Alors que les attaques terroristes se multiplient au Sahel, malgré une importante présence militaire, les dirigeants africains demandent des interventions plus musclées de la part des Nations unies.
Comment mettre fin au terrorisme au Sahel ? Quelle est la meilleure stratégie à adopter pour lutter contre les nombreux groupes jihadistes à la résilience hors norme, très mobiles et dont l’activisme déstabilise les États ? Malgré la présence de plusieurs forces et opérations militaires – dont Barkhane – sur ce territoire désertique de plus de 3 millions de km², la guerre contre le terrorisme est encore loin d’être gagnée.
Ces derniers mois, les attaques contre plusieurs bases militaires et des populations au Mali ou au Burkina Faso se sont multipliées. La plus meurtrière, début novembre, a fait plus de 50 morts dans les rangs maliens. Mi-novembre, Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations unies, alertait quant à la dégradation des conditions de sécurité au Sahel. “Les chiffres sont choquants. Rien que depuis janvier : plus de 1 500 civils ont été tués au Mali et au Burkina Faso”, déplorait-il dans un rapport sur la situation sécuritaire dans la région.
Encore lundi, un soldat nigérien a été tué dans une attaque à la voiture piégée contre un camp de l’armée nigérienne dans la région de Tahoua (ouest), proche du Mali. Un autre militaire français de l’opération Barkhane a été grièvement blessé samedi au Mali dans l’explosion d’une mine artisanale “dans la région du Liptako située aux confins du Mali, du Niger et du Burkina Faso », a indiqué le colonel Frédéric Barbry à l’AFP.
Deux semaines plus tôt, treize militaires Français trouvaient la mort dans la collision de deux hélicoptères lors d’une opération antiterroriste au Nord-Mali.
Incompréhension des populations
À ces différents revers s’ajoutent les problèmes de financement de la force conjointe du G5 Sahel, qui la rendent inopérante. Il y a également l’hostilité des populations – qui ne se sentent plus protégées – à l’encontre de la Mission multidimensionnelle des Nations unies pour la stabilisation du Mali (Minusma), malgré ses 13 000 hommes. “La situation sécuritaire est mauvaise dans les pays du Sahel. Dans ces circonstances, on peut comprendre que les populations soient dans l’incompréhension. Elles ont le sentiment que malgré les nombreuses présences militaires internationales, la situation ne cesse de se dégrader”, explique Gilles Yabi, chercheur et fondateur du think tank Wathi basé à Dakar, contacté par France 24.
“Les populations n’arrivent pas à comprendre qu’une force des Nations unies, avec le nombre de ses soldats et son budget énorme, n’ait pas un mandat de lutte antiterroriste,” concède pour sa part Mahamat Saleh Annadif, ancien ministre tchadien des Affaires étrangères et chef de la Minusma pour la stabilisation du Mali, contacté par France 24. “Nous entendons leur frustration. Mais notre mandat n’est pas de lutter contre le terrorisme, comme le nom de la mission l’indique il est de stabiliser le Mali’’, affirme le diplomate.
La Minusma avait été déployée en 2013 alors que le Mali était en proie à des mouvements rebelles au nord et au centre du pays. Six ans après, ces mouvements indépendantistes – qui ont entamé, pour la plupart, le processus de paix initié en 2015 – ont laissé place à des groupes terroristes affiliés à l’État Islamique dans le Grand Sahara (EIGS).
Un mandat plus offensif pour lutter contre le terrorisme ?
En marge du Forum sur la paix organisé les 12 et 13 novembre à Paris à l’initiative d’Emmanuel Macron, plusieurs chefs d’État – dont le président nigérien – ont reaffirmé leur volonté d’avoir un mandat onusien plus offensif au Sahel. “Nous avons demandé à la Communauté internationale de mettre la force conjointe du G5 Sahel sous le chapitre 7 de la charte des Nations unies : nous ne l’avons pas obtenu”, regrettait au micro de RFI, Mahamadou Issoufou.
Le chapitre 7 de la charte de l’ONU prévoit d’entreprendre “au moyen de forces aériennes, navales ou terrestres, toute action que [le Conseil de sécurité] juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales”. Cela ouvrirait la voie, selon Mahamat Saleh Annadif, à des financements de la part de l’ONU. Mais cette perspective reste bloquée par les États-Unis qui préfèrent miser sur les aides bilatérales aux cinq pays du G5 Sahel. “Malheureusement, il faut le reconnaître, ces aides bilatérales ne sont pas à la hauteur”, affirme le chef de la Minusma.
Faut-il alors réévaluer le mandat de la mission onusienne au Mali, dont les deux tiers du territoire sont aux mains de groupes jihadistes ? Plusieurs dirigeants africains ont exprimé leur volonté de voir les forces de l’ONU devenir plus offensives face aux groupes terroristes. Car pour le président nigérien, au Mali, “il ne s’agit plus d’y maintenir la paix, mais de faire la guerre”.
Pour Gilles Yabi, cette préoccupation des dirigeants africains n’est pas nouvelle. “Dès le début de la mission de paix au Mali en 2013, la question s’est posée de savoir si une mission de maintien de paix traditionnelle serait adaptée sur un terrain où les acteurs sont des groupes armés terroristes. À mon avis, il y a très peu de chances que le Conseil de sécurité accepte de doter une force des Nations unies d’un mandat de lutte antiterroriste. Par contre, l’idée de donner des moyens beaucoup plus importants à une force régionale comme le G5 Sahel est beaucoup plus imaginable. Mais on peut questionner la capacité de nos forces armées à s’engager”, estime le chercheur.
“Il faut professionnaliser les armées”
Si Mahamat Saleh Annadif est d’avis que les Missions de maintien de la paix conçues dans les années 1950 ne sont plus adaptées dans des environnements actuels pleins de terroristes, il insiste aussi sur l’urgence de restructurer et de reconstruire les armées nationales. “L’ONU mène des réformes pour adapter les missions à leur environnement”. Cependant, nuance le diplomate, « les Africains ne peuvent compter sur eux-mêmes et leurs armées pour lutter contre le terrorisme. Il est primordial de les reconstruire parce que la sécurité ne se sous-traite pas”.
“Il faut professionnaliser les armées”, abonde Ahmedou Ould Abdalah, directeur du Centre pour la stratégie et la sécurité dans le Sahel Sahara, basé à Nouakchot. “Nos soldats avaient quand même combattu avec vaillance dans des conditions climatiques effroyables lors de la Première et de la Seconde Guerre mondiale. Mais comment voulez-vous avoir une armée professionnelle avec des recrutements familiaux ?” L’ancien ministre mauritanien des Affaires étrangères pointe du doigt la corruption qui gangrène bon nombre d’administrations en Afrique.
Pour lui, qui a été le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU en Somalie, la lutte contre le terrorisme ne peut se résoudre d’abord que par la bonne gouvernance. “Il faut que les pouvoirs en place s’ouvrent à la société civile et arrêtent d’exclure les partis politiques de l’opposition. C’est cela le véritable problème de nos pays et non le chapitre 7 de la charte des Nations unies”, conclut-il.
Source: France 24/Lhi-tshiess Makaya-exaucée