Sur le continent, plus de 320 millions d’habitants sont encore dépourvus d’un accès à l’eau potable et les problèmes d’assainissement coûteraient jusqu’à 5% de PIB à l’Afrique subsaharienne. Sur fond de défi climatique et de croissance démographique, la géopolitique de l’eau se structure aujourd’hui à marche forcée…
Les plans d’action multilatéraux de la décennie 2005-2015 ont permis à 1,3 milliard de personnes supplémentaires d’accéder à l’eau potable dans les pays en développement, mais cette ressource vitale reste particulièrement inéquitable. Moins d’une dizaine de pays disposent de 60 % des ressources naturelles en eau douce (la Chine, les Etats-Unis, la Russie, le Canada, le Brésil, l’Indonésie, la Colombie, le Pérou et l’Inde). Parallèlement, la consommation domestique est tout aussi inégale. Aux Etats-Unis, elle avoisine 700 litres par jour et par habitant, contre 175 litres en Europe, et en moyenne 50 litres en Afrique.
Près de 2,2 milliards de personnes n’ont pas accès à l’eau potable dans le monde et 4,2 milliards sont dépourvues d’installation sanitaire. Les maladies infectieuses d’origine hydrique provoquent 3,2 millions de morts par an, soit l’équivalent de 6 % des décès dans le monde et enfin, entre 70 % et 80 % des maladies sont imputées à la mauvaise qualité de l’eau en Afrique, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Si l’amélioration de l’accès à une eau de qualité requiert des efforts financiers importants, le retour sur investissement est significatif et chaque dollar investi dans l’assainissement rapporterait 8 dollars. Toutefois, le déficit annuel en infrastructures d’eau sur le continent est de l’ordre de 43 à 53 milliards de dollars et les problèmes liés à l’assainissement coûteraient jusqu’à 5% de PIB à l’Afrique subsaharienne. La gestion de l’eau dans un contexte de bouleversement climatique et de défi démographique impose donc des engagements forts, en termes de financement, mais aussi de rationalisation des ressources, en particulier dans le secteur agricole qui représente près de 70 % de la consommation d’eau.
L’Afrique face à la pénurie d’eau: entre réaction et anticipation…
En 2018, la ville du Cap a été frappée par une pénurie d’eau, qui a conduit les autorités sud-africaines à prendre des mesures drastiques dans la précipitation, en rationnant l’eau à 50 litres par jour et par personne pendant plusieurs semaines consécutives, dans une ville habituellement alignée sur les standards de consommation des métropoles occidentales… La police municipale réquisitionnée pour l’occasion procédait alors aux contrôles de consommation d’eau, afin d’échapper au scénario catastrophe du « Zero Day », à partir duquel les robinets auraient été coupés.
«Cette histoire a fait le tour du monde, car la ville du Cap est emblématique, mais elle n’est pas la seule dans ce cas. Cet épisode reflète une gestion insouciante de l’eau qui rappelle la fable de « La Cigale et la Fourmi » […] Il nous faut trouver des systèmes pour économiser l’eau, dans le respect de l’environnement. C’est un impératif au regard de la croissance démographique à venir », considère Loïc Fauchon, le président du Conseil mondial de l’eau, une organisation internationale multipartite (à la manœuvre dans l’organisation du prochain Sommet mondial de l’eau qui se tiendra à Dakar en 2021), réunissant aussi bien des experts, des chercheurs, des représentants d’ONG ou de gouvernements que des poids lourds du secteur comme Suez ou Véolia.
Selon l’OMS, 2,2 milliards de personnes sont affectées par le stress hydrique. En Tunisie, les écarts pluviométriques au niveau national ont conduit les autorités à anticiper les pénuries. «Le gouvernement tunisien développe actuellement des infrastructures de conduites, de systèmes de pompes et des stations de traitement de l’eau pour alimenter les villes de Sousse, Monastir et Sfax» explique Frédéric Maurel, responsable-adjoint de la division eau et assainissement de l’Agence française de développement (AFD), qui a investi 100 millions d’euros dans ce projet. Néanmoins, les ressources ne sont pas infinies et cette stratégie de répartition sur l’ensemble du territoire, a ses propres limites. « Le système de transfert mis en place en Tunisie est conçu pour une capacité de l’ordre 100M3 par an, ce qui est suffisant pour répondre à la demande en eau potable de près de 50% de la population jusqu’en 2025. Il faudra ensuite trouver d’autres solutions comme le dessalement, qui suppose le recours aux énergies. Or, le gaz reste très répandu en Tunisie, avec une empreinte carbone élevée […] Par ailleurs, le dessalement pourrait perturber l’écosystème marin à travers la production de saumures, qui génère le rejet d’une eau jusqu’à 2 fois plus salée que la mer […] Si aucune autre solution n’est trouvée, il arrivera un moment où nous n’aurons plus d’autre option », ajoute-t-il, précisant que l’AFD, conformément à ses engagements «100% Accord de Paris» n’est pas amenée à financer ce type de projets.
Un constat que Loïc Fauchon relativise : « Le dessalement n’est pas la solution idéale. Toutefois, la pollution générée dans les pays du Golfe par exemple est essentiellement due à la faible profondeur des unités installées, ce qui a provoqué la modification de l’écosystème marin, faisant apparaître des méduses géantes au large de l’Arabie Saoudite… ».
Vers une «hydrodiplomatie» africaine
Le partage des eaux alimente les palabres depuis toujours: des batailles pour le contrôle des puits menées par les chefs de tribus au barrage de la discorde dans la vallée de l’Omo, en passant par un certain nombre de succès comme celui du fleuve Sénégal. «Les pays riverains ont créé une association du fleuve Sénégal et se sont réparti les droits d’eau. Ils ont examiné les endroits où il était possible de construire les barrages pour produire de l’électricité, tout en étudiant ensemble, les possibilités d’améliorer la navigabilité (…) C’est un exemple de gouvernance partagée et harmonieuse », selon le président du Conseil mondial de l’eau, contrairement à la construction en Ethiopie, du barrage hydroélectrique de la Renaissance (Gerd) sur le Nil, qui a provoqué des échanges bien plus vifs entre pays limitrophes. En vertu d’un traité datant de la colonisation britannique, l’Egypte et le Soudan bénéficiaient de droits historiques sur les eaux du Nil, qui traversent l’Afrique de l’Ouganda à l’Egypte. Or, les besoins en eau des pays hubstream ont sensiblement augmenté et l’équilibre démographique a changé la donne, générant des points de tension, notamment autour de la durée de remplissage du barrage via la construction d’un méga-lac de 70 milliards de m3.
En 2013, le président égyptien Mohamed Morsi allait jusqu’à déclarer : «si une seule goutte du Nil est perdue, notre sang sera la seule alternative». «Depuis cette époque, le dialogue a avancé. Les parties sont condamnées à trouver un accord, même si chacun demande des garanties» d’après Loïc Fauchon, qui milite pour la gestion intégrée des ressources (GIR) et favorise une approche horizontale suivant le principe de la «5 Fingers Alliance» reliant la problématique de l’eau à celles de l’énergie, de l’alimentation, de la santé et de l’éducation, dans un cercle vertueux.
Enfin, avec la raréfaction programmée des ressources en eau douce et la hausse de la demande liée aux croissances urbaine et démographique, revient la sempiternelle question du statut de l’eau. Selon la résolution onusienne de juillet 2010 et celle du Conseil des droits de l’homme de septembre 2010, il s’agit d’un «droit fondamental» garanti en théorie, par les Etats. Toutefois, ce point de vue est loin de faire l’unanimité dans le secteur privé, les gouvernements et même parmi les bailleurs internationaux, qui considèrent l’eau comme un «besoin» ou un «besoin fondamental», c’est-à-dire une denrée commercialisable.
Source: La Tribune Afrique /Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée