Le niveau des emprunts limite singulièrement les capacités d’action des États subsahariens. Illustration avec le dernier rapport de l’agence Moody’s.
Mauvaise nouvelle pour les gouvernements d’Afrique subsaharienne :l’agence de notation Moody’s est pessimiste. Elle juge la région trop endettée pour faire face à d’éventuels chocs externes notamment commerciaux, financiers ou climatiques dans l’année à venir. Alors que la croissance restera solide à 3,5 % contre 3,1 % en 2019 – pour l’Afrique subsaharienne dans un contexte mondial plus instable, elle ne permettra pas de renforcer de manière significative les revenus ni la résilience économique de ces pays. « L’environnement extérieur moins prévisible aggrave les défis existants des pays d’Afrique subsaharienne et les rend plus vulnérables aux risques extérieurs », a déclaré David Rogovic, vice-président de Moody’s – analyste principal et co-auteur du rapport. « La capacité limitée de la plupart des gouvernements à répondre à des chocs externes négatifs, même modestes, exacerbe la sensibilité de la région à un environnement mondial plus négatif », écrit Moody’s dans une note publiée le 13 janvier. Même si sa part dans le commerce mondial peine toujours à dépasser 5 %, l’Afrique subsaharienne reste exposée aux variations des prix des matières premières, mais aussi aux conditions climatiques. Et pourtant, des efforts ont été faits pour résorber le déficit budgétaire par exemple. Moody’s note qu’il reculera de 3,3 % à 3 % en 2020. Même la dette médiane des pays subsahariens par rapport à leur produit intérieur brut va baisser de 54,5 % à 51 %.
Des notes dégradées
Insuffisant pour l’Agence de notation américaine qui s’attend à une modeste consolidation budgétaire pour la région et qui juge encore que le poids de la dette est trop élevé et loin des 40 % du PIB il y a cinq ans. La croissance économique devrait s’accélérer modestement aussi, la croissance du PIB réel régional (moyenne pondérée) atteignant 3,5 % en 2020 contre 3,1 % en 2019, pénalisée par une croissance atone dans les plus grandes économies de la région, le Nigeria et l’Afrique du Sud. La croissance reste inférieure à ce qui est nécessaire pour augmenter les revenus de manière significative ou pour accroître la résilience économique, tandis que les risques sont élevés, étant donné l’environnement extérieur moins prévisible.
Et l’agence de distribuer les notes négatives : « Notre dégradation de la République démocratique du Congo est motivée par la capacité limitée des institutions politiques du pays à répondre aux chocs économiques et politiques. » Moody’s a aussi dégradé la note de la Namibie à cause de sa dette ainsi que des perspectives de croissance plus faibles. Les perspectives sont négatives aussi pour l’Éthiopie, qui passe à B1 négatif à cause d’une dette extérieure croissante notamment des grandes entreprises publiques.
Reprise économique faible
En revanche, la reprise de la croissance se confirme pour les exportateurs de matières premières comme l’Angola, qui approchera les 1,5 % en 2020 après quatre ans de contraction économique. La croissance s’accélérera au Gabon à 3,9 % contre 2,8 % en 2019. La croissance sera robuste dans les autres exportateurs de matières premières non énergétiques (Niger, Ghana, Botswana). La croissance restera faible en Namibie et en Zambie, où les défis budgétaires continuent de peser sur les perspectives économiques.
Comme pour la Banque mondiale, les perspectives pour les grandes économies restent inchangées. L’Afrique du Sud ne connaîtra qu’une légère accélération de la croissance à 1 % en 2020 contre 0,7 % en 2019, ce qui reste inférieur au taux de croissance moyen de 1,7 % enregistré au cours de la dernière décennie. La faute à un chômage élevé, aux inégalités des revenus, et les défis sociaux et politiques. Le Nigeria va accélérer à seulement 2,5 % en 2020, contre environ 2 % en 2019.
Premières notes en zone UEMOA
Pour la première fois en 2019, Moody’s a attribué des notes au Bénin (B2 positif), au Mali (B3 stable), au Niger (B3 stable) et au Togo (B3 stable). Quatre pays appartenant à l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Cette zone a fait beaucoup parler d’elle en fin d’année au moment de l’annonce de la fin du franc CFA. Pour Moody’s, la zone a réussi à maintenir une inflation faible grâce à un rattachement à l’euro et à des réserves communes. Ce qui lui a permis de renforcer la stabilité extérieure malgré un niveau élevé de déficits courants. Mais attention annonce l’institution américaine, la résilience économique de ces pays est limitée « en raison de la petite taille de leurs économies et des faibles niveaux du revenu par habitant ». Moody’s note également que le risque politique est important en Afrique de l’Ouest, notamment au Niger et au Mali. Des pays jugés à risque géopolitiquement en raison de la présence de groupes d’insurrection dans les deux pays. « Le Bénin et le Togo, en revanche, connaissent une montée des tensions politiques internes », remarque l’agence.
Chocs extérieurs
Mais certains pays s’annoncent déjà comme les grands gagnants de 2020. En effet, le Rwanda, le Cameroun, ou la Côte d’Ivoire seront à même de s’adapter à une chute de leurs recettes selon Moody’s. En cas de chocs, ces pays seront alors capables de tailler dans les dépendances grâce à leur flexibilité. Moody’s est plus sévère concernant le Ghana et la Namibie, deux pays aux structures de dépenses plus rigides, et qui, en cas de chocs, ne pourront absolument pas réduire les dépenses prévues. Autant que les autres institutions, Moody’s s’inquiète vraiment de la dette des États subsahariens. « La hausse de la dette et des charges d’intérêts depuis 2015 a affaibli le profil budgétaire des États de l’Afrique subsaharienne. » Environ la moitié de la dette extérieure africaine est aujourd’hui détenue par des banques commerciales. Elle est à court et moyen terme, à l’opposé des prêts concessionnels longs accordés par les bailleurs bilatéraux ou multilatéraux comme la Banque mondiale ou la Banque africaine de développement. Pour Moody’s, il y a une autre source d’inquiétude : ces prêts à moyen terme en devises fortes ont été utilisés pour financer des investissements d’infrastructure visibles seulement sur le long terme, mais dont le rendement est le plus souvent en monnaie locale. Ces rendements n’apparaîtront pas avant quelques années et seront en devises locales, alors que les emprunts doivent être remboursés au bout de deux ans ou moins en monnaie internationale. Résultats : plusieurs pays sont aujourd’hui confrontés à des difficultés de paiement et certains ont déjà fait appel au Fonds monétaire international.
Moody’s voit au bout de 2020 plusieurs bonnes nouvelles : le lancement de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) d’ici juillet. D’après l’agence « les exportations intrarégionales contiennent généralement plus de biens à valeur ajoutée que les exportations vers le reste du monde et la demande est plus stable. Par conséquent, un commerce intra-régional plus important en Afrique pourrait augmenter les revenus et réduire la volatilité de la croissance ». Autre bon point pour l’Afrique subsaharienne, l’accélération des nouvelles technologies, notamment l’intelligence artificielle. Mais là aussi, les gouvernements sont attendus pour jouer pleinement leurs rôles, car les environnements ne sont pas les mêmes et tous ne sont pas propices à l’innovation.
Source: Le Monde Afrique/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée