Face au lourd impact de la crise de Covid-19, le secteur de l’hôtellerie en Afrique connaîtra une profonde métamorphose. C’est l’analyse partagée dans cet entretien avec La Tribune Afrique par Olivier Granet, CEO de Kasada Capital Management, plateforme d’investissement dédiée à l’Afrique, basée à Johannesburg et soutenue par le fonds souverain du Qatar, Katara Hospitality, et le géant français AccorHotels. Entretien.
La Tribune Afrique – Alors que les private equities se sont récemment ruées vers l’hôtellerie en Afrique, le positionnement de Kasada -qui a clôturé sa première levée (500 millions de dollars) en avril 2019- est assez particulier, puisque porté par un groupe hôtelier mondial. D’où est partie cette idée ?
Olivier Granet – Tout d’abord, Kasada est né d’un constat et d’une ambition. Le constat du besoin de développer davantage de chambres en Afrique subsaharienne, le besoin de contribuer au développement des infrastructures des grandes villes, d’autant que la densité d’hôtels par rapport au nombre d’habitants en Afrique est dix fois inférieure à ce qui prévaut dans les pays développés. Et alors que le continent ne compte que peu de chambres, seule une moyenne de 10% de l’existant représente des chambres de marques internationales, alors que la moyenne mondiale est de 25%. De plus, moins de la moitié des chambres appartiennent aux catégories économique et milieu de gamme, lesquelles correspondent pourtant aux besoins de la classe moyenne émergente africaine. Cette proportion est également faible par rapport aux marchés matures où l’offre, traditionnellement assez large, couvre tous les segments, avec toutefois plus de 50% pour l’économique et le moyen de gamme.
Kasada, qui est ouvert au co-investissement avec des investisseurs locaux africains, est là pour répondre à ce besoin en développant des chambres dans les grandes villes d’Afrique subsaharienne qui seront à 70% des offres économique et milieu de gamme.
De manière générale, il y a effectivement eu un engouement des fonds d’investissement pour l’Afrique qui ont cependant été confrontés à certaines réalités, notamment les délais de retours sur investissement beaucoup plus longs et la volatilité des marchés africains plus prononcée que dans les marchés matures où ces fonds avaient l’habitude d’intervenir. De ce fait, peu de levées de fonds de cette taille ont été réalisées en Afrique. Pour rappel, moins de 15% des fonds opérant en Afrique ont une taille de 500 millions de dollars ou plus. Il existe des plateformes d’investissement hôtelier en Afrique du Sud et au Maroc, mais très peu de véhicules couvrent l’ensemble de l’Afrique subsaharienne à l’instar de Kasada.
L’ambition, à l’origine, est celle de Sébastien Bazin, PDG d’Accor, qui est d’établir un leadership durable pour Accor sur le Continent africain et d’aller au-delà des positions fortes traditionnelles en Afrique francophone, pour avoir un leadership sur l’ensemble du continent en étant pionnier et innovant comme Accor a su le faire sur les autres continents, avec une structure originale pour répondre aux besoins. Cela consiste en une vision long terme, une équipe dédiée et autonome, basée en Afrique avec les moyens nécessaires (grâce au co-investissement du fonds souverain du Qatar QIA) pour apporter une réelle transformation du secteur de l’hôtellerie en Afrique.
Quels sont les enjeux liés au financement de l’hôtellerie sur le Continent ?
Je distingue trois types d’enjeux majeurs. La première série tourne autour des activités et performances opérationnelles. Ce sont à la fois les questions de connectivité entre différentes destinations, de transport aérien, de visas… pour lesquelles existent des leviers d’amélioration possibles. Ces réalités font qu’aujourd’hui, l’activité en Afrique est extrêmement concentrée sur le tourisme d’affaires, qui ne dure cependant que quelques jours de la semaine. Le tourisme de loisirs favorisé par la facilitation des voyages intra-régionaux comme c’est le cas dans les marchés matures est à développer. Toutefois, le dynamisme qui prévaut dans certains pays laisse présager de nettes améliorations dans les prochaines années.
Le deuxième enjeu tourne autour du financement. Il s’agit de l’accès au financement et des conditions de financement en termes de durée, de taux et de garanties. Il est malheureusement aujourd’hui plus difficile et plus onéreux de financer un projet hôtelier en Afrique qu’ailleurs. Il s’agit bien là d’un enjeu majeur. C’est en cela que Kasada a un rôle à jouer pour faciliter le lien entre les investisseurs locaux et des financiers internationaux.
Le troisième enjeu qui est assez stratégique concerne la construction même d’hôtels. Cela requiert de l’expertise sur toute une chaine : architectes, designers, sociétés de construction, toute la logistique… Un certain nombre de difficultés existent aujourd’hui parce que chaque marché est très particulier. Les investisseurs peuvent parfois être confrontés au manque d’expertise, à l’absence de société de construction, aux difficultés liées à la logistique, les importations, les taxes, … A ce niveau aussi, le coût de construction d’un hôtel en Afrique est souvent plus difficile et plus cher qu’ailleurs.
Kasada avec sa taille critique et ses partenariats avec les acteurs clefs du marché, apporte des solutions innovantes pour faire face à ces enjeux avec une contribution positive en termes de création d’emplois et d’impacts sur l’environnement.
Le secteur de l’hôtellerie, et le tourisme en général, est probablement des plus sinistrés par la Covid-19. Cette crise a-t-elle accentué certains de ces enjeux ? A-t-elle été par ailleurs porteuse d’opportunités ?
Cette crise renforce les difficultés auxquelles étaient confrontés les secteurs de l’hôtellerie et du tourisme en Afrique. Selon les chiffres disponibles, 78% des hôtels ont été fermés en Afrique Subsaharienne. La réouverture de ces hôtels avec la mise en place des protocoles sanitaires nécessaires va être extrêmement difficile pour de nombreux propriétaires.
Le manque de financements était déjà l’un des plus importants défis pour le secteur avant la crise sanitaire. Aujourd’hui plus que jamais, les lignes de financement traditionnelles seront probablement plus difficiles à obtenir dans les prochains mois, car les banques du continent tentent de stabiliser et d’aider à la reprise dans de nombreux secteurs. Les investisseurs privés ont leurs propres contraintes de trésorerie et nombre d’entre eux se sont mis en mode de collecte de fonds plutôt que de se concentrer sur le déploiement.
Par ailleurs, les contraintes rigoureuses en matière de déplacement des personnes dureront probablement longtemps, tant au niveau national que transfrontalier, ce qui ajoutera encore à la pression.
Alors qu’on parle désormais de relance économique, comment envisagez-vous la reprise pour le secteur africain de l’hôtellerie ?
Il ne fait aucun doute que le secteur de l’hôtellerie en Afrique se relèvera, mais il ressortira de cette crise très différent de ce qu’il était en mars 2020.
Cette reprise ne pourra se faire que si les gouvernements africains se mettent à travailler avec les grandes institutions de financement du développement pour stimuler le secteur. Cela nécessite également une nouvelle façon de travailler, plus collaborative entre gouvernements, banques africaines et le secteur privé : il faut que tous les spécialistes du secteur se réunissent pour trouver des solutions collectives sur l’ensemble de la chaîne de valeur : actifs physiques, infrastructures, éducation, etc.
Plus que jamais, il est vital d’avoir une approche coordonnée, car la Covid-19 change la façon dont les gens se déplacent et vivent le voyage. Il faut une uniformisation des règles de l’enregistrement à l’aéroport (avec la possibilité d’imposer des tests et l’utilisation de masques faciaux) aux normes de sécurité et d’hygiène imposées dans les hôtels.
Cette crise a renforcé aux yeux de tous l’importance du tourisme en termes d’impact économique (10% du PIB et des emplois) et également en tant que pilier de la vie sociale. Dans de nombreuses capitales africaines, les hôtels sont des lieux de vie qui permettent de se retrouver, d’échanger, d’organiser des événements culturels avec la bienveillance et l’accueil d’équipes passionnées par leur métier.
Il est indispensable d’aider ce secteur à rebondir pour sauver les emplois correspondants et contribuer à la vie économique et sociale des villes africaines.
Source : La Tribune Afrique /Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée