité pourrait bien alourdir les coûts de construction et d’exploitation. La province de Cabo Delgado, délaissée par l’État central, est aussi l’une des plus pauvres du pays. Une pauvreté qui fait le lit des tensions sociales et ethniques et qui nourrit la menace islamiste. L’enjeu majeur pour le Mozambique sera alors de se servir des revenus du gaz pour accompagner le développement de la région et du pays.
Source : Le Point Afrique /Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée