En accusant Jean-Yves Le Drian et France 24 d’ingérence dans la vie politique algérienne, le candidat à l’élection présidentielle Abdelmadjid Tebboune a usé d’un des fondamentaux de la communication politique en Algérie : critiquer la France.
Les cinq candidats pour l’élection présidentielle algérienne du 12 décembre sont connus depuis dix jours et, déjà, le favori du scrutin tape sur la France pour marquer des points. Abdelmadjid Tebboune s’en est pris, dimanche 10 novembre, au ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian et à France 24, qu’il accuse d’ingérence dans la vie politique de l’Algérie.
« Je vois une chaîne de télévision publique française pour qui l’Algérie se résume à la place de la Grande Poste et la place Audin », a ainsi déclaré le candidat sur la chaîne El Bilad au sujet de la couverture par France 24 des manifestations algériennes contre le pouvoir. « Leur ministre des Affaires étrangères dit la même chose, de quoi tu te mêles ? Je ne parle pas de la France officielle, je ne me permettrais pas. Mais le ministre des Affaires étrangères français a affirmé qu’il fallait une période de transition en Algérie. Le peuple algérien ne veut pas de cette période de transition. De quoi tu te mêles ? », a-t-il ajouté.
Éphémère Premier ministre d’Abdelaziz Bouteflika durant trois mois à l’été 2017, plusieurs fois ministres – du Commerce, de l’Habitat, des Collectivités locales, de la Communication –, ancien wali (préfet), Abdelmadjid Tebboune est, à bientôt 74 ans, le favori de la future présidentielle algérienne et un représentant du pouvoir en place.
« C’est l’homme de l’actuel chef d’état-major de l’armée, Ahmed Gaïd Salah », souligne Pierre Vermeren, historien spécialiste de l’Algérie, auteur du « Déni français, notre histoire secrète des liaisons franco-arabes » (Albin Michel, 2019), contacté par France 24. « Et par son âge, sa carrière, ses fréquentations, il représente la continuité avec les générations qui ont gouverné l’Algérie jusqu’à maintenant. C’est l’homme du système, un apparatchik de la bureaucratie d’État. »
De fait, diplômé de l’ENA à Alger et haut fonctionnaire en Algérie, Abdelmadjid Tebboune est un homme des rouages sécuritaires et politiques du pays, mais pas un idéologue. Sa candidature, qui est celle du changement dans la continuité, suscite donc de très grandes réticences chez les manifestants qui réclament le renouvellement du personnel politique et des institutions.
« Un passage obligé vis-à-vis des cercles dirigeants »
« Mais en tenant de tels propos, il marque des points auprès des soutiens du FLN [le Front de libération nationale, parti historique de l’ex-président Bouteflika] car c’est presque nécessaire en Algérie de dire qu’il y a une ingérence française, estime Pierre Vermeren. En cela, Abdelmadjid Tebboune use d’un des fondamentaux de la communication politique algérienne même si le procédé est ancien, classique, récurrent et qu’il s’agit presque, pour un candidat qui souhaite être élu, d’un passage obligé, notamment vis-à-vis des cercles dirigeants. »
Les propos du candidat au scrutin présidentiel renvoient en particulier à l’arrestation de Saïd Bouteflika et de deux anciens chefs du renseignement algérien, début mai, qui avaient été accusés par l’armée de complot après une réunion qu’ils auraient eue avec des hauts fonctionnaires français. À l’époque, déjà, ces arrestations avaient permis à l’armée de sous-entendre que la France s’ingérait dans les affaires algériennes afin de vouloir contourner le mouvement populaire en cours alors apparemment soutenu par l’armée.
Contacté par France 24, le ministère français des Affaires étrangères n’a pas réagi aux propos d’Abdelmadjid Tebboune.
« Quant à France 24, c’est une chaîne qui est beaucoup regardée en Algérie, mais c’est aussi une télévision publique, donc son point de vue est considéré par les Algériens comme le point de vue officiel, explique Pierre Vermeren. Et à partir du moment où France 24 relate le ‘Hirak’, c’est présenté comme une ingérence. Or, il y a bien actuellement une transition politique en Algérie. Mais avec ses déclarations, on voit qu’en réalité, Abdelmadjid Tebboune et le pouvoir en place veulent faire croire qu’on reste dans un processus habituel, quand bien même on est en-dehors des clous constitutionnels. »
Le directeur de France 24, Marc Saikali, rappelle de son côté que « la chaîne est une grande chaîne d’information internationale et que sa ligne éditoriale est libre, indépendante et objective ».
Source: France 24/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée