Malgré une prise de conscience réelle de la dimension stratégique des infrastructures, l’Afrique peine à y couvrir ses besoins en investissements.
Les infrastructures en Afrique n’ont jamais autant attiré les investisseurs. En 2018, les engagements et les financements dans le secteur ont bondi à 100,8 milliards de dollars, soit une hausse de 24 % par rapport à 2017. C’est même 38 % de plus que pour la période 2015-2017, d’après le nouveau rapport du Consortium pour les infrastructures en Afrique (ICA). Publiée la semaine dernière à l’occasion de l’Africa Investment Forum de Johannesburg, l’étude explique que ces chiffres sont dus aux intérêts grandissants des pays africains et chinois pour le secteur, leurs investissements ayant grimpé respectivement de 33 et 65 % par rapport à la moyenne de ces trois dernières années. L’Arab Coordination Group (ACG), la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), l’Indeou encore la plateforme d’investissement Africa50 ont également contribué à la montée en puissance des chiffres.
Énergie, TIC, transports : les secteurs gagnants
Parmi les secteurs qui ont le vent en poupe, il y a celui de l’énergie, qui totalise en 2018 un engagement de 43,8 milliards de dollars, soit une augmentation de 67 % par rapport à la moyenne 2015-2017. Il y a aussi celui des technologies de l’information et de la communication (TIC) qui a enregistré des financements record de 7,1 milliards, lesquels proviennent en grande partie du privé. Il y a enfin les transports, qui réalisent une belle performance avec des engagements à 32,5 milliards, en hausse de 5 % par rapport aux statistiques précédentes.
Eau, le secteur à améliorer
Malgré une croissance indiscutable des investissements dans les infrastructures, le compte n’y est pas. Le chiffre de 100,8 milliards est, certes, un record, mais, selon la Banque africaine de développement (BAD), entre 130 et 170 milliards de dollars d’investissements par an seraient nécessaires pour permettre à l’Afrique de combler son déficit infrastructurel. À ce rythme, les engagements restent donc encore trop faibles pour atteindre les objectifs fixés par l’Agenda 2063 de l’Union africaine (UA). Principal responsable : le secteur de l’eau et de l’assainissement. Entre 2016 et 2018, celui-ci n’a réussi à mobiliser que 13 milliards de dollars en moyenne, alors que ses besoins de financement annuels se situent entre 56 et 66 milliards. « Environ 340 millions d’Africains n’ont pas accès à l’eau potable et un million de vies sont perdues chaque année en raison de maladies d’origine hydrique », déplorent d’ailleurs les auteurs du rapport.
Après les conséquences sanitaires, les économiques
Et le manque à gagner est considérable, car « environ 40 milliards d’heures de travail sont perdues chaque année en Afrique en raison d’un problème aussi simple que le manque d’eau courante dans les ménages ». Plus globalement, pour les analystes, c’est l’organisation récente des territoires sur le continent elle-même qui pose problème. Car si, avec la croissance, des mégalopoles (pourtant synonymes de productivité et d’innovation) se sont considérablement développées, leur urbanisation, elle, « a été négligée ». « Les insuffisances des infrastructures urbaines conduisent à développer des zones en dehors des villes sans planification adéquate, sans infrastructure adaptée et à un coût beaucoup plus élevé », constate l’ICA.
Les solutions face aux défis multiples
Les défis sont donc multiples pour les gouvernements africains. Première préconisation de l’étude, l’établissement de « réformes au niveau national », notamment en matière d’entretien des infrastructures existantes. « L’absence d’entretien régulier dans le cas de l’eau peut entraîner une augmentation d’au moins 60 % des coûts de remplacement du capital, affirme-t-elle. Et le fait de ne pas effectuer d’entretien courant sur les routes entraînera des dépenses de réhabilitation bien plus chères que celles qui auraient été consacrées à l’entretien courant. »
Seconde recommandation : une participation plus accrue du secteur privé. En effet, « à l’heure actuelle, hormis dans les TIC, la participation du secteur privé […] n’est que peu utilisée en Afrique par rapport aux autres régions du monde ». Pour des domaines où une contribution totale et entière du privé est impossible, l’ICA propose « un recours partiel » du secteur. Les autorités publiques peuvent par exemple engager « des entreprises privées locales pour des tâches spécifiques telles que la détection des fuites, la facturation et la collecte dans le cas de l’eau ». Et d’ajouter : « Dans le secteur des transports, on a de plus en plus recours à des entrepreneurs pour construire ou réhabiliter une route, mais également pour de la maintenance à long terme […] Ces mesures ont déjà fait leurs preuves dans un certain nombre de pays », assurent les auteurs.
Et, cela tombe bien, elles sont applicables au secteur de l’eau. « Les financements privés dans lesquels le secteur public conserve la responsabilité de la propriété et de l’exploitation de l’actif doivent être considérés plus sérieusement, peut-on lire. Dans le monde entier, les services publics d’approvisionnement en eau et d’assainissement font largement appel à des financements privés provenant de sources commerciales nationales, comme les banques. »
La décentralisation fait elle aussi partie des dispositions à mettre en place. L’idée ? « Donner aux gouvernements locaux plus de responsabilités. » « Aujourd’hui, les gouvernements africains sont responsables d’un pourcentage beaucoup trop important d’investissements nationaux », estime le rapport. La décentralisation aurait le double avantage de donner plus d’autonomie aux régions, et de réduire le fardeau financier de la création et de l’entretien des infrastructures au pouvoir central. Des réformes indispensables pour le continent, s’il ne veut pas manquer le virage de l’industrialisation.
Source: Le Point Afrique/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée