La musique de sa déclaration post-électorale a bien changé de tonalité. Confiant dans sa victoire Domingos Simões Pereira annonçait que les seuls résultats acceptables pour lui étaient ceux provenant de la Commission électorale. Quand cette dernière a déclaré Umaro Sissoco Embalo vainqueur de la présidentielle du 29 décembre 2019, le chef du PAIGC a tourné casaque et crie désormais à la fraude électorale. Pourquoi? Analyse.
Mauvais perdant ou stratégie pour garder la face? Le cadeau pour le Nouvel An de la commission nationale des élections (CNE) n’est pas du goût de Domingos Simões Pereira. L’instance chargée de l’organisation du scrutin a déclaré ce 1er janvier, Umaro Sissoco Embalo, vainqueur du second tour de la présidentielle qui s’est tenu le 29 décembre. Ce dernier remporte le duel avec 53, 55% des suffrages pour un taux de participation de 72,67% dans les cordes du premier tour.
«Président de la concorde nationale»
A 47 ans, le nouveau président bissau-guinéen revient de loin. Au premier tour, Umaro Sissoco Embalo était sorti deuxième au tableau des scores, avec un handicap de 12 points à rattraper. Avec le Mouvement pour l’Alternance démocratique (Madem-G15), né d’une scission du PAIGC, le recordman de longévité des huit Premiers ministres de José Mario Vaz, a su fédérer autour de son programme axé sur le changement, les prétendants au fauteuil arrivés troisième, quatrième et cinquième.
Père musulman de trois enfants, Umaro Sissoco est diplômé de science politique avec une appétence pour les questions de défense et les problématiques géostratégiques. Premier ministre (2016-2018) de José Mario Vaz, le président sortant, cet ancien Général de brigade de réserve s’est déclaré «président de la concorde nationale», peu après l’annonce des résultats provisoires.Mais la réponse du camp d’en face ne s’est pas fait attendre.
« Les résultats provisoires qui viennent d’être proclamés sont pleins d’irrégularités, de nullité et de manipulations d’une fraude électorale. Un tel résultat, nous ne pouvons pas l’accepter. Nous allons amener toutes les preuves qui démontrent que les résultats ont été changés», a fait savoir Domingos Simões Pereira, depuis le siège du PAIGC, situé à quelques centaines de mètres du Palais présidentiel.
Pendant les trois jours qui ont séparé la fermeture des bureaux de vote et l’annonce des résultats provisoires, une prolifération d’accusations et de contre-accusations avaient opposé son camp à celui de son rival.Le candidat malheureux avait alors fait une sortie pour expliquer que les seuls résultats qu’il accepterait, seraient ceux provenant d’instances officielles. Alors pourquoi Domingos Simões Pereira a-t-il décidé de tourner casaque au risque de plonger le pays dans une crise postélectorale très redoutée par les observateurs? Deux raisons à cela.
L’Histoire bégaie-t-elle?
La première est qu’en criant à la fraude, le chef du parti historique de l’indépendance se décharge de la responsabilité de la défaite infligée par un parti créé il y a un peu plus d’un an et demi. Affaibli par cette déculottée, son leadership au sein de l’ancien parti au pouvoir devrait déclencher une bataille de positionnement pour prendre les rênes de la première force politique à l’Assemblée nationale. A contre-courant de l’arithmétique électorale, le recours introduit par Pereira devrait servir au mieux à l’hypothétique renversement des résultats par une pression accrue sur la commission électorale. A défaut, il permettrait d’amortir le choc d’une défaite inattendue pour un favori que les pronostics donnaient gagnant.
D’un autre côté, la contestation de la victoire de son rival permet à Domingos Simões Pereira de maintenir une pression suffisante dans l’objectif de se positionner dans échafaudage de l’architecture institutionnelle. Passée la période postélectorale, le premier chantier d’Umaro Sissoco Embalo sera de choisir un Premier ministre. Ce dernier devra obligatoirement être choisi au sein de la majorité parlementaire détenue par le PAIGC. S’il sort vainqueur de la querelle de leadership de son parti, Domingos Simões Pereira pourrait convoiter ce poste d’observation qui lui permettrait de garder les yeux et la main sur la gestion du pays.
«L’histoire ne se répète pas, elle bégaie». Aucune autre situation politique que celle de la Guinée-Bissau n’illustre aussi bien cette phrase apocryphe de Karl Marx. En 2015, c’est la cohabitation devenue impossible entre José Mario Vaz et Domingos Simões Pereira qui a conduit à la longue crise politique que la présidentielle 2019 veut évacuer. Cette année encore, tout fraîchement élu, Umaro Sissoco Embalo devra s’accommoder d’un Premier ministre issu d’une autre couleur politique. Pendant toute la campagne, le débat sur la clarification constitutionnelle des rôles du Président et du Premier ministre a traversé les esprits.«Le problème ce n’est pas la constitution, ce sont les hommes», avait tranché Umaro Sissoco Embalo. Maintenant qu’il est au pouvoir, toute sa difficulté est de mettre à l’acte sa théorie.
Source: Afrique La Tribune /Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée