L’extension de la zone d’instabilité et d’insécurité qui prévaut dans la zone saharo-sahélienne fut au centre du déploiement par la France, depuis 2014, de ses capacités au sein du G5 Sahel. Cette plateforme réunit le Burkina Faso, le Niger, le Mali, la Mauritanie et le Tchad, aux fins officielles de faire un peu de développement et beaucoup de lutte contre le radicalisme et le terrorisme.
Ces deux enjeux sont centraux en Afrique. Si le Sahel tient haut la palme en la matière, le Cameroun, la République démocratique du Congo (RDC), le Mozambique, la Somalie et le Nigeria souffrent également – à des degrés variés – des conséquences d’un triptyque réunissant gabegie gouvernementale, sous-développement socio-économique et faiblesse de l’Etat de droit. Ce cocktail restera explosif tant que ces questions resteront délaissées et/ou exploitées par des acteurs extérieurs intéressés par leurs intérêts propres.
Le Sahel est apparu comme une région problématique aux yeux des Occidentaux à partir de 2012, avec les événements du Mali. L’activation d’une rébellion séparatiste touareg, l’affirmation soudaine de groupes islamistes radicaux dans le nord du pays, ainsi que le coup d’Etat militaire contre le président Amadou Toumani Touré, furent le point de départ apparent d’une vague de déstabilisation, toujours d’actualité, qui s’étendra vite au reste de la région.
Mais contrairement à ce qu’on entend souvent dire, ni le « printemps arabe » (2011) ni la Libye ne sont la cause directe du délabrement sahélien. Ce dernier répond à un ensemble de substrats préexistants, en tête desquels figure un fréquent affaissement du leadership politique. Les Etats du Sahel étaient à la traîne bien avant 2011, comme le montre leur présence durable en queue de peloton de l’indice de développement humain (IDH). Dans le même temps, il existe un autre facteur tout aussi déterminant : le poids des ingérences étrangères.
Le scénario du pire
On ne saurait reprocher à la France son aspiration à faire du G5 Sahel le tremplin pour une stabilisation effective du Sahel. Qui plus est, les difficultés de cette organisation peuvent se comprendre : si l’opération « Barkhane » patine, ni l’ONU (avec la Minusma au Mali) ni l’Union européenne (avec l’EUTM) ne font mieux en matière de sécurisation. Mais l’instabilité présente voit cependant certains pays moins motivés par les intérêts de l’Afrique que par leurs propres intérêts, accentuant dès lors les fissures d’une Afrique mal en point à bien des égards.
De la Libye à la Somalie en passant par le Nigeria, l’Ethiopie ou le Mali, les revendications séparatistes viennent, en conjonction avec l’action de formations radicales aux agendas non moins autonomistes, souligner la capacité de ces mouvements à tirer profit du dépit affiché par les populations à l’égard de leurs gouvernements. Et le fait pour l’Afrique d’être un continent stratégique, d’un point de vue géopolitique comme d’un point de vue commercial et minéral, laisse ouverts tous les scénarios du possible.
Le scénario du pire pourrait se traduire par un délabrement généralisé des Etats les plus faibles du continent, sur fond d’accaparement de leurs ressources nationales par des Etats mus par leurs considérations propres. Nous n’en sommes pas encore là, mais les dynamiques qui travaillent le continent africain ne supportent plus d’être perpétuellement reléguées aux promesses d’un avenir meilleur.
On le voit à travers l’exemple de l’or, dont l’extraction s’étend à des pays incluant le Burkina Faso, le Ghana, la Libye, l’Ouganda, le Rwanda, la Tanzanie ou le Togo. Loin d’être régulé, le marché de l’or crée des pratiques plutôt éloignées de l’esprit d’éthique et impliquant des intérêts situés jusque dans des Etats « responsables » comme la Suisse.
Fin 2019, International Crisis Group (ICG) démontrait comment le boom du secteur aurifère artisanal sur une bande s’étendant de la Mauritanie au Soudan encourage des pratiques d’orpaillage dont des groupes armés s’emparent dans certains pays du Sahel central à la structure étatique faible. Or ces mêmes groupes, dont certains ont une orientation djihadiste ou radicale extrême, voient leurs activités profiter à des systèmes impliquant des pays pourtant peu enclins à partager leurs orientations idéologiques.
L’or, du Togo à la Suisse
A titre d’exemple, en 2018, Reuters pointait le cas du Togo, plaque tournante d’un trafic d’or échappant aux flux commerciaux officiels. Exporté vers les Emirats arabes unis, destination numéro un pour l’or en provenance d’Afrique (Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Liberia…), celui-ci poursuivait ensuite sa route vers les marchés saoudien, turc ou encore suisse, toujours de manière illégale. Selon l’ONU, sept tonnes d’or ont ainsi été exportées en 2018 depuis le seul Togo. En 2019, des pressions internationales exercées sur ce dernier ont poussé le pays à déclarer officiellement l’arrêt de telles pratiques. Une décision qui, si elle est vérifiée, s’inscrit dans le bon sens et montre que les pressions peuvent marcher.
Mais cela ne laisse pas moins dans l’air la présence de cas similaires à celui-ci et contraignants pour l’évolution du continent. En juin 2020, l’ONU mettait l’accent sur la RDC, où l’orpaillage qui continue d’y être pratiqué met en exergue la poursuite des pratiques précitées. Ces réalités, combinées à l’attrait sans cesse accru et confirmé de pays comme la Russie et la Chine pour le continent, montrent que l’Afrique vit certes son moment géopolitique, mais que celui-ci s’accompagne de défis ne se limitant pas – ou plus – aux thématiques d’ordre politico-sécuritaire.
Si l’Afrique est une source importante de migrations vers le Nord, c’est certes parce que ses horizons socio-économiques ne peuvent pas satisfaire sa population… mais aussi parce que les lignes de faille prévalant à plusieurs endroits du continent entravent profondément les conditions d’une autonomisation des nations africaines. Des initiatives comme le G5 Sahel méritent d’être inscrites dans un cadre plus général marqué par un agenda sécuritaire et gouvernemental, certes, mais aussi par des règles et principes qui limitent l’expropriation du continent par des trafics de tous genres.
Comme souvent, l’ONU est pourvoyeuse d’idées fortes en la matière : mais celles-ci ne peuvent aboutir sans une contribution forte de la part des membres les plus responsables de la dite « communauté internationale ».
source : Le Monde Afrique/Mis en ligne : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée