À moins de deux semaines de l’élection présidentielle, la Guinée-Bissau est plongée dans l’incertitude après que le président José Mario Vaz a limogé le Premier ministre chargé de conduire le processus électoral.
La Guinée-Bissau semblait avoir tourné la page des périodes d’instabilité politique faites de coups d’État avec l’élection en 2014 de José Mario Vaz à la tête du pays. Sept ans après le dernier putsch militaire, le pays risque de renouer avec ses vieux démons alors que se profile, le 24 novembre, l’élection présidentielle.
Douze candidats briguent la magistrature suprême lors de ce scrutin qui pourrait se transformer en un duel entre le président sortant José Mario Vaz et l’ancien Premier ministre Domingos Simões Pereira, dont l’inimitié alimente les tensions politiques dans le pays. La crise politique laisse surtout planer le spectre d’un énième coup d’État de l’armée, comme ce fut le cas en 2012. Des militaires avaient alors pris le pouvoir entre les deux tours de la présidentielle avant de le céder aux civils deux ans plus tard.
Préoccupé, le Conseil de sécurité de l’ONU a appelé lundi 11 novembre, l’armée à rester à l’écart de la crise politique qui couve depuis plusieurs mois dans le pays. De son côté, le président José Mario Vaz mène des consultations auprès des hauts gradés de l’armée pour s’assurer leur soutien.
En pleine campagne électorale, le chef de l’État s’est entretenu tour à tour avec le chef d’état-major général, Biagué Nam Tam et le vice-chef d’état-major, Mamadu Ture Kuruma. « L’armée a un véritable poids historique puisque la Guinée-Bissau est l’un des rares pays d’Afrique de l’Ouest à avoir obtenu son indépendance au terme d’une lutte armée contre le colonisateur. Elle a une légitimité. Mais depuis le dernier coup d’État en 2012, les militaires restent prudents sur la scène politique », analyse Vincent Foucher, chercheur au CNRS, contacté par France 24.
Guerre de leadership
José Mario Vaz essuie de vives critiques de la part de la communauté internationale depuis le limogeage fin octobre du Premier ministre Aristide Gomes, soutenu par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (Cédéao) et l’ONU. Il a été remplacé par Faustino Imbali qui a, quant à lui, été forcé à la démission seulement deux semaines après sa nomination sous la pression de l’institution régionale.
Nommé en avril 2018, Aristide Gomes était chargé de conduire le processus électoral selon les accords de sortie de crise conclus à Lomé lors d’un sommet extraordinaire de la Cédéao. “Mais José Mario Vaz tente d’instrumentaliser l’armée pour imposer Faustino Imbali et demande à l’armée de chasser le gouvernement d’Aristide Gomes [qui refuse de démissionner] », explique Vincent Foucher.
La crise politique qui menace encore une fois de déstabiliser cette ancienne colonie portugaise de près de deux millions d’habitants trouve ses origines dans la guerre de leadership qui oppose José Mario Vaz, élu en 2014 à la tête du pays sous la bannière du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC) – le principal parti du pays – et l’ancien Premier ministre Domingos Simões Pereira, qui contrôle la formation politique et la majorité à l’Assemblée nationale. Les dissensions entre les deux personnalités éclatent au grand jour quand le premier démet en 2015 le gouvernement du second jugé trop influent au sein de l’ancien parti unique et accusé d’être corrompu.
“Il faut remonter un peu plus loin, à février 2014, pour comprendre la crise quand au congrès de Cacheu, Domingos Simões Pereira prend le contrôle du PAIGC. Mais certaines personnes mécontentes ont imposé comme candidat à la présidentielle José Mario Vaz pour faire une sorte de contrepoids à l’influence de Pereira dans le parti”, explique Vincent Foucher. “Mais à partir de 2015, José Mario Vaz déroule un programme de lutte contre son Premier ministre en le séparant de certains alliés et en le limogeant. Il y a eu toute une série de décisions politiques pour essayer de mettre en difficulté la majorité parlementaire de l’ancien Premier ministre”.
S’en est suivie une guerre larvée entre les deux hommes politiques qui a mené au départ de plusieurs figures du PAIGC et à l’exclusion du président élu, obligé de se représenter pour un nouveau mandat sans étiquette. Sans véritable base politique, José Mario Vaz nomme au rythme des alliances, pas moins de six chefs de gouvernement en cinq années.
Maintenir la stabilité du pays
Le chef d’État bissau-guinéen sort encore plus fragilisé des législatives de mars 2019 remportées par le PAIGC, désormais purgé des frondeurs et totalement contrôlé par Domingos Simões Pereira. Avec une majorité à l’Assemblée nationale, l’ancien Premier ministre fait ainsi figure de principal favori d’une présidentielle ouverte. Il fera tout de même face, en plus du président sortant, à quatre transfuges et ancien hauts responsables de l’ancien parti unique comme Carlos Gomes Junior, ancien Premier ministre entre 2009 et 2012, ou encore Umaro Sissoco Embaló porté par le Mouvement pour une Alternative démocratique (Madem G-15), fondé par un groupe de dissidents du PAIGC.
Pour la communauté internationale, il est primordial de maintenir la stabilité du pays, enjeu majeur du scrutin présidentiel. “Avoir un régime stable et légitime qui n’est pas soumis à des combinaisons et recombinaisons incessantes pourrait permettre de crédibiliser la Guinée-Bissau aux yeux des institutions internationales et des acteurs économiques”, explique Vincent Foucher, chercheur au CNRS.
Le 9 novembre, la Cédéao a condamné fermement les agissements jugés “illégaux” du président José Mario Vaz et a accordé son “plein soutien” au Premier ministre Aristide Gomes lors d’un sommet extraordinaire à Niamey. Pour prévenir d’éventuelles troubles dans une région déjà en proie à la menace jihadiste au Mali, au Burkina-Faso et au Nigéria, l’institution régionale a décidé de renforcer la force Ecomib, composée de centaines de soldats qui assurent la protection des bâtiments officiels et des personnalités. Une mission de chefs d’État et de gouvernement se rendra à Bissau, la capitale du pays, le 16 novembre.
Source: France 24/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée