La question mérite d’être posée alors que le religieux semble clairement prendre le dessus sur le politique à travers les idées que les organisations musulmanes imposent progressivement.
Au Mali, les religieux, auxquels on prête une influence très importante, ont-ils pris le dessus sur le politique ? Le think tank International Crisis Group (ICC) a consacré un rapport à cette question, tentant d’évaluer s’il s’agit de la réalité ou d’une fiction. Ainsi, le mythe leur prêterait une influence souvent fantasmée et démesurée. En outre, leurs consignes de vote ne seraient pas toujours suivies et des décisions politiques leur seraient parfois attribuées à tort. Mais qu’entendons-nous, concrètement, sous l’expression « influence politique de l’islam », et selon quels procédés les acteurs religieux acquièrent-ils cette influence ?
Entre l’État et les mouvements islamiques, une série de confrontations
L’influence politique de l’islam pourrait correspondre à la capacité des organisations musulmanes de se constituer en force conservatrice pouvant efficacement peser sur les décisions politiques publiques, et imposer un ordre social qui engage l’ensemble de la société. Du régime d’Amadou Toumani Touré (2002-2012) à celui d’Ibrahim Boubacar Keïta (depuis 2013), toutes les confrontations publiques qui ont opposé l’État aux organisations islamiques, autour de réformes sociales et sociétales, se sont soldées par la victoire de ces dernières.
Le procureur général de la République, Daniel A. Tessougué, fut limogé quelques jours après la joute oratoire qui l’avait opposé à Mahmoud Dicko, l’ancien président du Haut Conseil islamique (HCI), après que ce dernier eut qualifié l’attentat contre l’hôtel Radisson Blu du 20 novembre 2015 de « punition divine contre un monde perverti par l’homosexualité ».
En février 2017, la mise en garde du même président du HCI suffit à dissuader le ministre de la Justice, Mamadou I. Konaté, à renoncer à son projet de loi criminalisant l’excision.
La plus emblématique des confrontations qui opposa l’État aux mouvements islamiques reste celle qui s’opéra autour de la réforme du Code de la famille, entre 2009 et 2011. L’État échoua à imposer sa version progressiste du Code, qui visait pourtant à instaurer l’équilibre des droits entre l’homme et la femme. Au total, 51 articles furent modifiés, lors du second examen du texte au Parlement, afin de satisfaire aux exigences des organisations musulmanes.
Contre « l’enseignement de l’homosexualité »
Autre affaire, le gouvernement malien, en partenariat avec l’ambassade des Pays-Bas au Mali, a engagé, il y a quelques mois, un atelier de réflexion autour de l’enseignement de l’éducation sexuelle aux adolescents dans les écoles. En décembre 2018, l’imam Mahmoud Dicko (qui a cédé sa place à Chérif Ousmane Madani Haïdara en avril dernier après deux mandats) a mobilisé les réseaux sociaux pour dénoncer ce qu’il qualifiait d’« enseignement de l’homosexualité » dans les écoles maliennes.
La doléance de l’imam était très claire : il est contre l’évocation des orientations sexuelles à l’école. Le gouvernement, au lieu de défendre le bien-fondé du projet, a finalement décidé de l’abandonner, comme s’il était convaincu que la société malienne n’était pas assez progressiste pour pouvoir aborder la question de l’homosexualité dans l’espace public, et encore moins tolérer son existence. À la suite de cette affaire, un rassemblement convoqué par Dicko s’est tenu au stade du 26-Mars de Bamako, le 10 février 2019, pour réclamer la démission du Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga.
Plusieurs manifestations s’en sont suivies et la démission de Boubèye Maïga est intervenue à la veille de la motion de censure que s’apprêtait à voter le Parlement, et de l’appel à manifestation du 5 avril 2019, finalement annulée.
Cette affaire pose, encore une fois, la question des capacités de l’État à imposer ses réformes, quand celles-ci sont considérées comme « antimusulmanes ». Lorsqu’à chaque confrontation, les organisations musulmanes parviennent à imposer leurs idées, face à l’État, on est alors en droit de dire qu’aujourd’hui, au Mali, le religieux a clairement pris le dessus sur le politique.
D’où les organisations musulmanes tirent-elles leur influence politique ?
Celle-ci découle, en grande partie, du rôle des organisations islamiques dans les terroirs. Ce rôle permet d’expliquer, d’une part, pourquoi une majorité de Maliens font davantage confiance aux acteurs religieux qu’aux hommes politiques et, d’autre part, la grande capacité de mobilisation des leaders religieux.
Source: Le point/Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée