L’assassinat de Patrick Karegeya, devenu opposant au président Paul Kagame, a jeté depuis 2014 un froid sur les relations rwando – sud-africaines.
La décision ne devrait pas arranger les relations entre les deux pays. Plus de cinq ans après les faits, la justice sud-africaine a lancé des mandats d’arrêt contre deux ressortissants rwandais, suspectés d’avoir participé à l’assassinat de Patrick Karegeya.
L’ancien chef des services des renseignements extérieurs du Rwanda avait été retrouvé mort, étranglé, le 1er janvier 2014, à Johannesburg, dans une chambre de l’hôtel Michelangelo. Ami d’enfance et compagnon d’armes du président rwandais Paul Kagame, le colonel Karegeya était devenu, quelques années après avoir été arrêté suite à des accusations d’insubordination et de désertion, l’un de ses opposants les plus farouches.
Exilé en Afrique du Sud depuis 2010, il était l’un des fondateurs du Rwanda National Congress (RNC, Congrès national rwandais), un mouvement d’opposition dans lequel se retrouvent d’autres anciens dignitaires déçus du régime de Kigali, comme l’ex-chef d’état-major de l’armée, le général Faustin Kayumba Nyamwasa. Plus chanceux, ce dernier a échappé à aux moins deux tentatives d’élimination en Afrique du Sud.
Que les assassinats aient réussi ou non, les investigations de la police et de la justice sud-africaines ont à chaque fois remonté des pistes prenant la direction de Kigali. Très vite après la mort de Patrick Karegeya, les enquêteurs avaient identifié quatre suspects ayant loué des chambres dans l’hôtel où le meurtre a été commis. « Ils l’ont tué aux environs de 8 heures, et peu avant 9 heures, ils étaient déjà à l’aéroport, pris en charge par des membres de l’ambassade du Rwanda à Pretoria », assure Kennedy Gihana, l’un des avocats de la famille Karegeya. Cependant, l’affaire s’était enlisée pendant près de cinq ans, le parquet refusant de lancer des poursuites afin d’éviter une crise diplomatique avec le Rwanda, selon les proches du défunt.
« Une victoire pour la famille et les avocats »
La détermination de la famille, étonnamment appuyée par AfriForum, une organisation connue pour sa défense des intérêts de la minorité afrikaner, a finalement poussé le parquet sud-africain à relancer l’affaire en février, puis à délivrer, ce mois-ci, deux mandats d’arrêt. Ils visent Ismael Gafaranga, un homme d’affaires qui aurait servi à appâter M. Karageya dans une chambre d’hôtel, et un certain Alex Sugira, « mais des investigations doivent encore être faites pour que deux autres mandats soient délivrés contre Samuel N. et Vianney N., les autres membres présumés du commando », explique Me Gihana.
Les chances de voir Kigali extrader ses ressortissants étant quasi nulles, le parquet sud-africain devrait prochainement saisir Interpol afin que l’organisation mondiale transmette à tous ses Etats membres une notice rouge sur ces suspects. « C’est une victoire pour la famille et les avocats. Le gouvernement rwandais n’enverra pas ses agents si facilement, mais un jour ils seront jugés. Cela peut prendre cinquante ans, mais ils seront jugés. Le pouvoir de Paul Kagame n’est pas éternel », s’enthousiasme Me Gihana. « Je doute fort que le régime les livre, mais attendons et espérons être surpris », ajoute David Batenga, le neveu du colonel Karegeya.
Pour l’heure, les autorités rwandaises n’ont pas officiellement réagi mais il ne fait guère de doute que la relance de cette affaire va porter un nouveau coup aux difficiles relations diplomatiques entre les deux pays. Faut-il y voir un premier signe de crispation ? Paul Kagame, pourtant grand habitué de ce type de réunion, a annulé sa venue au Forum économique mondial, qui s’est tenu au Cap du 4 au 6 septembre. Aucune raison officielle n’a été donnée aux organisateurs.
Des relations empreintes de tensions
Malgré l’apparent dégel des relations entre les deux paysdepuis l’arrivée de Cyril Ramaphosa aux commandes à Pretoria, celles-ci restent en réalité empreintes de tensions du fait de la présence d’opposants rwandais sur le territoire sud-africain. Le RNC, constitué pour l’essentiel de transfuges du Front patriotique rwandais (FPR, au pouvoir), est bien plus menaçant pour les autorités de Kigali que les partis politiques reconnus officiellement ou les groupes rebelles qui survivent dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Il est l’ennemi venu de l’intérieur, celui qui connaît les secrets intimes.
Preuve en est : lorsque, en novembre 2018, Lindiwe Sisulu, la chef de la diplomatie sud-africaine, s’est prononcée en faveur d’un dialogue entre Kigali et le général Faustin Kayumba Nyamwasa, qu’elle venait de rencontrer, la réponse fut cinglante : son homologue rwandais a aussitôt refermé la porte à toute discussion avec « un criminel condamné » et sous le coup d’un mandat d’arrêt après avoir été accusé d’avoir commandité des attaques à la grenade dans son pays en 2010.
La presse proche du régime était allée plus loin : le site Rushyashya avait qualifié la ministre de « prostituée de Nyamwasa ». Pretoria avait alors rappelé momentanément son ambassadeur. Quelques semaines plus tard, le gouvernement rwandais émettait un nouveau mandat d’arrêt à son encontre, l’accusant de monter une rébellion en RDC.
Si Kigali a toujours démenti le moindre lien avec les assassinats ou tentatives d’assassinat de ses ennemis, certaines déclarations ayant suivi la mort de Patrick Karegeya interpellent. « Quand vous vivez comme un chien, vous mourrez comme un chien », avait estimé le ministre de la défense, James Kabarebe, peu de temps après la mort de son ancien frère d’armes. Paul Kagame s’était montré à peine moins direct en considérant que « la trahison a des conséquences ».
Les interrogations sur l’existence d’un commando chargé d’exécuter des dissidents rwandais sont réapparues après la mort dans des conditions suspectes, le 1er août, au Cap, de Camir Nkurunziza, un ancien garde du corps du président Kagame passé à l’opposition.
Terre d’asile pour David Batenga, l’Afrique du Sud n’est, en revanche, plus un abri sûr. « Je vis dans une peur constante. Je regarde toujours derrière moi. Mon oncle est mort. Kayumba vit avec une balle dans l’estomac. C’est très déstabilisant », confie le neveu de Patrick Karegeya.
Source: Le Monde Afrique/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée