Le Caire accueillait, les 3 et 4 novembre, le 2e Forum économique du commerce arabo-africain, organisé par la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA). La conjoncture pourrait bien favoriser le renforcement de la relation entre les deux régions avec le soutien des institutions financières islamiques.
C’est en Egypte où la Ligue arabe a vu le jour suite au Protocole d’Alexandrie de 1945 que la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA) a choisi d’organiser son second forum économique arabo-africain. Campant dans le top 3 des puissances économiques africaines, l’Egypte est l’un des rares pays à avoir échappé à la récession liée à la pandémie de Covid-19, enregistrant une croissance supérieure à 3% l’année dernière.
Le discret, mais non moins influent directeur général de la BADEA, Sidi Ould Tah, qui accompagne la montée en puissance de la banque, recevait ses invités au Nile Ritz-Carlton du Caire. De Lacina Koné (Smart Africa) à l’économiste Carlos Lopes, en passant par Romuald Wadagni, ministre de l’Economie du Bénin, Benedict Oramah, président d’Afreximbank (également président du comité exécutif du programme des ponts commerciaux arabo-africains ou « AATB »), et par les représentants des institutions financières arabes et africaines (ITFC, AFC, BOAD, Norsad, DBSA, BOEAC, ICD, TDB, AFC, Arab Monetary Fund, EADB), ils étaient nombreux à avoir répondu présents à l’invitation de l’ancien ministre des Affaires économiques et du développement de Mauritanie, à la tête d’une banque sans dette qui dispose de 5 376,3 millions de dollars d’actifs nets. Depuis l’arrivée de Sidi Ould Tah en 2015, les engagements nets de la BADEA sont passés de 410 millions de dollars à plus de 780 millions de dollars en 2020.
« Il faut renforcer les relations entre nos deux régions pour une croissance plus forte -car- en dépit d’accords bilatéraux, nos échanges restent faibles », déclarait Mostafa Madbouly, Premier ministre égyptien, lors de la cérémonie d’ouverture, conscient du bien-fondé de renforcer les liens entre le monde arabe et l’espace subsaharien.
« Au niveau du commerce extérieur, le volume global des échanges des pays du monde arabe et de l’Afrique subsaharienne représentait 3 000 milliards de dollars en 2020, et celui du commerce intra arabo-africain à 46 milliards de dollars », déclare Mamoudou Bocar Sall de l’Islamic Center for Development of Trade (ICDT), se référant à toute une série de données compilées issues des principales institutions financières mondiales. « Ce chiffre va augmenter après la pandémie et les perspectives de croissance sont importantes », précise-t-il.
Une géopolitique favorable à la relation commerciale arabo-africaine
Les années 1980 furent celles de la déconnexion des espaces économiques arabes et subsahariens. Les pays d’Afrique du Nord alors séduits par l’Union européenne (UE), se détournaient des partenaires de l’espace subsaharien, à l’exception de la Libye de Kadhafi qui avait fait de cette région, sa terre d’investissements privilégiée, dans une logique panafricaine sur fond d’échec d’intégration régionale arabe. Aujourd’hui, les temps ont changé. Kadhafi est mort, le Maroc a réintégré l’Union africaine (UA), le ralentissement de la croissance européenne et la crise du multilatéralisme qui s’est accompagnée par une volonté de proximité « post-Covid 19 », ont renforcé l’intérêt du monde arabe pour l’Afrique subsaharienne dont les perspectives de développement économique et démographique, sont considérables. En effet, le marché intégré de la Zlecaf représente près de 1,2 milliard de consommateurs et la population africaine devrait doubler d’ici 2050 selon les Nations unies.
Depuis les années 2000, l’Afrique subsaharienne a vu l’arrivée de fonds d’investissements, d’institutions financières et de banques de développement islamiques qui sont aujourd’hui présentes du Soudan à l’Afrique du Sud en passant par la Côte d’Ivoire ou le Kenya. Agriculture, infrastructures, énergies renouvelables, mais aussi finance et technologie cimentent désormais les liens arabo-africains.
Au printemps 2021 à Paris, l’Arabie Saoudite annonçait par la voix de Mohammed ben Salmane, qu’elle investirait 1 milliard de dollars pour soutenir les « pays en développement d’Afrique ». De l’autre côté de la Méditerranée, la Turquie multiplie les investissements (en particulier dans les secteurs de l’éducation et de la santé) et le ministre turc du Commerce soulignait en octobre dernier, que le volume commercial entre la Turquie et le continent africain était passé de 4 milliards de dollars en 2003, à 25,3 milliards de dollars en 2020.
« Depuis plusieurs années, les banques arabes comme Attijariwafa ou la BMCE se sont imposées en Afrique subsaharienne », rappelle également Dr Mabouba Diagne en qualité de vice-président Finance de la Banque d’investissement et de développement de la CEDEAO (BDC). En quelques années, le Maroc est devenu le 1er investisseur africain du continent.
Parallèlement à l’attrait des traditionnelles locomotives économiques africaines, de nouvelles destinations suscitent l’intérêt des institutions financières. C’est le cas du Sahel qui représente d’importantes perspectives de croissance démographique d’une part (avec des taux de fécondité parmi les plus élevés au monde), et économique d’autre part, avec l’hydrogène malien et le pétrole nigérien et burkinabé. Il n’est pas surprenant que les investissements, en particulier dans les infrastructures de transport dans un Sahel géographiquement enclavé, se soient développés à vitesse grand « V », bénéficiant au passage, d’un certain nombre de facilités pour préparer au mieux l’exploitation prochaine des chantiers énergétiques. En 2019, à l’occasion de la 44e réunion annuelle de la Banque Islamique de développement (BID), la BADEA et le G5 Sahel convenaient notamment, d’un élargissement de leur périmètre de coopération au domaine des infrastructures (après l’agriculture).
Un potentiel arabo-africain à optimiser…
« Les capitaux détenus par les pays du monde arabe issus de l’industrie du pétrole pourraient être réinvestis dans le développement d’une agriculture commerciale (…) A ce jour, l’Afrique subsaharienne importe entre 35 milliards de dollars et 40 milliards de dollars de denrées alimentaires, et d’ici 2025 ce chiffre pourrait grimper jusqu’à 125 milliards de dollars », estime Dr. Mabouba Diagne.
Pour Romuald Wadagni, ministre béninois de l’Economie et des Finances, il faut saisir l’occasion du bouleversement des échanges mondiaux consécutifs à la pandémie de Covid-19, pour partir sur de nouvelles bases.
« Même si nous disposons de la matière première, elle ne correspond pas aux exigences de nos partenaires or, sans une offre adaptée, les matières premières africaines partiront très loin, avant de revenir transformées », explique-t-il. Prenant l’exemple du Bénin devenu le premier producteur de coton en Afrique, il souligne que le Nigéria frontalier exporte son textile fabriqué à partir de coton venu de Chine…Il avance par ailleurs, la perception négative du continent africain, comme l’une des raisons à la faiblesse des échanges arabo-subsahariens. « On doit se dire les choses, l’Afrique est encore perçue comme un continent de pauvreté et de misère, même si la réalité a évolué », estime-t-il.
Le regain d’intérêt de l’Afrique subsaharienne par le monde arabe est relativement récent pour Randa Filfili, une entrepreneure d’origine libanaise qui réside au Sénégal depuis 25 ans. A la tête de Zena Exoticfruits, une PME de 158 salariés, spécialisée dans la transformation de fruits et légumes, elle exporte sirops et confitures dans toute la sous-région et depuis peu, à Dubaï. « Pour le monde arabe, la destination privilégiée reste l’Europe (…) Le fait de bénéficier de ces deux cultures arabe et africaine, me permet de comprendre le potentiel des relations à développer et j’observe depuis quelque temps, une réelle volonté de travailler ensemble », explique-t-elle.
Une feuille de route précise et des recommandations ciblées
Absence de normes qualité, problème d’assurances, obstacles tarifaires et non tarifaires, méconnaissance du marché, manque de diversification des produits et des services échangés et difficultés de financement des institutions de commerce et d’industrie en Afrique, sont autant d’obstacles au développement des échanges arabo-subsahariens.
« Pendant ce forum, nous avons fait le constat de l’intérêt d’augmenter substantiellement les fonds propres de nos institutions. Nos banques de développement régionales ou nationales sont notoirement sous-capitalisées », considèreSerge Ekue, le président, de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD). Il rappelle par ailleurs qu’aujourd’hui, « la ZLECAF représente un PIB de 2 500 milliards de dollars environ, ce qui correspond à peu près au PIB de la France », ajoutant que « l’idée est de faire croître cette richesse de 50% dans les vingt prochaines années »… Un discours qui n’a aucun mal à séduire les partenaires du monde arabe réunis dans la capitale égyptienne.
La Déclaration du Caire du 4 novembre exhorte la BADEA et ses partenaires à élaborer le cadre stratégique qui renforcera le commerce arabo-africain au cours des dix prochaines années. Des partenariats ciblés ont été définis dans les secteurs des engrais, des produits pharmaceutiques, de la construction, des produits électriques, de l’alimentation et de la pétrochimie, associés à des opérations destinées au renforcement des capacités ainsi qu’à la construction de chaînes de valeur commerciales arabo-africaines. Parallèlement, une coalition d’appui aux PME a été annoncée, pour intégrer tous les acteurs au cœur de cette relation renouvelée.
Les signataires de la déclaration ont appelé les instances multilatérales à fournir de la réassurance aux établissements de crédit et encouragent « l’expansion du financement de la garantie concessionnelle pour les exportations » entre les deux régions.
Parallèlement au programme Arab-Africa Trade Bridges (AATB) né en 2017 et placé sous la direction de la Société islamique internationale de financement du commerce (ITFC) (membre de la BID) pour favoriser les exportations arabes vers les pays d’Afrique subsaharienne, une plateforme dédiée au commerce arabo-subsaharien qui palliera le manque d’informations, a été annoncée. Appelée « A2A-Trade » (« Arabo to Africa Trade »), elle réunira toutes les données relatives aux relations commerciales entre l’Afrique subsaharienne et les pays du monde arabe (économie, finance, investissements, rapports, agenda,…). Financée par la BADEA, elle produira les informations issues des 54 pays africains et des 12 pays de la Ligue arabe. Son lancement est programmé pour le premier semestre 2022 et devrait alimenter le prochain forum arabo-africain de la BADEA qui se tiendra dans un pays d’Afrique subsaharienne non encore déterminé.
Source: La Tribune Afrique/ Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée