Émeutes de la faim, violences policières, hausse de la criminalité : le durcissement des mesures sur le continent s’est accompagné d’autres défis.
- Un confinement intenable dans les bidonvilles du Kenya
Des femmes et des enfants qui tombent au sol, ensanglantés et piétinés lors d’une distribution de nourriture dans un bidonville de Nairobi, pendant que la police tire des gaz lacrymogènes et charge à coups de bâton. La scène s’est déroulée vendredi dans l’immense bidonville de Kibera, en plein cœur de la capitale kényane. Elle pourrait bien préfigurer la suite, si l’Afrique ne parvenait pas à combiner la lutte contre le nouveau coronavirus et l’aide à des millions de citadins miséreux. « Je lui donne (au gouvernement) une ou deux semaines avant que la situation n’empire. Pas en termes de coronavirus, mais en termes de faim », déclare à l’AFP Kennedy Odede, directeur de Shining Hope for Communities (Shofco), une organisation locale travaillant à Kibera. « Si ça continue comme ça, nous pourrions jouer avec le feu », prévient-il.
Pour contenir la propagation du virus, le Kenya a isolé Nairobi et certaines zones côtières du reste du pays, et imposé un couvre-feu nocturne. Ces décisions ont déjà coûté leur emploi à de nombreux Kényans. Le président Uhuru Kenyatta a brandi la menace d’un confinement total pour obliger ses concitoyens à respecter les règles. Mais les officiels reconnaissent que ce serait un choix déchirant alors que 60 % des habitants de Nairobi vivent dans des bidonvilles.
- Au Sénégal, une association au secours des « talibés »
Décriés par une population craignant la contamination, pourchassés par les policiers chargés de faire appliquer le couvre-feu, les enfants et adolescents qui vivent dans les rues de Dakar se tournent vers une association pour reprendre des forces et échapper au coronavirus. Le Sénégal compte plus de 90 % de musulmans, adhérant pour la plupart à l’islam soufi, représenté par différentes confréries. Envoyés dans un daara (une école coranique) par leurs parents, parfois à des centaines de kilomètres de chez eux, les talibés passent le plus clair de leur temps à apprendre le Coran et à mendier.
Dans la capitale sénégalaise, ville de plus de 3 millions d’habitants où résidences de luxe côtoient des quartiers surpeuplés, ils sont des centaines, voire des milliers, parfois âgés de cinq ans à peine, à vivre dans la rue. Mais depuis que le coronavirus a fait son apparition dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, contaminant quelque 300 personnes et causant la mort de deux d’entre elles, « la mendicité, ça ne marche plus », explique Bamba Seck, 18 ans. Ils ont rompu avec leur famille, fui les maltraitances d’un maître coranique ou rejoint la rue simplement par « soif de liberté », explique Cheikh Diallo, l’un des responsables de Village Pilote, une association franco-sénégalaise qui leur vient en aide depuis près de trente ans. Avec l’apparition du virus, l’association avait décidé de ne plus accueillir de nouveaux pensionnaires, pour éviter les contaminations. À la place, elle a organisé des distributions de vivres dans les rues de Dakar.
- En RDC, les autorités craignent « le pire » dès début mai
En République démocratique du Congo, « la pandémie du Covid-19 entre dans une phase exponentielle dans la ville province de Kinshasa (…), le pic de cette croissance sera atteint entre la première et la deuxième semaine du mois de mai 2020 », estime le comité chargé de la riposte au Covid-19 dans un compte rendu, parvenu mercredi à l’AFP. « Pendant cette période, il faut s’attendre à un afflux important des malades dans les structures sanitaires qui vraisemblablement seront débordées. Si les efforts de préparation en cours ne sont pas finalisés à temps, il faudra craindre le pire », alerte le comité.
Depuis le début de l’épidémie déclarée le 10 mars, la RDC a enregistré 254 cas confirmés, dont 21 décès et 21 personnes guéries, selon les autorités. Kinshasa enregistre la très grande majorité des contaminations (242 cas confirmés sur les 254 dans le pays). Plusieurs personnalités proches du président Félix Tshisekedi ont été testées positives et d’autres en sont décédées, dont un chargé de mission de la présidence, Jacques Ilunga. Mercredi, Mgr Gérard Mulumba, oncle paternel du président et chef de son cabinet civil, est également décédé du Covid-19, selon ses proches. La mesure la plus forte prise à ce jour concerne le siège des institutions et centre névralgique de Kinshasa au bord du fleuve Congo : le quartier de la Gombe, considéré comme l’épicentre de l’épidémie, est en effet confiné depuis le 6 avril, et les opérations de désinfection commencées depuis une semaine se poursuivent. Ce confinement s’étend jusqu’au 20 avril. L’accès à la Gombe est strictement filtré par des policiers : plusieurs barrières sont érigées et les rares passants munis d’un laissez-passer doivent se soumettre au lavage obligatoire des mains et à la prise de température. L’équipe de riposte contre le Covid-19 « constate que les mesures de distanciation sociale sont totalement relâchées et redoute une transmission interhumaine intense de la maladie au cours de la période critique qui s’annonce dans les prochaines semaines », selon le compte rendu des experts. Ils recommandent « le port obligatoire des masques par tous dans tous les lieux publics et particulièrement dans les transports en commun et les marchés ». Ils suggèrent aussi « l’extension du confinement aux communes voisines de la Gombe ».
- En Afrique du Sud : mourir de faim ou tomber malade
La police sud-africaine a dispersé mardi par des tirs de balles en caoutchouc et de gaz lacrymogènes des habitants d’une banlieue pauvre du Cap (Sud-Ouest), furieux de ne pas recevoir de nourriture dans le cadre du confinement anti-coronavirus, a constaté un journaliste de l’AFP. « Les gens sont sortis de chez eux, frustrés. Ils voulaient savoir où étaient leurs colis de nourriture », a expliqué la présidente d’une association locale, Liezl Manual. « Quand on regarde les infos, on voit qu’on distribue des choses dans différentes zones de notre province, mais pas à Tafelsig », un quartier de Mitchells Plain, a-t-elle ajouté. Les manifestants ont mis le feu à des pneus et accueilli avec des jets de pierre la police, qui a riposté avec des balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes. « Nous avons de jeunes enfants. On veut manger. Ils doivent manger », a expliqué une mère de famille en colère, Nazlie Bobbs. « Ils nous ont dit qu’on aurait des colis. Où sont les colis ? Pendant combien de temps on va être confinés ? »
Pour lutter contre la pandémie de nouveau coronavirus, le président Cyril Ramaphosa a imposé depuis le 27 mars un confinement strict de la population, qui doit se poursuivre jusqu’à la fin du mois d’avril. Le chef de l’État a promis des distributions de nourriture aux populations les plus modestes du pays, déchiré par des inégalités criantes entre riches et pauvres. « On préfère mourir du coronavirus que de mourir de faim dans nos maisons », a dit mardi une autre habitante de Mitchells Plain, Denise Martin. L’Afrique du Sud est le pays d’Afrique subsaharienne le plus touché par l’épidémie de Covid-19 partie de Chine, avec 2 415 cas de contamination confirmés dont 27 mortels, selon le dernier bilan.
- Dans Lagos confinée, la criminalité et la peur gagnent
Dans de nombreux quartiers populaires de Lagos, capitale économique du Nigeria de 20 millions d’habitants, l’immense majorité de la population dépend de l’économie informelle pour se nourrir. Mais pour lutter contre la propagation de l’épidémie de coronavirus qui a fait pour l’instant 10 morts dans le pays, plusieurs États, dont celui de Lagos et son voisin d’Ogun, ont adopté des mesures de confinement très strictes qui empêchent toute activité économique non essentielle. Quelques heures seulement avant la fin de la première phase de 14 jours, qui devait s’achever lundi soir, le président Muhammadu Buhari a annoncé une prolongation de deux semaines supplémentaires, dans un climat social extrêmement tendu et une hausse des actes de criminalité. L’inspecteur général de la police a « ordonné le déploiement immédiat » de forces de sécurité dans les États de Lagos et d’Ogun. « 191 suspects ont été arrêtés en relation avec les incidents », a-t-il assuré dimanche soir. Mais Chioma Okoro se désespère de voir la police dans son quartier d’Agege-Dopemu, non loin d’Alimosho. « Ça fait des jours qu’on les appelle, ils ne viennent pas », témoigne la jeune femme.
« Dès qu’on passe la porte de la maison pour aller acheter à manger, on a peur », confie-t-elle à l’AFP. « Si on va retirer de l’argent au distributeur, on risque de se faire braquer en plein jour. Si on va au marché, on surveille derrière nous, pour voir si quelqu’un nous suit. » La nuit dernière, elle a entendu des échanges de tirs. « J’ai eu très peur », avoue-t-elle. À Agbado, à la frontière entre les États de Lagos et d’Ogun, des résidents dressent des barricades de la tombée de la nuit jusqu’au lever du jour et s’arment de couteaux, de haches et de barres de fer pour dissuader les criminels. « Ce sont des cultistes, ces gangs qui terrorisent les communautés, qui profitent du confinement pour nous voler et violer nos femmes », explique Alhaji Mufu Gbadamosi, le chef traditionnel du quartier. L’un de ses hommes, Dotun Alabi, a arrêté deux « gamins » pendant le week-end de Pâques alors qu’ils cambriolaient une maison. « Ils nous ont dit qu’ils cherchaient quelque chose à manger. » Dans son allocution télévisée, le chef de l’État a annoncé qu’il étendrait la « liste des foyers bénéficiant des aides d’État de 2,6 millions de foyers à 3,6 millions dans les deux prochaines semaines ». Le gouvernement a également promis de distribuer 70 000 tonnes de céréales « à ceux qui en ont le plus besoin ». Mais ces mesures sont insignifiantes dans un pays de près de 200 millions d’habitants, qui compte le plus grand nombre de personnes au monde vivant sous le seuil de l’extrême pauvreté (plus de 87 millions en 2018) selon l’organisation World Poverty Clock.
Source: Le Point Afrique/Mis en Ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée