Marie Josée Ta Lou (1,59m, 50 kg) s’est révélée au monde en 2016 lors des Jeux Olympiques de Rio après avoir manqué de peu le podium à deux reprises des 100 et 200 mètres. La sprinteuse ivoirienne de 30 ans, née un 18 novembre 1988 à Bouaflé dans la région de la Marahoué, a commencé par le football avant d’arriver l’athlétisme où elle est double vice-championne du monde 2017 des 100 et 200 mètres, médaillée de Bronze du 100 mètres des 17ème Championnats du monde Doha 2019. Après avoir fait le tour de plusieurs villes (Shanghai, Dakar, Paris,…), elle a décidé d’établir son camp de base à Abidjan, en Côte d’Ivoire. “Je veux montrer qu’on peut s’entraîner en Afrique et réussir au niveau international”, précise-t-elle. Ta Lou, c’est aussi un palmarès élogieux qui, en plus des 2 titres de vice-championne du monde et du Bronze, comprend un titre de vice-champion du monde du 60m, trois titres de championne d’Afrique, trois titres de vice-championne et cinq médailles de Bronze, trois titres de championne aux Jeux africains et un Bronze. A 10 mois des JO Tokyo 2020 où elle espère enfin accrocher un podium, Marie Josée Ta Lou, rentrée à Abidjan le dimanche dernier, veut soigner son genou et profiter de la famille pour recharger les batteries. Sa relation avec Murielle Ahouré, autre star féminine du sprint ivoirien, ses projets pour l’athlétisme africain, ses objectifs à venir, ses conseils à la jeunesse du Continent, elle n’a rien occulté dans cette entrevue avec Afrika Stratégie France (ASF). Des idées, elle en a plein la tête. Et elle espère en faire profiter à toute l’Afrique. Une si longue et passionnante interview qui entre dans le cadre du Spécial Côte d’Ivoire d’ASF.
Racontez-nous un peu vos débuts dans l’athlétisme
Comme je ne cesse de le dire, j’ai commencé par le football. Je suis une sportive née et depuis toute petite, j’ai toujours voulu faire tout ce qui est différent. Etant la seule fille parmi les garçons, j’ai opté pour le football. C’est comme ça que j’ai la chance d’être dans la même classe que le fils de mon premier coach de l’époque. On était en Terminale et il m’a dit comme ça qu’il y a une détection au stade Félix Houphouët-Boigny. Pour moi, je partais courir le 100 m. J’arrive et je vois des filles avec des formes et tout. A les voir, on sent que ce sont des athlètes rodées, aguerries, avec une préparation adéquate. On s’élance et je réalise un chrono de 27 secondes. Tout le monde est surpris. Et moins de trois mois après, j’ai commencé à faire des sélections avec les seniors. C’est comme ça que tout a commencé.
La transition du foot à l’athlétisme s’est donc faite de façon naturelle…
Le plus naturellement possible. Quand tu es une amoureuse du sport en général comme moi, les choses se passent sans problèmes.
Après il y a eu toutes ces années de galère à Dakar au Sénégal. Quand vousy pensez aujourd’hui, qu’est-ce que cela vous inspire ?
Je suis dit qu’il fallait que je passe par là pour arriver au sommet. Bien avant Dakar, j’ai été en Chine. Avant, je pensais que pour réussir, il fallait être hors de l’Afrique. Et quand j’ai eu cette bourse pour aller en Chine, la Chine que je ne visais pas tant parce que j’avais une préférence pour l’Europe et les Etats Unis, je me suis dit que la Chine étant un pays hors de l’Afrique, j’allais réussir. C’est vrai que j’avais une bourse sport et études mais quand on partait pour les compétitions, il fallait reprendre chaque fois les examens à notre retour. Vu que le chinois n’est pas une langue facile à apprendre, en plus que je ne parlais pas encore l’anglais. Il me fallait apprendre à la fois deux langues. C’était vraiment difficile pour moi. En plus, pour avoir des compétitions en Chine, c’était vraiment compliqué. Trouver des endroits fermés pour les entrainements et autres et vu que notre bourse ne nous permettait pas de faire face à tout ça. Et quand j’ai perdu la bourse, alors j’ai commencé à m’interroger. Fallait-il continuer à vivre en Chine tout en sachant que ta mère n’a pas les moyens de te financier les études ?
Après, il y a eu ces deux titres de vice-championne du monde des 100 et 200 mètres en 2017 à Londres alors qu’une année plus tôt vous venez de manquer, à deux reprises, un podium olympique. Peut-on dire que Londres a fait oublier Rio 2016 ?
Les JO de 2016, il y a eu des échecs qu’on ne peut pas oublier. Même si aujourd’hui, on a des médailles de vice-championne du monde, de médaillée de Bronze, on ne peut pas oublier les JO. Ça fait partie de notre vécu. Et en 2016, c’est l’année où tu te sens en pleine forme, tu sais que tu as la frappe, tu te sens capable de pousser les limites, tu as la force, tu n’es pas sur une liste d’attente, c’est-à-dire c’est ta première Diamond League officielle. Les choses se sont passées si rapidement. Je ne pensais pas être au top de ma forme déjà à partir de juillet. Je reviens de blessure et je descends pour la première fois sous les 11 secondes. Je fais 10”95, 10”92 avec un vent de face très défavorable. Je réitère le même temps deux fois avec les mêmes conditions. A partir de là, on a une autre motivation, celle de mieux faire les choses. En même temps, c’est une nouvelle expérience vécue. Et l’année qui suit, je réalise une saison exceptionnelle même si je rate l’Or de peu. Je sors des Championnats du monde avec deux médailles de vice-championne des 100 et 200 m.
Les JO de Tokyo, c’est dans 10 mois. Une revanche à prendre ?
Beaucoup de revanche. Tu vas à une compétition aussi importante que les JO et tu rates de peu les médailles que tu espères avoir. C’est frustrant! Pour 2020 à Tokyo, je mets toutes les chances de mon côté pour enfin accrocher un podium. Je mets toutes les chances de mon côté pour qu’au sortir des JO 2020 que je n’ai aucun regret. Mais si je n’ai pas de médaille mais que je dise que j’ai tout essayé. Avec mon staff, on va traiter nos pépins physiques, trouver les ressources qu’il faut, les compétitions qu’il faut, pour être au top. Il y a ce qu’on veut en tant qu’humain et il y a ce que Dieu décide pour nous. Personnellement, je sais ce que je veux. Je me donnerai les moyens d’aller chercher ce que je vise. Maintenant la décision finale revient à Dieu et on se pliera à sa volonté.
Le fait de ne pas courir le 200 m à Londres lors des derniers Mondiaux entre-t-il dans ce que vous appelez “vous donner tous les moyens” pour aller chercher un podium en 2020 à Tokyo ?
Il faut savoir qu’à Londres, j’ai dû serrer les dents pour faire la finale du 100 m. Parce que j’ai un genou malin qui me joue des tours depuis quelques temps. Je suis une gagnante, je suis battante, et je n’aime pas abandonner. Et avant de partir à Londres, je me suis fixée pour objectif de faire un podium. A partir de là, je n’avais pas le choix. Après la douleur que j’ai ressentie au genou, la finale du 100 m était donc pour moi la seule alternative pour espérer quelque chose. A partir de là, il fallait tout donner. Si vous regardez ma course, vous verrez que c’est très tiré sur la fin parce que je luttais contre la douleur. Après cet exploit, je voulais me lancer sur le 200 m mais avec le coach et le kiné, on a dû renoncer. Parce que les JO, c’est dans 10 mois et ce n’est pas la peine de prendre des risques inutiles en courant le 200 m qui pourrait avoir des conséquences inimaginables. Finalement, on a préféré se donner des chances pour être au rendez-vous de Tokyo 2020.
Après le titre de vice-champion 2017, vous vous retrouvez avec le Bronze cette année. N’est-ce pas un recul ?
Les gens pensent que c’est un recul mais je dis non. C’est une belle performance d’ailleurs. C’est une grâce. J’aurais pu abandonner en demi-finale mais me connaissant, je refusais de sortir des Mondiaux sans un podium. Et c’est là que j’ai serré les dents. Ce n’est pas ce que j’espérais en allant à Londres. Ce n’est pas ce que le coach également espérait. Mais c’est la volonté de Dieu. Il n’y a pas eu de recul. Au contraire, j’ai réalisé un exploit.
Les Ivoiriens ont découvert Murielle Ahouré. Et après, Marie Josée Ta Lou. Toutes deux, vous êtes une fierté nationale et même de très bonnes ambassadrices du sprint africain au niveau mondial. Mais à vous voir, au lieu d’une complicité, on sent plutôt une certaine adversité. Marie Josée, pouvez-vous nous dire, en toute franchise le genre de relation que vous entretenez ?
Murielle Ahouré est une grande sœur que je respecte énormément et que j’ai toujours appréciée. Depuis 2009-2010, avant même d’arriver au haut niveau, je la porte en estime. Et cela n’a pas changé. Je la respecte pour ce qu’elle est, pour ce qu’elle a réalisé. Elle est un exemple pour moi et pour bon nombre d’athlètes hommes et femmes. Maintenant les exigences du haut niveau font que souvent on a l’impression qu’on est opposée. Dans un sport collectif, on allait toutes les deux tirer dans le même sens. Mais là, nous sommes en athlétisme et une fois sur la ligne de départ, on est focus sur l’arrivée. Il peut arriver que Murielle et moi occupions les deux premières places d’un podium ou les deux autres. Mais tout cela se fait dans un esprit de fraternité, de fair play. Il n’y a pas d’animosité. On ne peut empêcher les gens à comparer des sportifs de haut niveau surtout quand ils excellent. On l’a vu au football avec Didier Drogba et Yaya Touré. Ce sera toujours comme ça mais il faut pouvoir dépassionner le débat. Ce qu’on demande plutôt aux Ivoiriens, c’est de prier chaque fois pour nous chaque fois qu’on part défendre les couleurs de notre pays afin de revenir toutes deux avec des médailles comme on l’a fait aux Championnats du monde en salle où elle a décroché l’Or et moi l’Argent. Sinon, Murielle, je l’admire et cela ne changera pas.
Des projets pour l’athlétisme ivoirien?
Beaucoup de projets pour la jeunesse ivoirienne et même africaine. Je sens la galère qu’on vit en étant en Afrique parce que je suis passée par là, je sais ce dont ils ont besoin. Aujourd’hui si j’ai eu la chance d’atteindre ce niveau, ce n’est pas seulement pour glaner des médailles et voir la gloire. C’est aussi apporter ma modeste contribution à l’épanouissement de cette jeunesse, l’aider à réaliser ses rêves. Pas seulement dans le sport mais à tous les niveaux de la vie. Mon parcours, mon expérience, les épreuves vécues, tout cela continue une somme d’expérience que je pourrai également partager avec les jeunes d’ici et d’ailleurs. Ce qui pourrait leur permettre aussi de trouver leur chemin. Juste savoir qu’on ne doit pas abandonner dès le premier obstacle.
Comment Marie Josée se définit-elle?
Je suis une personne simple, joviale. Mais c’est comme ça que je peux changer quand je sens trop de méchanceté en une personne. Je n’ai pas de protocole. Je roule ma voiture, je me faufile entre tout. J’aime être avec les autres, vivre au quotidien la chaleur humaine qui caractérise l’Afrique.
C’est cette chaleur africaine qui vous a poussé à choisir pour base d’entraînement la Côte d’Ivoire ?
C’est un défi que le coach et moi nous nous sommes lancés. Nous voulons montrer à tout le monde entier qu’on peut s’entrainer en Afrique, en Côte d’Ivoire et atteindre les sommets. Les Américains s’entraînent chez eux, les Jamaïcains le font chez eux. Pourquoi nous devons, en Afrique, toujours chercher à aller chez les autres alors que nous avons les ressources humaines, l’intelligence ici ? Mon coach a fait des champions et aujourd’hui ma fierté est d’être cette Africaine qu’on assimile à l’Afrique. On doit dire, Marie Josée a réalisé telle prouesse, telle performance, tout en étant en Afrique. Que tel technicien Africain a fait ci ou cela en étant sur le Continent. On a les moyens d’y parvenir. C’est ce message que je veux lancer. Dire à tous que la réussite n’est pas forcément ailleurs mais elle est aussi en Afrique.
Source: Afrika Stratégies France /Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée