L’enlèvement par le groupe islamiste Boko Haram, en avril 2014, de 276 lycéennes dans la ville de Chibok, dans le nord-est du Nigeria, avait choqué le monde. Depuis, les rapts se poursuivent mais on en parle moins : un millier d’élèves, essentiellement des filles, auraient été enlevées depuis fin 2020 au Nigeria.
Une recrudescence qui s’explique par l’attrait économique des rançons qui financent des bandes criminelles dont les activités n’ont parfois rien à voir avec le djihad.
Les jeunes filles sont souvent la cible de ces attaques par des groupes extrémistes qui leur refusent le droit à l’éducation.
Parfois, les attaques ont lieu sur le chemin de l’école, les filles sont violées ou enlevées. Les garçons, enrôlés de force, n’ont pas beaucoup plus de chances.
Le 16 février 2019, l’attaque du collège Saint-Augustin de Kumbo, non loin de la ville de Bamenda, dans la région anglophone du Cameroun, n’a pas fait cette fois de différence entre filles et garçons : 200 élèves ont été enlevés.
Trois mois plus tôt, 79 enfants avaient été kidnappés dans une école protestante de Bamenda, dans une région déchirée par une guerre entre l’armée et les séparatistes qui réclament l’indépendance.
A chaque fois, l’éducation était ciblée car elle est un symbole de l’Etat central camerounais.
Spirale du malheur
Cette violence qui ferme les écoles intervient sur un continent où la part des garçons et filles qui ne sont pas scolarisés est déjà importante.
Avec près d’un quart des enfants déscolarisés au niveau de l’enseignement primaire et plus d’un tiers dans le secondaire, l’Afrique subsaharienne arrive loin devant les autres régions du monde.
La pandémie de Covid-19 a encore aggravé la situation avec la fermeture systématique d’écoles, cette fois pas à cause de la violence mais en raison de la crise sanitaire.
Or, les fermetures d’établissements scolaires, comme le rappelle l’Unicef, conduisent à précariser plus encore les enfants issus de milieux défavorisés, les conduisant vers « l’isolement social » et les exposant à « la violence, aux abus sexuels, aux mariages forcés ou au travail des enfants ».
Si on élargit la focale sur la « pauvreté éducative », soit les élèves pour qui la scolarité s’est limitée à quatre ans d’école, alors, il est triste de constater que les jeunes filles sont, encore une fois, les plus touchées, dans une espèce de spirale du malheur.
D’ailleurs, les résultats sont tout aussi mauvais en analysant l’éducation des populations rurales : plus de 80% de celles-ci ne sont allées que quatre ans à l’école au Niger et au Burkina Faso.
Plus de 6.000 attaques en Afrique
Mais revenons aux attaques, celles de groupes armés, djihadistes ou simples criminels. Le Norwegian Refugee Council (NRC) rappelle que 776.000 élèves ont manqué l’entièreté de l’année scolaire 2019-2020 à cause de la violence et la fermeture des écoles au Burkina Faso, au Mali et au Niger.
Le NRC parvient ainsi aux mêmes conclusions que l’Unicef : en raison de la suspension des cours, « les cas de mariage d’enfants ont explosé au cours des dernières années ».
Les Nations unies rapportent ainsi 387 mariages de ce genre au Mali en 2020 contre 178 deux ans plus tôt.
Quant aux garçons, poursuit le NRC, « plus de 190 cas d’enrôlements par des groupes armés ont été enregistrés au Mali au premier semestre 2020 ».
Le rapport Education under attack 2020 recense ainsi, entre 2015 et 2019, plus de 11.000 attaques dans le monde dirigées contre des établissements scolaires, contre des élèves sur le chemin de l’école, des enseignants, ou encore l’utilisation d’écoles à des fins militaires.
L’Afrique représente plus de la moitié de ces attaques et un pays à lui seul réunit plus de 10% d’entre elles : la République démocratique du Congo, avec plus de 1.500 actes violents visant l’éducation durant les cinq années scrutées par ce rapport.
Fait nouveau : le Niger et le Burkina Faso, qui étaient encore récemment épargnés par ce phénomène, ont connu une hausse importante de ce type de violences.
Mais ces deux pays sont victimes de la détérioration de la situation dans le Sahel durant cette période avec 3.300 écoles fermées et 650.000 élèves touchés entre 2017 et 2019, selon les chiffres des Nations unies.
80% des écoles fermées
Le Cameroun a lui aussi été gravement touché par ce phénomène. La crise anglophone, qui a débuté il y a cinq ans par une grève des avocats dans les régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest, s’est transformée en une guerre qui a causé la mort de plus de 3.500 personnes et radicalisé les deux camps avec l’indépendance autoproclamée de l’Ambazonie, le 1er octobre 2017.
Les écoles qui enseignent les programmes de l’Etat central, considéré comme l’ennemi par les Ambazoniens, ont été la cible d’attaques sanglantes : plus d’un millier au cours des dernières années, toujours selon le rapport Education under attack.
En 2018, alors que les offensives de Boko Haram faiblissaient dans l’Extrême-Nord, les Nations unies ont reporté que 4.437 écoles avaient été fermées, cette fois dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.
Amnesty International rapportait en 2018 que depuis le début de l’insurrection, les séparatistes armés avaient brûlé 42 écoles et s’en étaient pris violemment aux enseignant qui refusaient de suivre le boycott scolaire imposé dans l’ouest du pays.
Au sommet de la crise, en juin 2019, l’Unicef estimait ainsi que 80% des écoles étaient fermées dans les deux régions anglophones du Cameroun.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
La situation s’est améliorée. Alors que près de 10.000 écoles étaient fermés en 2019 dans les pays les plus touchés d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, avec près de deux millions d’élèves impactés, ce chiffre s’est réduit aujourd’hui de 40%.
Mais il faut, à ce stade, s’interroger sur ces données.
Les sources onusiennes sont fiables mais la chute spectaculaire des fermetures d’écoles (98%) enregistrée au Cameroun, si elle est correcte, n’illustre pas la tension qui persiste dans les zones anglophones.
Il semble que pour l’instant – et les informations sur le terrain le confirment – que les deux camps qui s’affrontent aient renoncé à s’en prendre aux écoles. Ce qui est tout de même une bonne nouvelle.
Enfin, la dégradation se poursuit dans le Sahel : au Mali, Niger et Burkina Faso, ce dernier pays apparaissant désormais comme étant celui qui enregistre le plus grand nombre d’école fermées, plus de 2.000, avec 305.000 écoliers affectés.
Un record que le pays des hommes intègres n’a pas mérité mais il paye ainsi le prix de la migration, vers le Sud, des groupes djihadistes.
Source: Deutsche Welle Afrique/ Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée