Le Nigeria et les autres pays anglophones de la région ont affiché à Abuja leur désaccord avec la réforme du franc CFA annoncée en décembre et l’avènement de l’éco.
Quel avenir pour une monnaie unique en Afrique de l’Ouest ? Le Nigeria et les autres pays anglophones de la région ont affiché, jeudi 16 janvier à Abuja, leur désaccord avec leurs voisins francophones, qui viennent tout juste d’annoncer une réforme soutenue par Paris.
Les six pays de la Zone monétaire ouest-africaine (WAMZ) ont « noté avec préoccupation la déclaration visant à renommer unilatéralement le franc CFA en éco d’ici à 2020 », selon un communiqué publié à l’issue de cette rencontre entre les ministres des finances et les gouverneurs des Banques centrales. La WAMZ est composée du Nigeria, du Ghana, du Liberia, de la Sierra Leone, de la Gambie ainsi que d’un pays francophone, la Guinée (Conakry), qui n’a jamais fait pas partie de la zone franc CFA
Ces pays estiment que « cette action n’est pas conforme aux décisions » de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) en vue de « l’adoption de l’éco comme nom de la monnaie unique » de toute la région, dont l’idée est débattue depuis bientôt trente ans et a été relancée en 2018. Un sommet réunissant les chefs d’Etat de la WAMZ est prévu « bientôt » pour décider de la conduite à tenir, précise le communiqué final.
Critères de convergence
Huit pays francophones d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo), qui utilisent le franc CFA, avaient annoncé fin décembre 2019 leur décision de remplacer leur monnaie commune par l’eco.
Une manière de rompre symboliquement les liens très controversés avec la France, ancienne puissance coloniale, qui accueille notamment la moitié de leurs réserves de changes en échange de la convertibilité du franc CFA avec l’euro.
L’annonce surprise avait été faite par le président ivoirien Alassane Ouattara lors d’une visite à Noël de son homologue français Emmanuel Macron, l’un de ses principaux alliés politiques dans la région, au lendemain d’un sommet de la Cédéao qui avait encouragé les efforts visant à mettre en place une monnaie unique ouest-africaine d’ici à juillet.
Les réactions immédiates à ce moment qualifié d’« historique »avaient été mitigées côté anglophone, où l’on se méfie généralement d’une influence française aux relents jugés post-coloniaux dans cette région.
Les pays anglophones ont pu voir, derrière ce changement de nom, une simple réforme du franc CFA, bien loin des ambitions initiales de monnaie unique qui rassemblerait toute l’Afrique de l’Ouest.
Après l’annonce d’Abidjan, le Ghana s’était dit « déterminé » à faire tout son possible pour « rejoindre bientôt » les pays francophones, tout en les exhortant à renoncer à la parité fixe de l’éco avec l’euro, qui est maintenue, bien qu’elle soit très critiquée et que selon le projet original, la monnaie unique ouest-africaine ne devait être arrimée à aucune devise étrangère.
C’était sans compter avec le Nigeria, poids lourd économique de la région, qui pèse à lui tout seul près de 70 % du PIB de la Cédéao et n’a jamais caché ses réticences au principe même d’une monnaie unique.
Sa ministre des finances, Zainab Shamsuna Ahmed, a répété à maintes reprises que les pays ouest-africains n’étaient pas prêts à une quelconque union monétaire tant qu’ils ne respecteraient pas les critères de convergence : un déficit budgétaire n’excédant pas 3 %, une inflation à moins de 10 % et une dette inférieure à 70 % du PIB. Or, à ce stade, seul le Togo répond à ces exigences.
Politique protectionniste
Pour Tokunbo Afikuyomi, du cabinet d’analyse économique Stears Business basé à Lagos, la décision de rebaptiser le franc CFA en éco pourrait être une manière pour les pays comme la Côte d’Ivoire de « prendre le leadership régional » en sachant que le Nigeria ne suivrait pas.
« A l’heure actuelle, le gouvernement nigérian n’a pas la volonté politique de mettre en place cet éco. Cela signifierait pour ce pays perdre le contrôle de sa politique monétaire » avec la création d’une Banque centrale d’Afrique de l’Ouest, explique le spécialiste.
Or le géant pétrolier mène depuis plusieurs années une politique économique protectionniste qui va souvent à l’encontre de l’intégration régionale prônée par la Cédéao, comme on l’a vu avec la fermeture de ses frontières terrestres pour endiguer la contrebande de pétrole et de riz depuis cet été, qui asphyxie ses voisins.
D’autre part, souligne Tokunbo Afikuyomi, rejoindre une union monétaire comporte potentiellement plus de risques que de bénéfices pour le Nigeria, pour qui les marchés des pays de la Cédéao représentent un intérêt limité par rapport à son propre marché intérieur et ses 200 millions d’habitants.
« Si l’un de ces pays se retrouve en difficulté, c’est le Nigeria qui devra venir à sa rescousse, comme l’Allemagne et la France l’ont fait avec la Grèce », pour éviter une faillite de l’Union européenne, détaille l’analyste. « Et le Nigeria n’en a aucune envie. »
Source: Le Monde Afrique/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée