Le 27 décembre, près de 7 millions de Nigériens se rendront aux urnes pour élire leur nouveau chef d’Etat, après les deux mandats successifs du président Issoufou. Alors que les pronostics vont bon train, le dauphin du président sortant, Mohamed Bazoum du PNDS, fait figure de grand favori. Toutefois, entre menaces terroristes et contestations de l’opposition, le Niger réussira-t-il sa transition sans heurts ni drames sécuritaires ?
Le 13 décembre dernier, à quelques jours du premier tour des élections présidentielles du 27 décembre, le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS), au pouvoir depuis 2011, a remporté les élections municipales avec 1 799 sièges sur 4.246 selon les résultats provisoires de la CENI, suivi du Mouvement national pour la société de développement (MNSD) avec 358 sièges, du Mouvement patriotique pour la République (MPR) avec 356 sièges et du Mouvement démocratique nigérien (Moden, opposition) de l’ancien Premier ministre Hama Amadou avec 268 sièges. Ces résultats laissent présager des perspectives encourageantes pour Mohamed Bazoum, le candidat du PNDS et dauphin de Mahamadou Issoufou qui quitte le pouvoir après deux mandats successifs.
Mohamed Bazoum, l’ancien ministre des Affaires étrangères, de la Coopération, de l’Intégration africaine et des Nigériens à l’extérieur (entre 2011 et 2015) et ancien ministre de l’Intérieur, de la Décentralisation et des Affaires coutumières et religieuses (entre le 12 avril 2016 et le 29 juin 2020), semble bien parti pour succéder à Mahamadou Issoufou face à la trentaine de candidats engagés dans la course à la présidentielle. Il semble en effet difficile pour l’opposition, de concurrencer le puissant candidat du PNDS dont le principal challenger, Hama Amadou ( ancien Premier ministre et président du Parlement arrivé en deuxième position en 2016, condamné à 1 an de prison suite à une sombre affaire de trafic de nourrissons), a vu sa candidature invalidée par la Commission électorale nationale indépendante (CENI), le 13 novembre dernier. Alors que le candidat débouté par la CENI a dénoncé une décision politique, l’article 8 du code électoral, selon lequel « ne peuvent être inscrits sur la liste électorale (…) les individus condamnés définitivement pour délit à une peine d’emprisonnement ferme égale ou supérieure à un an et non réhabilités », apporte un argument juridique à la décision de la Cour. Cette décision de la CENI pourrait bien profiter au candidat Bazoum, dont les affiches aux couleurs roses quadrillent la capitale. Partout des petits drapeaux triangulaires et d’immenses affiches placardées sur les murs de Niamey rappellent la force de frappe du candidat du PNDS.
Des élections sous haute tension sécuritaire
Depuis une décennie, le Niger est en proie à des menaces sécuritaires permanentes. A l’ouest, la région de Tillaberi qui relève de la zone dite des « 3 frontières » entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger, est occupée par l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) (à l’origine des drames d’Inatès en 2019 et de Chinégodar en début 2020) et par le Groupement de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM, affilié à Al-Qaïda). A l’Est, sur les rives du lac Tchad, le pays doit affronter Boko Haram et l’ISWAP (Islamic State West Africa province, né en 2016 des suites d’une scission avec Boko Haram). Au nord, la situation n’est guère plus favorable, car de l’autre côté de la frontière libyenne, l’insécurité prédomine et la région concentre tous les trafics (migrants, drogues et armes en particulier). Dans le désert, La passe de Salvador située dans la région d’Agadez, est également traversée par de nombreux trafics et malgré un certain nombre de victoires militaires, Boko Haram continue d’y faire régner la terreur. Les attaques de la milice auraient coûté la vie à plus de 36.000 personnes et conduit près de 2 millions de personnes à se déplacer sur la dernière décennie, selon les Nations Unies.
Le 9 août dernier, une nouvelle attaque a coûté la vie à 8 humanitaires de l’ONG ACTED dans la zone touristique de Kouré, à seulement 60km de la capitale. Plus récemment, les élections municipales de décembre ont été entachées par le sang des victimes du terrorisme au sud-est du pays, dans la région de Diffa qui abrite 46.000 réfugiés nigérians et déplacés nigériens, fuyant depuis 2015 les exactions des groupes armés, selon l’ONU. Dans la nuit du samedi 12 au dimanche 13 décembre, au moins 28 victimes ont perdu la vie dans ces nouvelles attaques et des centaines de villageois ont été blessés. Les terroristes armés ont tout brûlé sur leur passage, tirant sur les populations et incendiant la ville de Toumour situé à 75 kilomètres à l’est de Diffa. Aussi, à la veille de ces élections présidentielles, les autorités ont renforcé leurs dispositifs de sécurité. Le Niger qui est classé parmi les pays les plus pauvres au monde consacre déjà un effort considérable à la sécurité. Le budget des forces de sécurité intérieures (FSI) a d’ailleurs, fortement augmenté entre 2007 et 2016 (de 24,6 % pour l’Intérieur, de 27,16% pour la Défense selon l’International Security Sector Advisory Team, ISSAT). L’an dernier, plus de 18% du budget était consacré à la sécurité et les récentes attaques poussent l’Etat à maintenir ses efforts de guerre contre le terrorisme.
Après COPA 16, l’opposition se coalise au sein de la CAP 21
Face à Mohamed Bazoum du PNDS, une trentaine de candidats concourront à la présidence dimanche prochain. L’opposition s’est réunie face au dauphin du président Issoufou. Nommée CAP 21, cette alliance de circonstance regroupe 18 partis qui s’engagent à soutenir le candidat de l’opposition ayant rassemblé le plus de voix en cas de second tour. En 2016, l’opposition s’était déjà réunie au sein de la coalition -appelée Copa 16-, sans toutefois menacer la réélection de Mahamadou Issoufou avec 92,51% des suffrages au second tour. En dépit de cette alliance circonstancielle, la multiplicité des candidatures de l’opposition risque fort d’altérer ce front commun.
Le candidat du PNDS devra toutefois faire face à plusieurs poids lourds de la vie politique nigérienne. De l’ancien chef de la junte militaire (au pouvoir de février 2010 à avril 2011), le général Salou Djibo du parti Paix, Justice, Progrès (PJP), à Mahamane Ousmane (président de 1993 à 1996), en passant par Seyni Oumarou du Mouvement national pour la société de développement (MNSD, arrivé en troisième position en 2016) ou encore par Albadé Abouba du Mouvement patriotique pour le développement (MPR), les candidats sont nombreux et les griefs contre le système électoral le sont tout autant…
Contestant le nouveau code électoral depuis 2017, l’opposition considère que la CENI est inféodée au pouvoir central et dénonce un fichier électoral biaisé. Le candidat Ibrahima Yacouba de la coalition Cap 21 va jusqu’à évoquer des conditions de vote qui s’apparentent à un « hold-up électoral » pour assurer la continuité du PNDS au pouvoir. C’est la deuxième tentative du candidat du Mouvement patriotique nigérien (MPN) qui avait récolté 4,5% des suffrages en 2016, se classant en cinquième position. De son côté, le bureau politique du parti politique de Hama Amadou, a annoncé qu’il apporterait « son soutien au candidat du Renouveau démocratique et républicain RDE-Tchanji, Mahamane Ousmane ».
La campagne pour les élections présidentielle et législative s’achève ce vendredi 25 décembre 2020 sans tambour ni trompette, en raison du contexte sanitaire et de la menace d’une nouvelle vague pandémique. Néanmoins, d’ici dimanche prochain, les électeurs nigériens devront faire leur choix pour élire le successeur du président Issoufou qui, en affichant un bilan porté par le développement de grands travaux infrastructurels et en décidant de ne pas briguer pas un 3e mandat, ferait presque figure d’exception régionale.
Source : La Tribune Afrique/Mis en ligne : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée