Près d’un an et demi après la réconciliation surprise entre les deux pays d’Afrique de l’Est, le régime d’Asmara n’a pas desserré l’étau politique.
Mihreteab était rempli d’espoir quand il a appris à l’été 2018 que son pays, l’Erythrée, avait signé un accord de paix avec l’Ethiopie voisine. Mais, près d’un an et demi plus tard, l’espérance a cédé la place au désenchantement. « Jusqu’ici, je ne vois aucun changement », glisse le chauffeur de taxi, qui a garé sa voiture non loin de la cathédrale d’Asmara, en attendant que plusieurs passagers se présentent pour partager une course.
« Les gens sont encore en prison et la vie reste la même », soupire Mihreteab. Dans les rues de la capitale érythréenne, il n’est pas le seul à faire part de sa désillusion. « J’aime mon pays et je pense que vous profitez aussi bien de votre séjour. Cependant, la vie est toujours la même pour moi », confie Tekie, un vendeur d’électroménager du marché Meda-Eritrea qui, comme tous les gens ordinaires interrogés par l’AFP, préfère ne donner que son prénom.
A l’initiative du premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, l’Ethiopie et l’Erythrée, son ancienne province, indépendante depuis 1993, ont réussi une spectaculaire réconciliation. Le 8 juillet 2018, lors d’une rencontre historique à Asmara, M. Abiy et Isaias Afeworki, le président érythréen, ont signé une déclaration commune mettant fin à l’état de guerre latent qui durait depuis la fin du conflit frontalier de 1998-2000.
« C’est un homme bon »
Les deux pays ont ensuite rouvert leurs ambassades, rétabli des liaisons aériennes et multiplié les rencontres. Mais l’optimisme des débuts a vite été déçu, aucune autre avancée significative n’ayant eu lieu depuis.
Le régime érythréen, l’un des plus fermés au monde, n’a donné aucun signe d’ouverture politique. Au contraire, il a semblé ces derniers mois se durcir encore, s’en prenant à des institutions religieuses et à des écoles privées.
Les efforts de M. Abiy en faveur du rapprochement ont été récompensés en octobre par le prix Nobel de la paix. Ils lui valent aussi une réelle popularité dans les rues d’Asmara. « C’est un homme bon et il méritait vraiment le prix Nobel », estime Nigisti, patronne d’une petite entreprise d’objets artisanaux. Avant son arrivée au pouvoir en avril 2018, l’Ethiopie s’était souvent dite prête à la paix, mais sans rien faire pour l’obtenir. « Lui a fait les choses », ajoute-t-elle.
Même si le changement politique attendu n’est pas au rendez-vous, certains Erythréens veulent garder espoir. Nazret, une vendeuse de céréales à Meda-Eritrea, est de ceux-là : « L’accord de paix me donne l’espoir qu’un jour la vie changera. La paix est importante pour nous. »
Plus loin, sur la place Bahti Meskerem, Netsunet achète des légumes. Elle a passé une moitié de sa vie en Ethiopie et l’autre en Erythrée. Née en 1982 en Ethiopie, elle a été déportée dans son pays d’origine en 2000 à cause de la guerre. Elle dit préférer ne pas se rappeler le moment où elle a été « séparée de force » de sa famille et ses amis. Mais elle veut maintenant regarder le bon côté des choses. « Au moins aujourd’hui, on peut prendre l’avion pour se voir, apprécie-t-elle. Mes parents sont morts en Ethiopie, et mes frères et sœurs sont dispersés à l’étranger. Je prévois de visiter mes anciens voisins en Ethiopie en décembre. »
Fiori, chef de projet pour une ONG locale, se veut également positif. « La plupart des éléments de l’accord n’existent que sur le papier, mais lentement on rattrape notre retard », considère-t-il.
Si l’heure n’est clairement pas au bouleversement, les classes dirigeantes assurent que l’Erythrée évolue. Mais à son rythme et en gardant son identité propre. Asmara a accueilli la semaine passée une importante réunion de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA). Selon Mohammed Gumhed, un chercheur auprès du ministère érythréen des affaires étrangères, ce genre d’événement « n’aurait pas pu avoir lieu avant l’accord ».
Vent d’unité
Dans son discours d’ouverture, le ministre érythréen des affaires étrangères, Osman Saleh, a affirmé qu’un vent d’espoir et d’unité soufflait désormais sur la corne de l’Afrique après des décennies de conflits larvés. Il a insisté sur les progrès accomplis à ses yeux par l’Erythrée, pour offrir à sa population l’accès à des services de base tels que la santé, l’eau, l’éducation, ou encore les transports.
L’Erythrée n’a connu qu’un seul dirigeant depuis l’indépendance : le président Isaias Afeworki. Celui-ci a toujours refusé d’appliquer la Constitution adoptée en 1997 et fait taire toute voix dissidente. Mais pour Ghetachew Merhatsion, membre du cabinet présidentiel, il ne fait que respecter la volonté de ses concitoyens : « Il y a un système multipartite dans de nombreux pays africains et c’est bien pour la démocratie. Toutefois, justifie-t-il, pour l’instant, les Erythréens ont décidé de n’avoir qu’un parti et nous faisons des progrès. »
L’accord de paix a changé le climat des affaires, estime pour sa part Alem Kibreab, directeur général au sein du ministère des mines et de l’énergie. « Qui voudrait investir quand il n’y a pas de paix ? C’est maintenant un nouveau chapitre », souligne-t-il, voyant s’ouvrir pour des investisseurs internationaux des opportunités dans le secteur minier érythréen.
Si les progrès ont été lents dans l’application de l’accord de paix, des annonces concrètes sont à attendre prochainement, assure l’ambassadeur Tesfamicael Gerahtu, chargé des relations internationales. Pour les postes-frontière rouverts après la signature de l’accord puis refermés : « Les discussions sont à un stade avancé, promet-il. Nous négocions aussi avec l’Ethiopie pour qu’elle ait accès aux ports érythréens et cela pourrait être bientôt annoncé. »
Source: Le Monde Afrique/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée