Cette décision va inscrire le royaume chérifien dans la logique des grandes écoles anglo-saxonnes. Éléments d’explication.
C’est un changement d’envergure dans l’enseignement supérieur marocain. Dès la rentrée 2020-2021, les étudiants en première année ne s’inscriront plus dans le sillage du système menant à la licence, puis au master, et enfin au doctorat. Cristallisé dans l’acronyme LMD, il va être supprimé au profit du système bachelor hérité des pays anglo-saxons. Objectif : mettre en adéquation l’enseignement supérieur marocain avec les universités du monde. Pour le ministre de l’Éducation nationale, de la Formation professionnelle, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique Saaid Amzazi, le bachelor est « le diplôme universitaire le plus répandu et le plus adopté au monde », a-t-il souligné il y a quelques jours à Marrakech.
Avec le nouveau système, le gouvernement espère booster la mobilité de ses étudiants à l’international. Il l’inscrit d’ailleurs dans le sillage de la tendance actuelle signalée par l’Unesco et selon laquelle le nombre d’étudiants internationaux diplômés a augmenté de plus de 60 % entre 2005 et 2015, passant de 2,8 à 4,6 millions. Une impulsion à laquelle les Marocains contribuent largement. En France, par exemple, ils ne représentent pas moins de 12 % des étudiants étrangers et forment par là même la première communauté étudiante étrangère des universités et grandes écoles françaises. Le royaume chérifien est d’ailleurs le 12e pays le plus mobile au sein de l’OCDE.
Un système à bout de souffle
Avec le bachelor, le gouvernement espère donner un second souffle à « un système qui, d’après les responsables universitaires marocains, souffre de difficultés chroniques », explique Jean-Baptiste Meyer, chercheur à l’Institut de recherche et de développement (IRD). La surcharge des effectifs étudiants, les défaillances du corps enseignant, l’inadéquation entre les deux systèmes scolaire et universitaire, le chômage des diplômés à la sortie, entre autres, sont parfois imputés à l’architecture LMD qui a été promue dans le passé comme une bonne solution aux maux de l’enseignement supérieur. Elle était en effet supposée faciliter la professionnalisation des formations, l’ouverture et l’internationalisation, l’homogénéisation et la circulation des compétences, et la simplification des cursus », affirme-t-il.
Adopté avec enthousiasme en 2004, le système LMD a montré très vite des signes de faiblesse. L’enseignement (trop ?) théorique qui lui est attaché restreint l’accès des étudiants au monde du travail. Même diplômés, de nombreux jeunes se retrouvent en effet au chômage faute d’expérience professionnelle. Selon le ministère, ils seraient 25 %. Une situation qui inquiète les apprenants et qui pousse même 47,2 % d’entre eux à quitter l’université avant la fin de leur cursus. Une problématique prise en compte par le système bachelor qui proposera des parcours plus professionnels en intégrant des enseignements sur le numérique et le codage.
Quel impact sur les étudiants subsahariens ?
Si la mesure a, sur le papier, tout pour plaire aux étudiants marocains, elle pourrait cependant compliquer la vie de leurs homologues subsahariens, très nombreux dans les universités du royaume. Le Maroc, deuxième terre d’accueil des étudiants d’Afrique subsaharienne après l’Afrique du Sud, a accueilli en 2017 près de 18 000 étudiants subsahariens, contre un peu plus de 1 000 en 1994. Face aux politiques migratoires restrictives et aux coûts élevés de l’éducation en Europe, le Maroc reste très attractif. Pourrait-il l’être un peu moins avec la suppression du système LMD, en vigueur dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne ? « L’impact du changement sur cette population devrait être pondéré », répond Jean-Baptiste Meyer. Si le Maroc accueille, il est vrai, un grand nombre d’étudiants d’Afrique subsaharienne, la moitié suit en fait un cursus au sein de structures privées, « au fonctionnement souvent déjà découplé du LMD universitaire standard ». Pour l’autre moitié, « la modification minime du cursus, ne se limitant qu’au premier cycle, elle ne préjuge guère d’une rupture des passerelles avec les systèmes nationaux d’enseignement supérieur de ces pays. »
La mesure ne devrait donc pas desservir les étudiants gabonais, sénégalais, ivoiriens et camerounais, qui constituent la majorité du contingent des étudiants étrangers. Et n’empiétera pas sur la stratégie adoptée par le Maroc depuis quelques années : celle d’une politique d’immigration engagée. Le royaume « a été le premier pays d’Afrique du Nord à prendre des mesures pour faire face à l’évolution des réalités migratoires en légalisant, entre autres, les immigrants irréguliers depuis 2014 », affirme le chercheur Souley Mahamadou Laouali dans un article publié par l’organisation allemande Heinrich Böll Stiftung. « Depuis plus de dix ans, le Maroc négocie des accords bilatéraux avec les États d’Afrique subsaharienne pour faciliter les bourses et les exigences de visa simplifiées », explique-t-il.
Parmi les objectifs de cette diplomatie de l’éducation ? « Améliorer l’image du pays sur le continent, à la suite de la reconnaissance du Sahara occidental par l’Organisation de l’unité africaine (OUA), et du retrait subséquent du Maroc de l’organisme continental en 1984. » Et ces efforts ont porté leurs fruits. « Pour accueillir le nombre croissant d’étudiants étrangers, le gouvernement a considérablement élargi le système universitaire public, affirme Souley Mahamadou Laouali. Entre 1997 et 2017, le nombre et la capacité des universités publiques ont presque doublé, tout comme le secteur privé. » Pour Jean-Baptiste Meyer, avec le système bachelor, « le Maroc appelle donc plus à élargir son spectre qu’à une réorientation profonde des flux de mobilité et des liens ». Les étudiants d’Afrique subsaharienne peuvent être rassurés.
Source: Le Point Afrique/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée