Le premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, sera reçu jeudi 7 avril à Rabat par le roi du Maroc, une visite marquant la fin de la crise entre les deux pays et rendue possible par le virage de Madrid sur le dossier sensible du Sahara occidental. « Le chef du gouvernement se rendra jeudi après-midi au Maroc […] où il s’entretiendra avec le roi du Maroc », a déclaré mardi le chef de la diplomatie espagnole, José Manuel Albares, à l’issue du conseil des ministres.
Cette visite a été confirmée par le palais royal marocain, qui a indiqué dans un communiqué que Mohammed VI « aura des entretiens officiels » avec M. Sanchez et « offrira également un iftar », repas de rupture du jeûne du ramadan, « en l’honneur » de son « illustre hôte ». L’invitation à la rupture du jeûne est vue à Madrid comme « un signe d’amitié très fort », a assuré M. Albares, qui a précisé que cette visite, qui devrait permettre notamment la reprise des connexions maritimes entre les deux pays, se prolongera vendredi.
Les deux pays ont connu une brouille diplomatique de près d’un an provoquée par l’accueil en Espagne, en avril 2021, du chef des indépendantistes sahraouis du Front Polisario, ennemi juré de Rabat, pour y être soigné du Covid-19. Cette crise avait eu pour point culminant l’arrivée de plus de 10 000 migrants dans l’enclave espagnole de Ceuta, mi-mai 2021, à la faveur d’un relâchement des contrôles côté marocain. Madrid avait alors dénoncé un « chantage » et une « agression » de la part de Rabat, qui avait pour sa part rappelé son ambassadrice en Espagne, qui n’y est revenue que le 20 mars.
La normalisation des relations entre les deux voisins a été rendue possible par la décision de l’Espagne, le 18 mars, de soutenir publiquement le plan d’autonomie marocain pour le Sahara occidental, que Madrid considère désormais comme « la base la plus sérieuse, réaliste et crédible » pour résoudre le conflit dans l’ex-colonie espagnole.
Un conflit « enkysté »
Le conflit du Sahara occidental, vaste territoire désertique riche en phosphates et aux eaux très poissonneuses, oppose le Maroc au Front Polisario depuis le départ des Espagnols, en 1975. Rabat, qui contrôle près de 80 % de ce territoire, propose un plan d’autonomie sous sa souveraineté, tandis que le Polisario réclame un référendum d’autodétermination, prévu lors de la signature en 1991 d’un cessez-le-feu mais jamais concrétisé.
En soutenant le plan marocain, le premier ministre socialiste a mis fin à des décennies de neutralité de l’Espagne sur ce dossier, s’attirant les foudres de ses alliés de gauche, de l’opposition de droite et d’Alger, soutien du Polisario mais aussi fournisseur de gaz de l’Espagne. M. Sanchez se défend toutefois de tout revirement et assurait la semaine dernière qu’il fallait plutôt voir cette décision comme un « pas supplémentaire » en vue de mettre fin à un « conflit enkysté depuis quatre décennies ». Le chef du Polisario, Brahim Ghali, a dénoncé un « virage radical » et affirmé que l’Espagne « abandonnait » les Sahraouis à « leur sort », comme lors de son départ en 1975.
Pour Madrid, la normalisation des relations avec Rabat a pour but principal de s’assurer de sa « coopération » dans le contrôle de l’immigration illégale alors que le Maroc, d’où partent la majeure partie des migrants vers l’Espagne, a été régulièrement accusé de les utiliser comme un moyen de pression sur l’Espagne. Le gouvernement espagnol espère aussi que Rabat mettra en sourdine sa revendication sur les enclaves de Ceuta et de Melilla.
Mais nombre d’analystes mettent en garde contre l’absence de réelles garanties obtenues par l’Espagne. Pour Jorge Dezcallar, ancien ambassadeur d’Espagne au Maroc (1997-2001) et chef des services de renseignement espagnols de 2002 à 2004, cet accord « devrait » permettre de bonnes relations avec le Maroc, mais il ne serait « pas non plus trop confiant » car « cela dépendra de motifs de politique intérieure au Maroc qui sont hors de contrôle ».
Source: Le Monde Afrique/Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée