Sur cette île de l’océan Indien, les bénéfices des sociétés « extraterritoriales » ne sont imposés que de 3 à 15 %. Une fiscalité « optimisée » qui séduit nombre d’entreprises du continent africain.
En août dernier, Le Monde qualifiait l’île Maurice de « paradis fiscal décomplexé » et citait deux chiffres qui interpellent : le PIB du pays n’est que de 13 milliards de dollars, alors que les actifs sur l’île sont évalués à plus de 630 milliards de dollars. Le quotidien citait le cas de l’un des plus riches hommes d’affaires d’Ouganda. Il avait obtenu un prêt personnel de 2,5 millions de dollars via une société domiciliée aux Bermudes par le biais d’une autre société, African Frontiers, établie à Maurice. Cette dernière lui a proposé un investissement de 17 millions de dollars dans l’une de ses entreprises qui gère la plus importante centrale thermique d’Ouganda. Pourquoi cet oligarque établi du côté de Kampala fait-il appel à une entité domiciliée dans une petite île de l’océan Indien ? Tout simplement pour payer beaucoup moins d’impôts. Trente pour cent d’un côté, entre 3 et 15 % de l’autre.
En quête de compétitivité par l’optimisation fiscale
C’est immoral, répètent les ONG, comme CCFD-Terre solidaire. Le problème, c’est que les plus grandes multinationales sont les premières à se domicilier dans des paradis fiscaux, en particulier les Gafa (Google, Apple, Facebook et Amazon). La guerre économique leur laisse-t-elle d’autres choix ? Refuser l’optimisation fiscale, c’est se faire dévorer par des concurrents payant trois, cinq ou dix fois moins d’impôts.
En mars 2018, la Commission européenne a pointé du doigt sept pays de l’Union européenne pour leurs pratiques fiscales dommageables, qui font perdre chaque année des dizaines de milliards d’euros à leurs voisins européens : la Belgique, Chypre, la Hongrie, l’Irlande, le Luxembourg, Malte et les Pays-Bas. Pourtant, aucun de ces États ne se retrouve sur la liste noire des paradis fiscaux, établie par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Celle-ci a préféré accabler des petits pays du tiers-monde, comme la Dominique, les Fidji ou le Vanuatu. Maurice n’est pas sur cette liste noire.
De l’industrie du sucre au business de la finance, de l’informatique et des technologies nouvelles
À Maurice, l’aventure financière a été précédée par celle du sucre, commencée au XVIIe siècle avec l’introduction de la canne de Java par les Hollandais. À l’indépendance, en 1968, l’île tente une première diversification (réussie) en se lançant dans le tourisme haut de gamme. Mais à moins de couvrir le territoire d’hôtels, de piscines, de terrains de tennis et de golfs, comment nourrir une population qui atteint 1,3 million d’habitants sur une superficie de moins de 2 000 kilomètres » ? D’où la création à partir de 2005 de la Cybercity d’Ébène, aux portes de Port-Louis, la capitale. Un quartier d’affaires de 64 hectares conçu un peu sur le modèle de La Défense. Il abrite aujourd’hui plus de 200 sociétés, dont IBM, Orange, Huawei, Microsoft, HSBC, Barclays. Sans oublier une bourse d’échange des matières premières (pétrole, or, argent), alors que le sous-sol de Maurice en est dépourvu.
« Ébène, c’est au moins 20 000 salariés, travaillant dans la finance, l’informatique, les technologies nouvelles. Comme il n’est pas très difficile d’obtenir un permis de résidence, des hommes d’affaires européens et indiens quittent Londres, Paris ou Mumbai pour s’établir à Maurice. Les communications sont aussi performantes qu’en Europe. En prime, ils ont leurs bureaux à un coup d’accélérateur de la plage. Leurs enfants fréquentent des écoles privées haut de gamme », raconte un « sales and business development consultant » français, arrivé il y a deux ans à Port-Louis. Si le français reste la langue la plus pratiquée sur l’île, les affaires, en revanche, se traitent en anglais.
Un paradis nommé Ébène…
Ébène, c’est aussi un petit millier de fonds d’investissement, un demi-millier de structures de capital-risque, sans compter des milliers de sociétés-boîtes aux lettres et autant de sièges sociaux virtuels. Les activités financières représentent dorénavant 12 % du produit intérieur brut, un chiffre comparable à celui de la Suisse. C’est la Confédération qui a inventé les fameux forfaits fiscaux, permettant aux riches contribuables de ne pas être imposés sur leurs fortunes ou sur leurs revenus, mais sur leur train de vie, soit sur le septuple de la valeur locative du logement qu’ils occupent ! Maurice, en revanche, se profile davantage comme la nouvelle plaque tournante des capitaux internationaux à destination de l’Afrique. « Pas de contrôle de change, libre circulation des flux monétaires, pas d’impôts sur les dividendes, sur les plus-values et sur la fortune, pas d’impôts sur les droits de succession pour les descendants directs. Enfin, libre rapatriement des bénéfices, des dividendes et des capitaux ». Le Guide de l’investisseur mauricien insiste également sur l’environnement politique stable du pays. La République est classée 18e dans le monde, selon The Economist Intelligence Unit, qui mesure l’état de la démocratie dans 167 pays.
… dans un pays où des perdants peuvent être élus
À la fin de l’année, il y aura des élections législatives. Aux 62 candidats élus au suffrage universel direct s’ajouteront huit candidats dits « meilleurs perdants », qui ont obtenu les meilleurs résultats parmi ceux qui n’ont pas réussi à se faire élire, afin de corriger un possible manque de représentativité de certains groupes ethniques (les hindouistes totalisant 52 % de la population, les chrétiens 31 % et les musulmans 15 %). Un système démocratique qui n’existe pas ailleurs en Afrique, encore moins dans le reste du monde. De quoi faire de Maurice un pays vraiment pas comme les autres.
Source: Le Point Afrique/Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-exaucée