En décembre 2019, Ignace Sossou, journaliste d’investigation béninois, participe à un atelier sur les fausses informations (fake news) organisé par Canal France International (CFI), une agence de développement des médias financée en grande partie par le Quai d’Orsay. Il relaie alors sur Twitter les propos tenus par l’un des intervenants, le procureur béninois Mario Metonou, en ces termes : « La législation béninoise, telle qu’elle est, n’offre pas une sécurité judiciaire aux justiciables » ; « La coupure d’Internet le jour du scrutin du 28 avril est un aveu de faiblesse des gouvernants » ; « Le Code du numérique est comme une arme braquée sur la tempe des journalistes ».
Après la conférence, Mario Metonou estimera que ses propos ont été tronqués et sortis de leur contexte. Ignace Sossou est accusé par les autorités béninoises de « harcèlement par le biais de moyens de communication électroniques ». Il sera condamné de dix-huit mois de détention ferme. Une peine finalement commuée à six mois fermes en appel. Le journaliste de 31 ans est sorti de prison en juin. Dans une interview exclusive accordée au Monde Afrique le 16 octobre, il sort du silence pour défendre la liberté d’expression dans son pays alors que le pays votera pour élire un nouveau président en avril 2021.
Vous êtes resté six mois derrière les barreaux. Comment s’est passée votre incarcération ?
Ignace Sossou J’ai été traité comme tout détenu. Je n’ai pas été torturé ni maltraité outre mesure. J’en ai profité pour enquêter. J’ai pu retrouver des personnes mises en cause dans certaines affaires dont j’avais entendu parler. Je ne compte pas changer de boulot.
Vous vous êtes pourvu en cassation. Qu’attendez-vous de la justice, aujourd’hui ?
J’attends l’annulation de ma condamnation. Il n’y a aucun rapport entre les chefs d’accusation et les faits. On m’accuse de harcèlement en ligne alors que j’ai relayé des propos tenus par un procureur dans un espace public, devant une cinquantaine de journalistes et de blogueurs. J’ai été ciblé parce que ses mots ont eu un écho politique assez important. Mais je n’ai harcelé personne ! Cette condamnation est totalement bidon.
Le Code du numérique adopté en 2017 a permis votre condamnation. Selon Amnesty International, au moins seize autres Béninois ont été, comme vous, poursuivis ou arrêtés pour violation de ce Code. Que pensez-vous de ce texte ?
Le Code du numérique permet d’attaquer un journaliste comme un simple citoyen, à partir du moment où ce qu’il dit est publié en ligne. Mais aujourd’hui, quasiment tous les médias sont en ligne ! Notre loi de l’information protège les journalistes en dépénalisant le délit de presse. Le Code du numérique, lui, les jette en pâture à ceux qui leur en veulent. Alors, quand à cette conférence, j’entends un procureur, un garant des textes, dire que ce Code est « une arme braquée sur la tempe des journalistes », évidemment, je trouve ça important de le relayer, car c’est une réalité.
Quel bilan dressez-vous de la liberté d’expression dans votre pays ?
Elle recule. Ma condamnation a été un signal envoyé à la presse. Les journalistes, s’ils se prononcent sur des sujets épineux, savent qu’ils risquent d’être condamnés. Nous sommes dans un pays où les gens ont peur de parler, parce qu’ils craignent des représailles. On tend de plus en plus vers un régime autoritaire. Moi, on m’a dit que j’étais à la solde des opposants, que j’ai voulu nuire au régime. Mais je n’ai pas de camp. Je suis journaliste, mon travail est de livrer l’information pour que les gens se fassent leur propre opinion sur des faits.
Dans une lettre d’excuse adressée au ministre de la justice le jour de votre arrestation, Canal France International (CFI), qui vous avait invité, vous a jugé « peu scrupuleux ». Comment l’avez-vous vécu ?
On m’a fait lire cette lettre pendant que j’étais en garde à vue. J’étais sonné. Je n’avais que très peu collaboré avec CFI. Comment pouvaient-ils se permettre de dire que je suis « peu scrupuleux » ? Le rôle qu’ils ont joué dans ma condamnation est déplorable. Je n’ai fait que retweeter trois ou quatre phrases pendant un panel. On nous encourageait d’ailleurs à le faire. Ce qui m’a choqué, c’est qu’à la fin de cette conférence, CFI m’a appelé pour me demander de retirer mes tweets, en me disant que si je ne le faisais pas, ils ne m’inviteraient plus à partir en voyage pour participer à leurs activités. J’ai refusé, parce que ce n’était pas des fausses informations. Je ne suis pas responsable des propos du procureur ! J’ai trouvé ça vraiment déplacé.
En 2019, vous avez déjà été condamné pour « publication de fausses informations » suite à la publication d’une enquête sur de faits d’évasion fiscale. Vous sentez-vous ciblé pour votre travail ?
Beaucoup de personnes m’ont mis en garde, en me conseillant d’abandonner ce dossier car je m’attaquais à des personnes influentes. En l’occurrence, il s’agissait d’un conseiller au commerce extérieur de la France au Bénin, qui était aussi directeur d’un grand supermarché. Des événements étranges se sont produits. Quand j’enquêtais, j’ai échappé à un accident intentionnel. J’ai été pris en filature alors que je revenais d’un rendez-vous avec un témoin clé. Un véhicule a voulu me mettre dans le fossé. Et puis, deux semaines avant mon procès, une voiture m’a percuté alors que j’étais en moto. J’ai eu une fracture de la clavicule et j’ai dû être opéré.
Aujourd’hui, vous sentez-vous libre d’exercer votre métier ?
Mon travail a commencé à me stresser. Je ne fais plus vraiment ce que j’ai envie de faire. Je contrôle mes sorties, je ne conduis plus et j’ai déménagé. J’essaie de préparer ma famille au pire, car on ne sait pas quand un malheur peut arriver… Mais j’essaie de rester serein. Je n’ai pas peur et je ne vais pas me taire. Les pressions et les intimidations font partie des risques du métier.
Source: Le Monde Afrique /Mis en ligne : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée