Patrick Youssef, responsable régional en Afrique pour la Croix-Rouge internationale, décrypte la situation sanitaire après les dernières attaques djihadistes.
Si la violence des attaques djihadistes a placé le Mali sous les projecteurs le 1er novembre, la liste des victimes burkinabées s’est allongée ces dernières semaines. Quinze civils ont été tués à Pobé-Mengao, province du Soum, les 26 et 27 octobre. Le lendemain, c’est un policier qui a succombé à une attaque dans la province du Bam (Centre-Nord) et le surlendemain, cinq corps « criblés de balles » ont été découverts près de Dori, dans le nord du pays (région Sahel). De plus en plus fréquentes et meurtrières, les attaques de groupes armés ont fait plus de 600 morts et occasionné près de 500 000 déplacés internes.
Une situation à laquelle le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) se trouve confronté au quotidien. De passage à Paris, Patrick Youssef, le directeur régional adjoint pour l’Afrique du CICR, dresse un tableau préoccupant de la situation humanitaire et sécuritaire dans le pays.
Quel tableau avez-vous envie de brosser de la situation sécuritaire et humanitaire ?
Patrick Youssef L’année 2019 a été particulièrement grave. Le Burkina Faso n’est plus un acteur secondaire de la crise au Sahel, comme ça l’a été les années précédentes lorsque le Mali en était l’épicentre. Les développements démontrent que ce pays est malheureusement devenu une partie intégrante de cette crise. Sa population fait face à des besoins humanitaires croissants dans le Soum, dans le centre et dans l’extrême nord du pays. Si l’on compare à 2018, on constate une nette augmentation du nombre de déplacés qui, rien que pour le nord, est passé de 280 000 au mois de mai à 480 000 actuellement. Près de 100 centres de santé ont fermé soit par manque de matériel, soit à cause l’insécurité, et environ 2 000 écoles ont aussi fermé leurs portes. Cette évaluation de la situation nous amène à des scénarios assez sombres.
Quels scénarios ?
Nous redoutons que l’insécurité se propage davantage. Aujourd’hui, elle concerne surtout le nord. Il y a quelques jours, le village de Beybey a été attaqué. On compte plusieurs morts et des blessés. Surtout, l’attaque a été suivie par un mouvement de population d’une centaine de milliers de personnes qui ont bougé vers Djibo. Ce n’est pas la première fois que cela arrive, mais cela signifie que de nouvelles personnes ont besoin de nourriture, d’eau, d’assainissement, d’accès aux soins de santé. Ce sont des personnes qui ont laissé derrière elles leur bétail, leurs semences, leurs terres. Déjà difficile, leur situation économique, est devenue encore plus précaire.
La ville de Djibo ne peut pas accueillir plus de déplacés qu’aujourd’hui. Son marché a des problèmes d’approvisionnement. Les centres de santé n’arrivent pas à suivre, d’autant que la communauté humanitaire n’est pas encore bien installée dans cette région pour répondre aux besoins.
Avec la Croix-Rouge burkinabé nous étions préparés, au CICR, à ces scénarios. Plus de 50 000 personnes ont déjà reçu un soutien en nourriture et biens de base. Des forages d’eau ont été réalisés, des stations réparées. Nous avons apporté des médicaments, réhabilité des centres de santé. Mais nous ne faisons que répondre à une situation d’urgence alors que cela va de mal en pis.
Parvenez-vous à décrypter la stratégie des groupes armés ?
Je pense que nous sommes dans une période de transition qui rend difficile la compréhension et l’interprétation de certaines attaques. Ceci dit, ce n’est pas là notre travail. Dans les situations de violences, chaque partie liée au conflit peut décider de la meilleure façon d’établir un contrôle territorial. Ce que nous voyons dans le nord du Burkina Faso, c’est le contrôle de quelques zones à la frontière avec le Mali. Mais dans quel but ?
Notre rôle est de protéger les personnes affectées par ce conflit, en totale violation du droit international et des droits humains. Les attaques contre les civils n’aboutissent à aucun gain militaire, bien au contraire. Elles provoquent le chaos et des besoins humanitaires alors que les gens sont déjà dans une situation de précarité aggravée par les aléas climatiques, la pauvreté, des problèmes démographiques. Autant de problèmes qui font du Burkina Faso un pays difficile sur le plan économique et social.
Quelle est la situation dans l’est du pays ?
Elle est différente du nord, où prévaut une situation de conflit armé entre des groupes djihadistes et les forces de sécurité. La ville de Fada, notamment, est sous contrôle du gouvernement et le dialogue existe avec les autorités locales, mais la situation reste tendue, notamment sur la frontière avec le Ghana et le Togo. Des rumeurs y font état de la présence de groupes armés. Globalement, tout le pays est en état de choc et l’est ne fait pas exception.
Comment dans ces conditions parvenez-vous à travailler hors des villes ?
Nos équipes, composées d’expatriés mais surtout de résidents, ne s’aventurent pas dans les régions dont nous ne parvenons même pas à évaluer les besoins. C’est principalement le cas dans le Liptako-Gourma, ce fameux triangle à cheval sur le Mali, le Niger et le Burkina où l’activité militaire est intense.
Nous y sommes en permanence à la recherche de personnes, de contacts, d’intermédiaires, de chefs militaires ou religieux qui nous permettent d’établir un lien de confiance avec tous ceux – je veux dire les porteurs d’armes – qui ont un effet direct ou indirect sur la vie des gens afin de pouvoir apporter de l’aide en toute sécurité.
Vous peinez à identifier des personnes ressources ?
En 2019, l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) et plusieurs autres groupes armés ont accentué leur présence, leurs activités et leurs attaques, notamment dans le Liptako-Gourma. L’identification des personnes dépend des régions, de l’ancrage du CICR, de nos partenaires locaux et du contexte. Mais, dans certaines régions, il est extrêmement difficile de trouver des interlocuteurs qui peuvent nous assurer un accès sécurisé.
Source: Le Monde Afrique/Mis en ligne : Lhi-tshiess Makaya-exaucée