Avec son premier sommet Royaume-Uni-Afrique, Londres a fait des nouveaux partenariats avec le continent une priorité.
Le Royaume-Uni est à la recherche de nouveaux partenaires commerciaux alors que le Brexit, prévu ce 31 janvier, va mettre fin à quarante-sept ans de vie commune et d’échanges privilégiés avec l’Union européenne. Cette nouvelle donne intervient à un moment opportun, selon Londres, qui s’est lancé voilà deux ans dans une offensive tous azimuts en direction de l’Afrique. Car la Grande-Bretagne s’est rendu compte qu’elle perdait de son influence sur le continent dans un environnement hautement concurrentiel. Elle a donc décidé de faire ce qu’elle peut pour profiter de sa sortie de l’Union européenne. D’ailleurs, ce tout premier sommet Royaume-Uni-Afrique pour l’investissement a mis au jour cette perte d’influence avec la présence de seulement 16 dirigeants – anglophones majoritairement – venus du continent, contre 43 pour le dernier sommet Russie-Afrique à Sotchi en octobre et l’indétrônable Chine-Afrique qui a réuni plus de 51 chefs d’État en 2018. Soit deux fois plus de présidents africains que l’Assemblée générale des Nations unies à New York. Dans tous les cas, la rencontre de ce lundi faisait suite à la tournée en Afrique subsaharienne en 2018 de l’ancienne Première ministre conservatrice Theresa May, la première qu’un dirigeant britannique effectuait en cinq ans.
Soft power et migration
Au programme des échanges, il a été d’abord question de soft power et d’influence diplomatique. Depuis le référendum de 2016, le Royaume-Uni a accru sa présence diplomatique en Afrique : ouverture de nouvelles ambassades, multiplication des visites de la famille royale et renforcement de la présence militaire. Ainsi, Boris Johnson a assuré devant un parterre de chefs d’État, parmi lesquels le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi et le dirigeant kenyan Uhuru Kenyatta, que le Royaume-Uni serait plus ouvert aux migrants du continent africain après le Brexit.
Il a souligné que la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne à la fin du mois marquerait la fin du traitement de faveur des migrants européens. « Notre système (migratoire) devient plus juste et équitable entre nos amis et partenaires du monde entier et traite les gens de la même manière, d’où qu’ils viennent », a-t-il déclaré. « En faisant passer les gens avant leur passeport, nous serons en mesure d’attirer les meilleurs talents », a-t-il ajouté. Rien de concret pour l’instant, mais il est question pour le gouvernement britannique d’introduire un système de points un peu comme ce qui se fait déjà en Australie. Dans ce système, ceux qui souhaitent travailler au Royaume-Uni pourraient se voir attribuer des points en fonction d’un certain nombre de caractéristiques professionnelles et personnelles telles que les niveaux d’éducation.
Actuellement, en vertu de la libre circulation, les citoyens de l’UE n’ont pas besoin de visa pour travailler au Royaume-Uni, mais les immigrants de l’extérieur sont soumis à un système de points basé sur les compétences en anglais, le parrainage d’entreprises et d’autres critères comme un seuil de salaire à respecter, etc. « En mettant les gens devant les passeports, nous pourrons attirer les meilleurs talents du monde entier, où qu’ils se trouvent », a déclaré Boris Johnson.
Tous les principaux partis sont largement derrière l’idée d’un système basé sur les compétences.
Une pluie d’accords, mais…
Très réactif et enthousiaste, Boris Johnson a poursuivi en disant que « l’Afrique est l’avenir et le Royaume-Uni a un rôle énorme et actif à jouer dans cet avenir. Selon le ministère britannique du Commerce international, le commerce bilatéral avec l’Afrique au deuxième trimestre de 2019 s’est terminé à 46 milliards de dollars. Dans le même temps, le commerce bilatéral de l’Afrique avec la Chine, le plus grand partenaire commercial du continent, était de 208 milliards de dollars en 2019. Parmi les pays prioritaires du Royaume-Uni post-Brexit figurent le Nigeria, l’Égypte, l’Afrique du Sud, mais aussi le Botswana, l’Éthiopie, le Ghana, le Kenya et l’Ouganda. Le géant britannique Matalan a annoncé un investissement de 25 millions de livres sterling en Égypte pour lancer 11 nouveaux magasins, GSK a engagé un investissement supplémentaire de 5 millions de livres sterling en Égypte et Diageo veut mettre plus de 167 millions de livres sterling au Kenya et en Afrique de l’Est pour soutenir la durabilité de ses brasseries. L’Afrique francophone est absente de ces annonces. À part la Côte d’Ivoire, avec un investissement de plus de 80 millions de livres sterling annoncé par Aggreko pour la fourniture d’énergie. Et la Tunisie, qui bénéficiera d’un investissement de 26 millions de livres sterling pour la production de pétrole et de gaz. En bref, le Royaume-Uni ne sort pas tellement de sa zone de confort anglophone « Nous voulons que le Royaume-Uni soit le partenaire d’investissements de choix pour les entreprises africaines et leurs gouvernements. Notre expertise de premier plan dans les domaines de la finance, de la technologie et de l’innovation devrait faire de nous le choix évident et faire du Royaume-Uni et de l’Afrique des partenaires naturels pour la prospérité mutuelle », a déclaré la secrétaire d’État au Commerce international Liz Truss. À la fin de la journée, 27 accords d’une valeur de plus de 6,5 milliards de livres sterling (7,6 milliards d’euros) ont été signés entre entreprises britanniques et du continent africain.
Pour le chef du gouvernement marocain, Saadeddine El Otmani, ce sommet revêt une grande importance car il permettra à l’Afrique d’avoir plus de visibilité sur ses liens avec le Royaume-Uni après sa sortie de l’Union européenne (UE). « Le Maroc s’emploiera à raffermir les liens entre l’Afrique et le Royaume-Uni après le Brexit », a-t-il indiqué.
Pour Alassane Ouattara, le président de la Côte d’Ivoire, pays francophone dans lequel le Royaume-Uni est essentiellement présent dans les secteurs des mines et de l’énergie, le moment semble opportun pour inviter et inciter les entreprises britanniques à venir investir. Tony Blair, l’ancien Premier ministre britannique qu’a rencontré le chef de l’État ivoirien, a depuis longtemps décidé d’y installer l’Intitut Tony Blair, qui fait en Côte d’Ivoire la promotion de l’anarcarde et du textile ivoirien.
Le réchauffement climatique comme priorité
La finance, les échanges commerciaux ne suffisent pas pour rattraper le retard britannique, Boris Johnson et ses équipes ambitionnent aussi d’être sur les sujets clés comme le réchauffement climatique. Alors que le pays va accueillir la COP26 à Glasgow en fin d’année, le Premier ministre a également annoncé une modification de la stratégie d’investissement britannique pour contribuer à lutter contre le réchauffement climatique. « Ça n’a pas de sens pour le Royaume-Uni de réduire la quantité de charbon que nous consommons » si c’est pour encourager dans le même temps les États africains à en utiliser davantage, a-t-il argué. « Nous respirons tous le même air, vivons sous le même ciel. Quand les émissions de carbone augmentent et que la planète se réchauffe, nous en souffrons tous », a-t-il ajouté. « Plus le moindre centime des contribuables britanniques ne sera directement investi dans l’extraction de charbon ou sa combustion pour produire de l’électricité, a poursuivi Boris Johnson. Nous allons à la place nous concentrer sur le soutien à la transition vers des alternatives zéro ou bas carbone. » Le Commonwealth Development Corporation, entité chargée des investissements du secteur privé, sera la tête de pont de l’offensive anglaise en Afrique avec un budget propre de près de 7 milliards de livres. Sur l’ensemble du continent, les secteurs des finances, des nouvelles technologies, de l’agriculture, des énergies renouvelables sont dans le viseur de la Grande-Bretagne post-Brexit.
Source: Le Point Afrique /Mis en ligne : Lhi-tshiess Makaya-exaucée