Dans ce pays parmi les plus pauvres du monde, 1,5 million de personnes ont besoin d’assistance. Les restrictions liées au Covid-19 ont aggravé les conséquences de la sécheresse.
Les populations du sud de Madagascar sont-elles condamnées à avoir faim ? Le général Elak Olivier Andriakaja, directeur du Bureau national de gestion des risques et des catastrophes (BNGRC), est arrivé à Ampanihy, jeudi 19 novembre, à la tête d’un convoi de quatre camions remplis de vivres pour procéder à de nouvelles distributions d’urgence. Il y a un mois, la mort de six enfants dans un village situé non loin de ce chef-lieu de district de la région d’Atsimo-Andrefana avait choqué le pays, faisant brutalement remonter à la surface le spectre familier de la famine qu’ici on appelle « kéré ». « On fait le maximum mais la crise est généralisée, constate le militaire chargé de coordonner les opérations d’urgence. Des centres de réhabilitation nutritionnelle sont installés et la population est recensée pour évaluer précisément les besoins. »
Les agences humanitaires décrivent aussi une situation d’une gravité inédite depuis longtemps. « C’est l’Ethiopie des années 1980, il y a des gens qui n’ont vraiment plus rien », énonce Moumini Ouedraogo, le directeur du Programme alimentaire mondial (PAM), conscient du poids de cette référence. De la ville de Tuléar à l’ouest à celle de Fort-Dauphin au sud-est, la pluie n’est par endroits pas tombée depuis le mois de janvier. Les maigres réserves ont été mangées, les derniers poulets ou ustensiles de cuisine ont été vendus au marché et la période de soudure, qui durera jusqu’en avril, ne fait que commencer. Pour se nourrir, les familles doivent se contenter de mangues encore vertes, de morceaux de cactus, de tamarins ou de racines sauvages qu’il faut faire cuire longtemps pour en ôter le goût amer. Trouver de l’eau impose de marcher des kilomètres. Aujourd’hui, 1,5 million de personnes ont besoin d’assistance, soit trois plus que ne l’anticipait encore le PAM en juillet.
Sécheresse et coronavirus
Que s’est-il passé ? Outre la sévérité de la sécheresse, plusieurs explications sont avancées : des villages très reculés sont passés à travers la surveillance d’un réseau d’alerte précoce décrit de manière presque unanime comme défaillant. L’épidémie de coronavirus a entraîné la fermeture des écoles, privant les enfants de leur repas quotidien le plus complet. Elle a aussi ralenti le fonctionnement des centres de santé dont dépendent des populations déjà plus durement frappées que dans d’autres régions par le paludisme, la diarrhée ou les infections respiratoires.
Cette dégradation de la situation était annoncée dès le mois de mai : « Les mesures restrictives et de distanciation sociale appliquée à la fin du mois de mars n’ont fait qu’empirer la situation sanitaire en général et celle de la malnutrition aiguë en particulier dans les zones analysées. Avec des conséquences néfastes sur le système alimentaire », concluait l’analyse de la sécurité alimentaire publiée par le BNGRC. Le nombre d’enfants risquant de se trouver en état de malnutrition aiguë d’ici à la fin de l’année y était estimé à près de 120 000. Il est à craindre que les nouvelles évaluations attendues dans les prochains jours fassent s’envoler ce chiffre. Le document pointait aussi la situation hautement critique du district d’Ambovombe, dans la région d’Androy, la plus touchée par la sécheresse.
Sur la Grande Ile de l’océan Indien, les appels au don se sont multipliés. A l’étranger, la diaspora s’est mobilisée. Mais le PAM qui assure d’ordinaire 65 % des distributions alimentaires sait déjà que ses stocks lui permettront seulement de couvrir les deux mois à venir. « Nous avons 12 500 tonnes pour près de 900 000 bénéficiaires, calcule M. Ouedraogo en redoutant le moment où il faudra solliciter la générosité des habituels donateurs. La faim dans le sud de Madagascar est une vieille chanson usée. » L’agence de coopération américaine USAID supporte l’essentiel des opérations d’assistance alimentaire à travers le PAM et deux organisations non gouvernementales, Catholic Relief Services et Adventist Development and Relief Agency (ADRA). Jusqu’à présent, le gouvernement a préféré ne pas faire appel à une assistance internationale.
Il y a longtemps que, dans cette région semi-aride, la faim n’est plus une urgence mais un mal chronique qui revient chaque année. Ou presque. Arrivé avec le grand kéré de 1993, ce médecin de santé communautaire, qui préfère taire son nom, a son explication : « Il y a d’abord et avant tout le climat. Mais il y a aussi l’abandon de l’Etat, des infrastructures de santé sans moyens et des promesses de développement qui n’ont jamais été tenues. » Madagascar figure parmi les pays les plus vulnérables au dérèglement climatique. Les scénarios du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) laissent entrevoir une hausse des températures moyennes de 6,5 °C dans le sud du pays d’ici à la fin du siècle, si la courbe mondiale des émissions de gaz à effet de serre n’est pas infléchie.
Arracher le Sud à son funeste sort
Des centaines de millions de dollars ont été dépensées pour financer des programmes de développement qui ont laissé peu de traces durables sur le terrain. D’autres sont restés dans les tiroirs en attendant que le pays sorte d’une de ces multiples crises politiques qui ont jalonné les dernières décennies. En 2011, une agence des Nations unies avait osé comparer le Sud à un « cimetière de projets ». En 2013, le retour à un ordre constitutionnel avec l’élection de Hery Rajaonarimampianina s’est traduit par le réengagement des bailleurs étrangers dont le pays dépend pour financer ses investissements. Une liste de 21 priorités a été arrêtée, composée de programmes de soutien à l’agriculture et de grands projets d’infrastructures destinés à désenclaver la région et à améliorer son approvisionnement en eau potable. La plupart sont restées sur le papier. Mais la réhabilitation d’un pipeline de quelque 200 km et d’une station d’épuration dans le district d’Ampotaka a pu être réalisée grâce à l’argent de l’agence de coopération japonaise. Celle-ci avait déjà financé le projet initial vingt ans plus tôt.
Le successeur du président Rajaonarimampianina, Andry Rajoelina, a promis de gagner « la guerre contre la malnutrition ». Signe de son engagement, les visites d’un président sur le terrain n’ont jamais été aussi fréquentes. D’autres projets ont été annoncés : parmi eux, une usine de fabrication de compléments alimentaires, née d’un partenariat entre la Fondation Mérieux et la société Nutriset, devrait bientôt s’implanter près de Fort-Dauphin. Le lancement de grands travaux d’adduction d’eau est à nouveau d’actualité. Jeudi, le chef de l’Etat a rencontré les représentants des agences des Nations unies et des donateurs bilatéraux pour discuter des moyens d’urgence nécessaires pour faire face au kéré. Il a aussi été question de remettre sur les rails un grand plan d’action qui, pour de bon, arracherait le Sud à son funeste sort.
Source : Le Monde Afrique/Mis ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée