Après avoir échoué sur les dossiers Bemba et Gbagbo, la CPI est en passe de juger Omar el-Béchir pour génocide. Une occasion pour les juges de La Haye de faire taire les critiques.
Juger les auteurs de crimes de guerre, de tortures et d’exécutions extra-judiciaires, fait partie des missions de la CPI. Oui mais voilà, en dix-neuf ans d’existence, les juges de La Haye n’ont toujours pas condamné un seul responsable gouvernemental. Parmi les accusés qui se sont succédé au Palais de la Paix, l’ex-président ivoirien, Laurent Gbagbo à la tête du pays de 2000 à 2011, a été acquitté après près de dix ans de procédure. Avant lui, Jean-Pierre Bemba, ancien vice-président de la République démocratique du Congo, a été acquitté en 2018, deux ans après avoir été d’abord reconnu coupable de crimes de guerres et de crimes contre l’humanité.
C’est certainement ce qu’espère aussi Omar el-Béchir, l’ancien président soudanais, chassé du pouvoir par la contestation populaire de 2019. Pour l’ancien maître de Khartoum, les ennuis ne font que commencer. Le 28 juin, le gouvernement soudanais a validé son transfert à la CPI, où il est poursuivi pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide.
UN CONFLIT QUI, SELON L’ONU, A FAIT 300 000 MORTS ET PLUS DE 2,5 MILLIONS DE DÉPLACÉS
À ses côtés, les ex-ministres des affaires humanitaires Ahmed Haroun, et son homologue des affaires intérieures, Abdelrahim Mohamed Hussein, accusés d’avoir incité à des attaques contre des civils, ainsi qu’Ali Kushayb, commandant des milices tribales Janjawid, recrutées, armées et financées par Khartoum.
Les « diables à cheval »
Les « diables à cheval » étaient chargés de terroriser les populations réfractaires au pouvoir central, essentiellement non-arabes. Viols, pillages, saccages et exactions étaient le signe de leur passage. Un conflit qui, selon l’ONU, a fait 300 000 morts et plus de 2,5 millions de déplacés.
Cette validation par le conseil des ministres ne signifie pas pour autant que les personnalités concernées seront transférées sur les bords de la mer du Nord. Il s’agit en effet d’une décision politique qui ne représente qu’une étape d’un processus débuté en mars 2009, avec le premier mandat d’arrêt prononcé à l’encontre d’Omar el-Béchir. La CPI, qui avait alors le vent en poupe, avait pris une décision importante dans l’histoire de cette juridiction internationale. C’était la première fois qu’un président en exercice faisait l’objet d’une telle mesure.
Si El-Béchir est effectivement transféré aux Pays-Bas, ce sera peut-être aussi l’occasion pour la juridiction présidée par le polonais Piotr Hofmański, de porter un coup d’arrêt aux critiques qui visent régulièrement la Cour. Parmi celles-ci, une balance de la justice qui penche constamment en défaveur de personnes africaines tandis que des puissances géopolitiques telles que les États-Unis, la Russie, la Chine et Israël ne sont, elles, pas liées par le Statut de Rome.
Manque de crédibilité de la Cour Pénale
Parallèlement, depuis la naissance de la CPI en 2002, toutes les personnes mises en accusation de crimes internationaux sont africaines. À tel point que les poursuites contre el-Béchir ont irrité certains pays du continent. Le Burundi, l’Afrique du Sud et la Gambie qui ont brandi la menace de cesser d’être des États Parties au Statut.
Des menaces qui traduisent un manque d’estime à l’égard de la CPI. Le manque de crédibilité de la Cour Pénale a aussi été mis en évidence, lorsque, malgré les mandats d’arrêt délivrés à son encontre, el-Béchir a pu, sans s’inquiéter outre mesure, voyager en Afrique du Sud ou en Jordanie. Des États qui se sont engagés à suivre les injonctions de la CPI. Sur le papier du moins…
Cette juridiction repose sur la coopération des États, mais une fois dans le prétoire, les vices de procédure et le manque de collaboration des autorités locales dans l’avancée des enquêtes, altèrent son efficience. Le 9 juin dernier, une semaine avant de quitter ses fonctions, l’ex-Procureure Générale de la CPI, Fatou Bensouda a alerté le Conseil de Sécurité des Nations Unies sur la nécessité de mettre les responsables des crimes de guerre au Darfour face à leurs responsabilité. Injonction qui témoigne de la fragilité de la Cour face aux pressions politiques.
Est-ce que ce sera la première fois qu’un ex chef d’État sera condamné par les juges de La Haye pour les atrocités qu’il a commises ? C’est en tout cas l’espoir formulé par la magistrate gambienne. Après les échecs successifs de ses prédécesseurs dans les dossiers Gbagbo et Bemba, son successeur, le Britannique Karim Khan est attendu au tournant.
Source : Jeune Afrique/Mis en ligne : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée