Sur une image prise par un photographe de l’agence Associated Press, vendredi 24 janvier, la jeune femme, qui posait avec d’autres militantes, a été exclue du cadre.
« Noire, elle est virée du cadre » : elle, c’est Vanessa Nakate, « la femme du jour » choisie par le journal L’Humanité, lundi 27 janvier, qui relate cet épisode. Le « cadre », c’est celui d’une photo de l’agence Associated Press (AP) prise au Forum de Davos, d’où la jeune militante ougandaise a disparu.
Vanessa Nakate lutte contre le réchauffement climatique. Inspirée par Greta Thunberg, la jeune Ougandaise de 23 ans est devenue militante en 2019, en protestant seule, dans son pays, l’Ouganda, où la grève est illégale. Elle a fondé le Rise Up Movement, basé en Afrique.
Lors du Forum de Davos, en Suisse, vendredi 24 janvier, elle a donné une conférence de presse sur l’urgence climatique, aux côtés de quatre autres jeunes activistes : Greta Thunberg, Loukina Tille, Luisa Neubauer et Isabelle Axelsson.
Sur une photo prise par un photographe de l’agence AP, Vanessa Nakate a disparu, coupée du cadre de la photo de groupe, lors du « recadrage » du cliché. La militante a publié elle-même la photo sur Twitter, interpellant directement l’agence pour demander des comptes.
Courrier international pose la question : « Racisme ordinaire ou recadrage purement artistique ? » Vanessa Nakate la pose autrement : « Une activiste africaine doit-elle se positionner au milieu d’une photo juste à cause de la peur d’être coupée ? » Twitter répond : #YouCantEraseMelanin (« Vous ne pouvez pas effacer la mélanine »). Greta Thunberg et des milliers d’internautes la soutiennent.
« Que vous effaciez nos voix ne changera rien »
Après la « censure » de la militante écologiste, le directeur de la photographie de l’agence de presse AP, David Ake, a déclaré : « Le photographe a essayé de faire sortir une photo rapidement dans un délai très court et l’a recadrée pour des raisons de composition, car il pensait que le bâtiment en arrière-plan était distrayant. »
De son côté, Vanessa Nakate s’est notamment exprimée dans une vidéo publiée sur Twitter : « c’est la première fois de ma vie que j’ai compris la définition du mot racisme » :
« L’Afrique est le dernier émetteur de gaz à effet de serre. Mais nous sommes les plus touchés par la crise climatique. Que vous effaciez nos voix ne changera rien. Que vous effaciez notre histoire ne changera rien. Est-ce que ça veut dire que je n’ai pas de valeur en tant qu’activiste africaine ? Ou que les Africains n’ont pas du tout de valeur ? »
Après s’être vue exclure de la photo de AP, la jeune femme a été mal nommée par l’agence de presse Reuters, qui l’a identifiée comme Natasha Mwansa, une activiste zambienne. Depuis, elle a mis comme photo de profil sur Twitter un portrait d’elle réalisépar l’illustrateur brésilien Cristiano Siqueira, et qui ne cesse de circuler sur les réseaux. Sous ce portrait, est inscrit le mot « Heshima » qui en swahili – l’une des langues officielles de l’Ouganda – signifie « respect » et « dignité ». Depuis, Twitter a aussi certifié le compte de Vanessa Nakate, et les médias ougandais ont sollicité la jeune militante pour porter sa voix sur les plateaux télé.
« La militante ougandaise du climat, âgée de 23 ans, a été coupée d’une photo dans laquelle elle posait avec d’autres jeunes militants, dont Greta Thunberg. C’était la seule femme noire. »
« C’est valable pour tous les médias »
Vanessa Nakate a également passé un message dans une vidéopubliée par le média en ligne AJ + :
« Mon message pour AP est que les activistes africains et les personnes de couleur ont besoin d’être respectés. Mais c’est valable pour tous les médias qui font ça, car personne ne s’élève contre ce genre de pratique. »
L’histoire de cette photo recadrée, qui a « réduit au silence la parole des Africains », comme le déplore Vanessa Nakate, et enflammé les réseaux sociaux, a aussi provoqué lundi 27 janvier « une introspection et des conversations tendues sur des questions de racisme et d’inclusion au sein de l’agence AP », selon la rédactrice en chef de l’agence, Sally Buzbee.
« J’espère que nous pourrons tirer des leçons de cela et devenir une meilleure organisation de presse à l’avenir. Je me rends compte que je dois dire clairement depuis le sommet [de la hiérarchie], de ma part, que la diversité et l’inclusion doivent être l’une de nos plus hautes priorités. »
C’est après avoir reconnu qu’AP avait aggravé elle-même cette « terrible erreur » lors de sa réponse initiale vendredi, que MmeBuzbee s’est excusée personnellement sur son compte Twitter, « au nom de l’agence AP ».
En octobre 2019, l’écrivaine nigériane Chika Unigwe rappelait, dans une tribune du Guardian, que « la remarquable Greta Thunberg était incontestablement une superstar, mais, tout autant que ses pairs ». Et si « le photojournalisme a besoin de faire face lui aussi au mouvement #metoo » pour mettre fin au sexisme, comme le rappelait Kainaz Amaria dans un article paru dans Vox en septembre 2018, Vanessa Nakate demande, elle, que le racisme n’ait pas sa place dans les médias.
Source: Le Monde Afrique/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée