La dette des pays pauvres et émergents a culminé à 168 % de leur PIB, fin 2018. Un record historique.
La vague d’endettement qui s’est abattue sur les pays pauvres et émergents, depuis 2010, est la plus rapide, la plus importante et la plus étendue de ces cinquante dernières années. Dans une étude publiée jeudi 19 décembre et intitulée « Les vagues mondiales de la dette, ses causes et ses conséquences », la Banque mondiale (BM) alerte sur le risque de cet endettement, qui pourrait déboucher sur une crise financière. « A l’évidence, il est temps de corriger cette trajectoire », plaide David Malpass, le président de l’institution financière, qui appelle à une « meilleure gestion » et à une « plus grande transparence » de la dette, allusion à peine voilée aux nombreux emprunts accordés par la Chine à de nombreux pays en développement, dans des conditions parfois obscures.
Selon l’institution située à Washington, la dette des pays pauvres et émergents a culminé à 168 % de leur produit intérieur brut (PIB), fin 2018, un record historique, contre 114 %, huit ans plus tôt, en 2010. Même si cette hausse est due en grande partie à la Chine, elle concerne aussi les autres pays en développement. Leur endettement, qui s’est toutefois stabilisé au cours des deux dernières années, a atteint le niveau record de 107 % de leur PIB, fin 2018, en hausse de 19 points par rapport à 2010.
Dans cette étude, la BM met en perspective la vague de la dette actuelle avec les trois précédentes. Contrairement aux dernières, qui étaient régionales, comme en Amérique latine au début des années 1980, en Asie dans les années 1990, en Europe de l’Est et en Asie centrale au milieu des années 2000, la hausse récente de l’endettement concerne tous les pays émergents.
Une part croissante de la dette détenue par des créanciers privés
Les auteurs de l’étude constatent également qu’au fil des décennies, une part croissante de la dette est détenue par des créanciers privés. Les pays pauvres et émergents se détournent des grandes banques internationales, affaiblies par la crise de 2008, pour emprunter auprès des banques régionales et des marchés de capitaux.
Les banques chinoises ont été à l’origine des deux tiers des prêts entre pays émergents entre 2013 et 2017, et ont contribué, en quasi-totalité, au doublement des prêts contractés par les économies d’Afrique subsaharienne sur la même période. La dette publique des pays pauvres et émergents est aussi détenue par une part croissante d’investisseurs étrangers (43 % à la fin 2018), avec des délais de remboursement plus courts, et à des taux qui ne sont pas préférentiels, comme c’est le cas avec les banques de développement.
La BM préconise une baisse des déficits budgétaires, une meilleure collecte des impôts, des taux de change flexibles et un endettement orienté vers les investissements dans les secteurs productifs ou dans les infrastructures
Les auteurs de l’étude constatent que « les notations de la dette souveraine de nombreux pays émergents ont été abaissées depuis 2010 ». Ces pays sont donc plus vulnérables à la moindre hausse des taux d’intérêt ou à une crise de confiance des investisseurs, comme cela s’est produit en Turquie et en Argentine.
« La dette des ménages et des entreprises augmente plus rapidement que la dette publique, surtout dans les pays à moyen revenu », remarque Stephanie Blankenburg, économiste chargée de la division de la dette au Programme des Nations unies pour le développement. Cette hausse est la conséquence d’une baisse des taux d’intérêt en Europe et aux Etats-Unis et d’une dérégulation des marchés financiers, qui autorisent les entreprises à s’endetter à l’étranger. « Cet endettement des entreprises en devises étrangères fragilisent les Etats comme le Brésil et l’Afrique du Sud, car, à la moindre difficulté, leurs réserves de change risquent de fondre », s’inquiète Stephanie Blankenburg, qui plaide pour un retour du contrôle des capitaux.
Engager des réformes
La quatrième vague d’endettement aboutira-t-elle à une crise et à une chute de la production, comme cela a été le cas pour les précédentes ? C’est ce que laissent entendre les auteurs de l’étude, à moins que des réformes soient engagées. La BM préconise une baisse des déficits budgétaires, une meilleure collecte des impôts et des taux de change flexibles. Des propositions qui sont loin de faire l’unanimité.
« Les risques d’une crise de la dette sont importants, mais les pays emprunteurs ne sont pas les seuls responsables, explique Matthew Martin, le directeur du cabinet de conseil Development Finance International, sis à Londres. La Banque mondiale pourrait, par exemple, garantir les émissions d’obligations dans les pays pauvres pour que cela leur coûte moins cher, et la communauté internationale devrait augmenter ses prêts à taux réduit pour aider les pays pauvres à atteindre leurs objectifs de développement durable [fixés par l’Organisation des Nations unies]. »
En matière d’infrastructures, les pays à bas et moyen revenus ont besoin d’investir, chaque année, entre 4,5 % et 8,2 % de leur PIB annuel pour atteindre, d’ici à 2030, les objectifs de développement durable.
Manque de transparence
La BM s’inquiète également du manque de transparence de la dette, dont une partie croissante échappe au Club de Paris, un groupe informel de créanciers publics dont le rôle est de trouver des solutions coordonnées et durables aux difficultés de paiement de pays endettés. En cas de crise, les plans de rééchelonnement de la dette seraient ainsi plus difficiles à négocier, comme c’est le cas avec de nombreux prêts contractés auprès de la Chine, dont les clauses sont confidentielles. « Mais le problème va bien au-delà de la Chine,estime Mme Blankenburg. les marchés financiers sur lesquels s’endettent les entreprises et les Etats manquent eux aussi de transparence »
Source: Le Monde Afrique/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée