La situation reste très préoccupante, selon la FAO. Les insectes ravageurs menacent désormais les récoltes de céréales prévues en juin.
Alors que le continent se met en ordre de marche pour affronter l’épidémie liée au coronavirus, les pays de la Corne de l’Afrique tentent toujours de maîtriser la plus importante invasion de criquets pèlerins observée depuis des décennies. Jusqu’à présent, le pire a été évité. Les récoltes de céréales de décembre ont été épargnées et les pertes subies au début de l’année n’ont affecté que des productions secondaires. Mais les pays s’apprêtent maintenant à livrer la deuxième bataille pour mettre à l’abri les moissons prévues en juin, alors qu’arrivera à maturité la deuxième génération d’insectes ravageurs, dont la reproduction a été favorisée par des conditions météorologiques (chaleur et pluies abondantes) très favorables.
« Les récoltes de fin d’année ont été bonnes et les communautés rurales ont pu faire des stocks pour leur permettre de tenir jusqu’au mois de juin, mais il faut absolument éviter que les criquets qui commencent à voler en avril ne s’abattent sur les semis ou les zones de pâturages qui sont en train de reverdir », explique Cyril Ferrand, responsable de l’unité résilience en Afrique de l’Est de l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), à Nairobi. Les criquets pèlerins peuvent parcourir jusqu’à 150 km par jour et consomment l’équivalent de leur poids – environ 2 grammes par jour. Un essaim de 1 km² est capable d’engloutir la ration journalière de 35 000 personnes.
Dans son bulletin d’information publié mercredi 8 avril, la FAO maintient son alerte : « La situation dans l’est de l’Afrique demeure extrêmement préoccupante au vu de la présence des bandes larvaires et du nombre croissant de nouveaux essaims qui continuent de se former dans le nord et le centre du Kenya, dans le sud de l’Ethiopie et en Somalie. » L’Ouganda a d’ores et déjà signalé l’arrivée de nouveaux essaims dans l’est du pays.
Le difficile approvisionnement en pesticides
La FAO, qui avait lancé en janvier un appel de fonds de 76 millions de dollars (70 millions d’euros), a été contrainte de revenir devant ses bailleurs de fonds pour demander une somme deux fois plus importante (153 millions de dollars). « Début mars, nous avions pu mobiliser 110 millions de dollars », se félicite Cyril Ferrand, conscient du risque de voir l’épidémie de coronavirus faire passer les autres crises au second plan. Cet argent a permis d’envoyer sur le terrain des experts techniques pour former plus de 700 personnes aux opérations de surveillance et de contrôle. Plusieurs avions ainsi qu’une flotte de véhicules terrestres ont été déployés pour pulvériser les foyers d’acridiens.
Mais le coup d’arrêt donné à l’économie mondiale par l’épidémie pose désormais des problèmes dans l’approvisionnement en pesticides, que la FAO achète dans cinq pays : Chine, Inde, Royaume-Uni, Maroc et Kenya. La Somalie, qui a uniquement recours à des biopesticides, attend depuis trois semaines des livraisons du Maroc. Dans tous les pays de la région, l’invasion des criquets pèlerins reste considérée comme une urgence nationale et les équipes chargées de mener les opérations de contrôle peuvent en conséquence continuer de se déplacer sans restrictions.
Il s’agit en effet de prévenir une nouvelle aggravation de l’insécurité alimentaire, à laquelle 20 millions de personnes sont déjà confrontées du fait des conflits et de la succession d’épisodes climatiques extrêmes (inondations, sécheresses) enregistrée depuis quatre ans. En Ethiopie, pays le plus exposé de la région, 6 millions de personnes sur les 8,5 millions souffrant de manque de nourriture vivent dans des zones infestées par les criquets pèlerins.
« Le combat va durer jusqu’en juin. Tant que nous avons des pesticides, nous pouvons continuer, mais ces invasions sont parmi les plus difficiles à prévoir et à maîtriser », reconnaît Cyril Ferrand. La palette des scénarios suivis par la FAO traduit ces incertitudes : entre le plus optimiste, fondé sur le succès des opérations de pulvérisation et des conditions climatiques moins favorables aux insectes, et le plus pessimiste, qui retient des hypothèses à l’exact opposé, entre 500 000 et 5 millions de personnes supplémentaires pourraient être confrontées à des pénuries alimentaires à partir de l’été.
Source: Le Monde Afrique/Mis en Ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée