Les erreurs de nos autorités, commises ces cinq dernières années et qui sont de plusieurs ordres doivent être mises en exergue afin de les prendre en compte dans la phase qui pourrait s’ouvrir après la relecture de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger, signé à Bamako en 2015.
L’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger, signé à Bamako en 2015, accuse de nombreux retards dans sa mise en œuvre. Cinq ans après sa signature, la plupart de nos compatriotes et de nos partenaires montrent une grande lassitude devant la situation qui n’évolue que peu. En outre, les Maliens rejettent dans leur majorité un document qu’ils sont pourtant très peu à connaitre. Ils ont fini par réclamer la relecture de ce document lors du Dialogue national inclusif. Mais plus que cet évènement, ce sont les erreurs des autorités maliennes qui ont conduit le pays dans cette situation pour finalement rendre la révision du document indispensable. Sans cela, aucune réforme institutionnelle n’est envisageable.
Les erreurs de nos autorités, commises ces cinq dernières années et qui sont de plusieurs ordres doivent être mises en exergue afin de les prendre en compte dans la phase qui pourrait s’ouvrir après la relecture de l’Accord.
Le dossier du Nord n’a jamais été véritablement porté politiquement par les autorités maliennes au premier rang desquels le Chef de l’Etat lui-même. D’ailleurs, la désignation de hauts représentants (Négociation puis mise en œuvre), interprétée comme un signe d’intérêt, peut plutôt être considérée comme un signe de sous-traitance du dossier. On a ainsi de la peine à percevoir la vision stratégique des autorités en ce qui concerne la question. Les changements intervenus en termes de gestion au sein de l’exécutif, les problèmes de coordination et de pluralité des centres de décision ont fini par affaiblir la partie gouvernementale dans la gestion de la crise. La haute administration, conservatrice, a ainsi pu prendre le pas sur le politique, ce qui explique sans doute les retards dans la conduite des réformes pouvant être engagées par les voies législatives ou règlementaires.
Il y a eu de la part des autorités, d’importantes insuffisances en matière de communication et de diffusion du contenu de l’Accord au sein des populations. Cinq ans après sa signature, le document n’est pas connu par la majorité des Maliens. Il n’y a pas eu d’actions systématiques et durables d’explication en des termes accessibles dans les communes et villages du Mali. Il n’y a pas eu non plus de débats au parlement et au sein des autres institutions. Dans les médias, lors des discussions contradictoires, la partie gouvernementale et la majorité présidentielle se sont souvent éclipsées, comme si eux-mêmes ne croyaient pas en l’accord !
On a ainsi laissé le terrain aux opposants à l’accord, mais aussi aux éternels mécontents et aux pourfendeurs systématiques de toute initiative officielle. Ceux-ci, souvent adeptes de la théorie du complot, ont rivalisé d’ardeurs pour s’en prendre au document en utilisant abondamment la menace du démantèlement du pays, sans qu’aucun argumentaire structuré officiel ne leur soit opposé. Ils ont occupé l’espace médiatique et le peuple a fini par prendre fait et cause pour leurs argumentaires.
L’erreur suivante du gouvernement, plus dévastatrice, a été la validation implicite du principe de la sous représentativité des ressortissants du Nord et donc la conduite d’initiatives qui minent l’ensemble national. C’est dans ce registre qu’il faut classer l’engagement de reformes territoriales uniques dans l’histoire contemporaine du Mali et la traduction électorale de ses conséquences en termes d’octroi d’un nombre de parlementaires aux régions du nord qui est sans commune mesure avec leur poids comparé à l’importance de la population. Ce processus en cours risque d’être explosif pour le pays si le gouvernement n’y prend pas garde. Le Mali dans son ambition d’édification de la Nation n’accorde pas de quota ethnique dans les recrutements et n’élabore pas de statistiques ethniques.
Cependant, tout observateur objectif reconnaîtrait facilement que les populations du nord, notamment les kel tamasheqs, n’ont jamais souffert et ne souffrent pas de sous représentativité dans notre pays et cela à tous les niveaux.
Une autre erreur du gouvernement a été d’accepter de se mettre au même niveau que les groupes armés dans la conduite du processus de paix. Cet état de fait est encore perceptible de nos jours dans la mise en place des organes de gouvernance de l’accord, des commissions, du processus du DDR (désarmement, démobilisation, réinsertion), de la constitution de l’armée recomposée, etc. Des faveurs majeures sont accordées aux leaders des groupes, dont la légitimité n’est pourtant due qu’à la détention d’armes. Ces avantages divers rendront difficile tout progrès, car le parachèvement de la mise en œuvre de l’accord signifierait pour ces leaders la fin de leurs privilèges !
L’une des conséquences de ces faveurs s’illustre dans l’exclusion de fait des autres composantes des sociétés civiles du nord et l’acceptation de la caporalisation de celles-ci par les groupes armés. On encourage ainsi la détention d’armes comme seul critère de représentativité. L’exemple de la mise en œuvre hâtive et sans lendemain constructif des autorités intérimaires illustre ce constat. Elles ont été installées sans contenu et sans ressources en faisant la part belle aux groupes armés. La désignation des gouverneurs, des préfets, etc. a été diligentée avec un partage entre l’Etat et chaque regroupement armé (CMA et Plateforme). Nous avons progressivement mis les cinq régions du nord sous la coupe des groupes armés. Ceux-ci parviennent ainsi à obtenir pacifiquement ce qu’ils n’ont pu conquérir par la force. Nos compatriotes témoins de ce tableau en déduisent que notre propre gouvernement est en train de diviser notre pays et d’affecter la gestion d’une partie aux groupes armés, sans pourtant que des résultats tangibles en termes de sécurité et de stabilité soient constatés. L’Accord de paix devient ainsi un bouc émissaire idéal des frustrations des Maliens.
Au niveau des zones « sous contrôle » des groupes armés, les valeurs ne sont pas promues, les personnes crédibles ne sont pas aidées, la bonne gouvernance est oubliée et les malversations sont tolérées. Aucun compte n’est demandé aux responsables des groupes armés quant à la satisfaction des besoins des populations.
Le contexte ainsi décrit n’est pas propice à une sortie de crise. Au mieux, on ne peut espérer qu’une situation factice, faite de faux semblants et qui couvera les cendres de futures révoltes et de crises quand des pans entiers de la population se sentiront exclus et ne verront d’autres possibilités que la réaction violente pour se faire entendre. On n’obtiendra pas la paix quand les bénéficiaires ne sont qu’une petite partie des responsables des groupes armés !
En conséquence de tout cela, les Maliens sont dans leur écrasante majorité hostile à l’Accord, non pas à la décentralisation et à la possibilité pour les populations de participer à leur essor, mais à l’image qu’on lui a donnée, aux peurs qui ont été véhiculées et surtout à cause de l’absence de progrès significatif induite par toutes ces erreurs commises depuis 2015. Il faut donc relire l’Accord. Il faut ensuite mettre en place une stratégie claire de sortie de crise en observant quelques principes clairs qui s’imposeront à nous tous : équité entre les Maliens et les territoires ; primauté de l’Etat et de la République ; association des diverses composantes de la Nation à la sortie de crise ; et transparence absolue sur l’ensemble des actes à poser dans la conduite du processus de sortie de crise.
Source: La Tribune Afrique/Mis en : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée