Il a bientôt 40 ans. Il vient de « si loin » pour paraphraser le pape François lors de sa première sortie, au soir de son élection le 13 mars 2013. D’ailleurs, avec le Souverain pontife, Silvio Moreno partage des origines argentine et italienne et un attachement à la prière et à l’Evangile. Sauf que le responsable de la Cathédrale Saint Vincent de Paul et Sainte Olive de Tunis est à la tête d’une communauté minoritaire, en terre d’islam. Quelque chose d’à la fois passionnant et délicat d’autant que l’église locale est essentiellement constituée d’étrangers qui sont souvent de passage. Une communauté qui se renouvelle tous les quatre ans ou presque, une exception pour l’Eglise qui fait dire à l’archevêque du diocèse qu’il s’agit d’une « communauté de visitation« . A quelques jours de Pâques, occasion d’autant plus exceptionnelle que les célébrations ont été retransmises virtuellement l’année dernière depuis une chapelle vide, à cause de la pandémie de Covid-19, l’Abbé Moreno reçoit Afrika Stratégies France chez lui. C’est donc avec impatience que ce membre de la Congrégation religieuse du Verbe Incarné, fondée en Argentine en 1984 et présente en Tunisie depuis 2003 attend « les grâces de la résurrection par la rencontre avec les fidèles« . C’est à la Cathédrale où, après avoir été vicaire pendant 7 ans, ce prêtre et archéologue est aujourd’hui administrateur qu’il nous reçoit. Un entretien pour évoquer la particularité de l’église locale, son expérience d’homme et de pasteur et surtout, la joie qui anime tout catholique à quelques jours de la résurrection du Christ. Magnifique échange, mêlé souvent de simplicité, parfois d’humour, et toujours d’humilité pour cet ancien étudiant de l’Angelicum de Rome.
Afrika Stratégies France (Asf) : Vous êtes prêtre d’origine argentine et italienne et vous êtes responsable de la cathédrale Saint Vincent de Paul et Sainte Olive à plusieurs milliers de kilomètres de votre pays depuis une décennie. Que vaut la présence d’un prêtre dans un pays à une écrasante majorité musulmane ?
Père Silvio Moreno : Oui, je crois que la présence d’un prêtre n’est pas une présence comme toutes les autres. C’est un témoignage de vie tout court mais surtout de vie consacrée. Une situation qui n’est pas du tout évidente parce qu’il s’agit d’un pays musulman alors que le prêtre est un homme religieux qui ne se marie pas. Ce qui est très parlant dans un pays musulman et suscite, par sa particularité, une certaine curiosité. Parce que derrière un tel choix, on voit tout de suite une motivation particulière à cause du l’option radicale du célibat. Le choix du célibat est un témoignage qui parle par lui-même et c’est à la fois sanctifiant pour la minorité chrétienne qui existe en Tunisie d’autant que le prêtre est aussi l’administrateur des sacrements, de l’eucharistie à la pénitence en passant par le baptême. Cette présence sacrée est une présence d’exception pour la terre tunisienne. Célébrer l’eucharistie dans un pays à majorité musulmane sanctifie aussi ce pays qui nous fait l’honneur et la générosité de nous accueillir.
Vous vous sentez assez proche, dans votre quotidien des musulmans à travers un permanent dialogue ?
Oui et non. Il est vrai qu’il n’y a pas tellement une communication directe avec nos frères musulmans si ce n’est nos employés, les gens que nous côtoyons jour après jour. Ces travailleurs de la cathédrale et de l’évêché, souvent musulmans, partagent avec nous ce chaleureux échange d’actes et de paroles. Sinon, en gros, il n’y a pas un contact direct constant.
Quel est le quotidien d’un prêtre, à la fois celui de pasteur mais aussi d’homme tout court ?
Je vis d’abord pour et par ma pastorale. Je consacre une grande partie de mon temps à l’étude et aux recherches sur les racines chrétiennes de la Tunisie, en tant que prêtre mais aussi en tant qu’archéologue. Il faut ajouter à cela l’accompagnement quotidien de fidèles, l’assistance aux malades, l’assistance aux plus pauvres, la préparation des célébrations et tout ce qui va avec l’ordinaire d’un prêtre. Il ne faut pas oublier que je suis membre d’un Institut religieux qui est présente ici depuis 2003.
Le fait d’être à la tête d’une communauté plutôt petite par le nombre et constituée en grande partie, sinon presque en totalité d’étrangers affecte-t-il l’enthousiasme apostolique et le zèle au service du Christ ?
Non, pas du tout, au contraire. C’est plutôt enrichissant parce que nous sommes à la rencontre d’autres cultures, ce qui favorise une ouverture d’esprit sur le monde, sur les autres, sur l’inconnu. Nous faisons aussi du bien en tant qu’instrument de Dieu parce que nous touchons une proportion de personnes plus importante que si l’on était dans une communauté homogène. Le fait que nos paroisses soient internationales avec des gens venus de plusieurs dizaines de pays et cultures est une force et une richesse que nous offre la Providence divine. C’est donc une mission exceptionnelle et enrichissante mais une mission tout de même pour l’Eglise.
Nous sommes en temps pascal. L’année dernière, l’Eglise n’a pas pu fêter normalement la résurrection du Christ. Qu’attendez-vous d’exceptionnel de la célébration pascale cette année ?
D’abord, la grâce de nous retrouver en tant que communauté chrétienne pour célébrer le mystère de la semaine sainte, une grâce dont nous avons été privés l’an dernier. Tout était compliqué pour nous et les célébrations étaient privées du contact humain avec l’autre car nous avons été obligés de les transmettre virtuellement. Et nous attendons que ce soit un renouvellement des grâces pour redémarrer une nouvelle étape dans notre vie d’hommes, de femmes, de chrétiens après cette épreuve de Covid-19 qui continue d’ailleurs encore. Nous devons saisir l’occasion de repartir à nouveau avec le Christ.
Vous êtes, je le disais au début, d’origine argentine et italienne, exactement comme le pape François. Est-ce que le Souverain pontife est pour vous une source d’inspiration et un modèle de motivation ?
Oui, forcément, d’abord en tant chef de l’Eglise dont je suis serviteur. Il est le successeur de Pierre et donc le chef de l’Eglise universelle. On le connaissait déjà quand il était archevêque en Argentine. Sa méthode un peu nouvelle est une démarche pour l’époque d’aujourd’hui. On est très sensible à son enseignement, l’enseignement de toute l’Eglise.
Propos recueillis à Tunis par MAX-SAVI Carmel, Afrika Stratégies France