Selon un sondage du cabinet Sigma Conseil publié mercredi par le quotidien « Le Maghreb », les candidats indépendants Nabil Karoui et Kaïs Saïed arriveraient assez largement en tête du scrutin présidentiel du 10 novembre, confirmant le vent de « dégagisme » qui balaierait les formations politiques traditionnelles.
Dans la course au Palais de Carthage, deux indépendants arrivent en tête de la dernière enquête d’opinion de Sigma Conseil : le fondateur de Nessma TV Nabil Karoui, avec 24,7 %, suivi du constitutionnaliste Kaïs Saïed (22,9 %). Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL), figure en troisième position, mais assez loin derrière avec 10,8 %. Ces outsiders distancent des personnalités politiques comme le chef du gouvernement Youssef Chahed, qui n’a pas annoncé sa candidature mais passe de 30,7 % en février 2019 à 7,1 % en juin, ou l’ancien président de la République Moncef Marzouki (6,4% des intentions de vote).
Cette dynamique est également corroborée par les intentions de vote aux législatives. Le mouvement de Nabil Karoui, qui n’est pas encore créé, récolte 30,5 %. Ennahdha est en net recul après avoir occupé la tête avec 33 % en février, mais peut toujours compter sur 17,3 % d’un électorat dit « captif ».
Le PDL, avec 11,4 %, distance Tahya Tounes, parti de soutien au gouvernement, qui n’obtient que 8,4%, contre 16,8 % à sa création en avril 2019. Une régression qui pourrait être due à la baisse de popularité de Youssef Chahed, désigné le 1er juin président du parti. Nidaa Tounes, qui avait remporté les élections de 2014, est cette fois-ci crédité de 5,1 %.
Nouveaux acteurs et nostalgie de l’ancien régime
Des chiffres qui laissent présager une reconfiguration politique avec de nouveaux acteurs. Si les tendances venaient à se vérifier, ce scrutin, qui devrait sanctionner les formations politiques traditionnelles, dont les prestations sont jugées décevantes, marquerait un tournant dans le processus politique en Tunisie. Si les législatives de 2014 avaient écarté des partis historiquement installés dans le paysage politique, le cru 2019 annonce clairement un souhait de changement.
LES INTENTIONS DE VOTE DES TUNISIENS INDIQUENT LEUR INTÉGRATION DE LA DÉMOCRATIE. ILS ENTENDENT PAR LEURS SUFFRAGES FAIRE ABOUTIR LA RÉVOLUTION
Les intentions de vote opèrent un nouvel écrémage, les Tunisiens rejetant les partis connus ou issus de brassage de formations préexistantes comme Tahya Tounes, leur préférant des mouvements récemment créés et plus atypiques. Un rejet qui révèle deux tendances : celle de la nostalgie de l’ancien régime, profitant à Abir Moussi et au PDL, et celle du changement radical, faisant le jeu des mouvements portés par Nabil Karoui et Kaïs Saïed.
Cette sanction par les urnes qui se profile prend les partis au dépourvu et devrait les contraindre à revoir leur approche s’ils veulent survivre. « Les intentions de vote des Tunisiens indiquent aussi leur intégration de la démocratie. Ils entendent par leurs suffrages faire aboutir la révolution entamée en 2011 », analyse pour Jeune Afrique Hassen Zargouni, patron du bureau d’études Sigma Conseil.
Révision et amendements du code électoral
Les formations politiques ne comptent toutefois pas rendre les armes sans porter une estocade législative. À quatre mois du scrutin, Tahya Tounes, via le bloc parlementaire Coalition nationale qui le représente à l’Assemblée, relance pour la quatrième fois un projet de révision du code électoral, avec un passage du seuil de représentativité de 3 à 5 % ainsi que des amendements excluant les figures issues des médias et du réseau associatif.
Cette offensive semble viser en premier lieu Nabil Karoui, ancien directeur général de Nessma TV et dont la percée dérange, mais aussi d’autres mouvements comme celui de Kaïs Saïed ou l’association 3ich Tounsi. L’exclusion ciblée impacterait les petits partis en les écartant de l’hémicycle, et remettrait en question les acquis démocratiques de la Tunisie.
Mais elle risque aussi d’avoir des conséquences sur l’image de Tahya Tounes et des formations qui abonderaient dans le sens d’une refonte de la loi électorale, refusant ainsi le jeu démocratique et démontrant leur fragilité. La position d’Ennahdha fera définitivement la différence. Jusqu’ici, le parti à la colombe s’est opposé à toute exclusion « pour en avoir également souffert sous l’ancien régime ».
Intentions de vote à la présidentielle
(sondage Sigma Conseil réalisé en juin 2019)
Nabil Karoui : 24,7 %
Kaïs Saïed : 22,9 %
Abir Moussi : 10,8 %
Youssef Chahed : 7,1 %
Moncef Marzouki : 6,4 %
Mohamed Abbou : 6 %
Kamel Morjane : 4,1 %
Mehdi Jomâa : 3,5 %
Hamma Hammami : 1,8 %
Rached Ghannouchi : 1,8 %
Béji Caïd Essebsi : 1,6 %
Hamadi Jebali : 1,6 %
Mongi Rahoui : 1,3 %
Intentions de vote aux législatives
(sondage Sigma Conseil réalisé en juin 2019)
Parti de Nabil Karoui : 30,5 %
Ennahdha : 17,3 %
Parti destourien libre (PDL) : 11,4 %
Tahya Tounes : 8,4 %
Courant démocratique : 5,5 %
Nidaa Tounes : 5,1 %
3ich Tounsi : 4,7 %
Front populaire : 3,2 %
Liste de Kaïs Saïed : 2,1 %
Al Badil : 2 %
Afek Tounes : 1,7 %
Machrou Tounes : 0,9 %
Hizb Ettahrir : 0,1 %
Pour rappel, voici quelles étaient les photographies de l’opinion fin avril-début mai 2019, réalisées par Sigma Conseil et Emrhod Consulting :
Source: Jeune Afrique/Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée