Mardi 29 juillet, le président Museveni a de nouveau été choisi par son parti, le Mouvement de résistance nationale (NRM), comme candidat à sa succession pour l’élection présidentielle de 2021. Mais les nuages qui s’accumulent sur l’économie ougandaise et les retards pris par l’exploitation du pétrole du lac Albert pourraient ternir sa campagne.
La vidéo a fait le tour des réseaux sociaux. Yoweri Museveni, en survêtement, pratique des exercices pour l’exemple au sein de la State House (résidence présidentielle). Pompes, jogging, étirements : « le Mzee », à 75 ans, n’a rien perdu de sa forme d’ancien guérillero et tient à le montrer. À quelques mois du scrutin présidentiel, celui-ci est en effet défié par une quarantaine de candidats, dont le jeune et bouillonnant Bobi Wine. Le « président du ghetto », comme il se définit lui-même, draine un capital de sympathie important au sein de la jeunesse désoeuvrée et dans les principales grandes villes du pays.
80% de la population ougandaise a moins de 30 ans, et n’a donc pas connu d’autre président que Yoweri Museveni, arrivé au pouvoir par un coup de force en 1986. Kristof Titeca, chercheur à l’université d’Anvers et spécialiste de l’Ouganda, souligne que cette génération de « bébés Museveni », nés sous son régime, « veut désormais des services, du développement ». Selon lui, « la légitimité du régime, qui a longtemps assis son pouvoir sur la paix apportée au pays, est aujourd’hui en déclin ». Il pourrait s’agir de l’une des clefs du scrutin présidentiel.
Coup de frein sur l’économie
Or, pour Museveni, les choses se compliquent sur le front économique. Déjà fragilisée par une démographie galopante (le pays doit créer plus de 600 000 emplois par an pour répondre à la croissance de sa population) et une dette publique inquiétante, qui s’approche dangereusement du seuil des 50% du produit intérieur brut (PIB), l’économie ougandaise a connu un véritable coup de frein dès le début de la crise du Covid-19. Selon les perspectives du Fonds monétaire international (FMI), la croissance du PIB ne devrait pas dépasser les 3,3% en 2020, contre plus de 6% en 2019.
Les restrictions strictes de circulation et la fermeture de la quasi-totalité des entreprises ont eu un impact très lourd sur le commerce, mais aussi sur l’agriculture et les services. Le tourisme, qui constitue habituellement près de 10% du PIB annuel, a ainsi beaucoup souffert. Le secteur pourrait faire perdre jusqu’à 1,6 milliard de dollars au pays en 2020.
Pour l’analyste ougandais Chris Musiime, la crise du coronavirus va affecter très fortement la société. « Les gens n’ont pas touché de revenus et la pauvreté augmentera, bien entendu, à moyen terme. Cela aura un impact sur les élections », admet-il. Mais paradoxalement, c’est surtout l’opposition qui risque d’en pâtir le plus, selon lui. « Le gouvernement a interdit les rassemblements, qui sont les modes traditionnels de campagne. Les candidats utiliseront la radio et la télévision. Or, dans l’arrière-pays, la plupart de ces médias appartiennent à des membres du parti au pouvoir. Cela signifie que l’opposition sera désavantagée. »
Un avis partagé par Kristof Titeca, qui estime que « le régime a été assez habile pour exploiter les mesures et interdire tout simplement à l’opposition de faire campagne. Celle-ci voulait par exemple distribuer de la nourriture dans la capitale, mais cela a été interdit. Très clairement pour des raisons politiques, sous couvert de mesures contre le Covid. »
Le serpent de mer du lac Albert
Un autre sujet pourrait néanmoins avoir un impact sur la campagne du président-candidat, à savoir le retard considérable pris dans l’exploitation du pétrole du lac Albert, devenue un véritable serpent de mer. Or, c’est déjà sur cette thématique que Museveni avait basé l’essentiel de sa campagne lors de l’élection de 2016. Quatre ans plus tard, le pétrole ougandais ne semble cependant toujours pas prêt de couler.
Sur le papier, tout était pourtant simple. La découverte en 2006 de 6,5 milliards de barils de réserve, dont 1,5 immédiatement exploitables, la mise en place d’un consortium de trois entreprises – CNOOC, Total et Tullow – chargé de l’exploration et de l’exploitation de la précieuse huile, et la construction d’un oléoduc devant couvrir les 1 445 km qui relient la future ville pétrolière d’Hoïma au port tanzanien de Tanga. L’affaire devait être pliée, pour un début d’exploitation au plus tard en 2020. Et par voie de conséquence,un fort accroissement des ressources du pays, avec un gain attendu de 1,5 milliard de dollars par an, pendant une durée comprise entre vingt-cinq et trente ans. Museveni ayant promis que l’Ouganda accèderait au rang de « pays à revenu intermédiaire » avant 2040.
Toutefois, l’ensemble de l’opération n’a pas, pour le moment, pu être mis en œuvre, dans un premier temps pour des raisons techniques (les négociations bilatérales autour du trajet de l’oléoduc ont fortement retardé le processus), mais aussi et surtout en raison des déboires de la compagnie Tullow, en grande difficulté financière, et désireuse de revendre ses actifs dans le projet. Après de longs mois de tractations avec le gouvernement ougandais et le consortium, c’est la société Total qui a pris, en avril 2020, le contrôle des 33% de parts détenues par la compagnie anglaise dans l’exploitation du pétrole et dans l’oléoduc.
Le règlement de ce contentieux n’était cependant que l’un des préalables à la signature d’une décision finale d’investissement entre le gouvernement et les compagnies pétrolières, qui devait être signée déjà en… 2018. Des négociations qui, selon certains observateurs, achoppent en partie sur des questions fiscales et sociales, mais aussi, précise Chris Musiime, « sur la couverture des pertes en cas par exemple d’attaque terroriste ». Total – par ailleurs poursuivi dans ce dossier ougandais par plusieurs ONG en France pour des questions d’expropriations foncières et de menaces sur l’environnement – a annoncé en septembre 2019 un gel des activités techniques sur le terrain, tant que cette décision ne serait pas conclue.
Selon les prévisions les plus optimistes, la production de pétrole ne pourra désormais pas débuter avant 2022. Et la crise du coronavirus, à l’origine d’une brutale chute des cours du pétrole, pourrait encore retarder les opérations. Trop tard, donc, pour que Yoweri Museveni puisse montrer l’achèvement de ce projet à ses concitoyens.
Contrôle de l’appareil d’État
Mais là encore, Chris Musiime, qui travaille beaucoup sur les questions du pétrole, estime qu’en vieux roublard de la politique, le président pourrait retourner ces difficultés à son avantage. « Il expliquera simplement aux électeurs que les compagnies pétrolières voulaient tromper le pays et que lui, a insisté pour obtenir le meilleur deal », insiste-t-il. Selon lui, maintenant que les compagnies et le gouvernement sont revenus à de meilleurs termes, « il est probable qu’il jouera sa campagne sous l’angle du : « J’ai trouvé ce pétrole pour vous, laissez-moi aller de l’avant et le sortir du sol dans mon prochain mandat » ».
En outre, et particulièrement en Ouganda, l’économie ne fait pas tout. Selon Kirstof Titeca, le président Museveni a d’autres ressources. « Etant donné le contrôle que le régime a sur la société et sur l’appareil d’État, l’opposition a peu de chances de gagner. Ils vont faire tout ce qui est en leur pouvoir pour les en empêcher. Ils ont réussi à le faire lors des élections précédentes. Et puis ces dernières années, ils ont tout fait pour empêcher Bobi Wine d’émerger comme une réelle menace. »
D’ailleurs, rappelle-t-il, « lorsque vous regardez les élections précédentes, vous constaterez que tous les rapports des observateurs internationaux ont dénoncé des irrégularités », ce qui n’a pas empêché Yoweri Museveni d’être réélu.
Source: Rfi Afrique/Mis en ligne :Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée