Dans le sillage de la condamnation de Guillaume Soro par le tribunal correctionnel d’Abidjan, la Côte d’Ivoire renforce sa défiance à l’égard de la juridiction de l’Union africaine.
La décision est tombée mercredi 29 avril après le conseil des ministres. La Côte d’Ivoire a retiré sa déclaration de compétence de la Cour africaine des droits de l’homme, a annoncé Sidi Tiemoko, le porte-parole du gouvernement ivoirien, dénonçant des « agissements intolérables » de cette juridiction. Concrètement, ce retrait de déclaration de compétence fait qu’il ne sera plus possible aux ONG et aux personnes privées de saisir directement la Cour à laquelle la Côte d’Ivoire continue d’adhérer.
Distance prise…
Pour l’exécutif ivoirien cité par l’AFP, ce retrait « fait suite aux graves et intolérables agissements que la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples s’est autorisée dans ses actions, et qui non seulement portent atteinte à la souveraineté de l’État de Côte d’Ivoire, mais sont aussi de nature à entraîner une grave perturbation de l’ordre juridique interne des États et à saper les bases de l’État de droit, par instauration d’une véritable insécurité juridique ». Le gouvernement a donc « décidé le 28 avril de retirer la déclaration de compétence prévue au protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples émise le 19 juin 2013 en application de l’article 34 alinéa 6 dudit protocole », a ajouté le ministre de la Communication et porte-parole.
… à la suite de la décision de la juridiction de l’Union africaine au profit de Soro
Le 22 avril, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples avait ordonné la suspension du mandat d’arrêt lancé par la justice ivoirienne contre Guillaume Soro, ancien président de l’Assemblée nationale, et demandé la remise en liberté provisoire de ses dix-neuf proches et partisans mis en détention préventive depuis la fin décembre 2019. Hier, Guillaume Soro a été condamné à 20 ans de prison pour « recel de détournement de deniers publics » alors qu’il n’était pas présent lors du procès. Il est aussi accusé de « tentative d’insurrection ».
« Décision politique », selon les autorités ivoiriennes
Le ministre des Affaires étrangères Ally Coulibaly, qui a rappelé que la Côte d’Ivoire ne quittait pas la Cour, a estimé que celle-ci avait pris une « décision politique » concernant Guillaume Soro. Cette décision « confère une certaine immunité pénale à quelqu’un qui veut être candidat aux prochaines élections. C’est inacceptable », a-t-il lancé. « Nous avons des juridictions qui fonctionnent bien. Notre justice est impartiale. On ne peut pas accepter que nos juridictions soient affaiblies à cause de cette adhésion à ce protocole de reconnaissance de compétence », a-t-il poursuivi.
Saisie par l’opposition, la Cour africaine avait également demandé l’année dernière à la Côte d’Ivoire de réformer sa Commission électorale. Les autorités avaient été très lentes avant de mettre en place une réforme critiquée par l’opposition, qui avait à nouveau saisi la Cour.
La Côte d’Ivoire dans le sillage de trois pays africains
Alice Banens, conseillère juridique pour l’Afrique à Amnesty International, a aussitôt dénoncé « un recul pour les droits humains en Côte d’Ivoire », cité par l’AFP. « Ce retrait privera les particuliers et les ONG ivoiriens d’un recours judiciaire précieux, lorsque leurs droits sont bafoués et qu’ils n’ont pas réussi à obtenir justice devant les tribunaux de leur propre pays. Ce retrait est également une énième attaque de front au système régional de protection des droits humains », a-t-elle martelé alors que le Bénin voisin s’est également engagé sur la même voie. La Côte d’Ivoire devenant ainsi le quatrième pays africain, et le deuxième en Afrique de l’Ouest, à retirer le droit aux individus et aux ONG de déposer des plaintes auprès de la Cour africaine – après les retraits du Rwanda et même de la Tanzanie, où est pourtant basée la juridiction régionale. La décision ivoirienne, qui prendra effet dans un an, intervient dans un contexte préélectoral où la tension est montée entre le pouvoir et l’opposition.
Source: Le Point Afrique/Mis en Ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée